Introduction
Avis du Pôle Scientifique Kinesport
Pastille verte
Pastille verte
Cette étude de cohorte longitudinale prospective respecte les principaux critères méthodologiques permettant de minimiser le risque de biais.
Au cours des séances d’entrainement, les lésions se produisent plus fréquemment sur les pistes d’athlétisme en salle, au football et sur les pistes d’athlétisme en plein air, et les sprinteurs présentent la plus forte incidence de lésions aux ischios-jambiers. La majorité de ces blessures se produisent lors de courses à vitesse maximale ou quasi-maximale. Lorsque ce type de course est répété lors de l’entrainement, l’athlète peut ressentir une fatigue musculaire qui va entrainer une diminution de force et de flexibilité, augmentant le risque de blessure. C’est une problématique sérieuse pour les sprinteurs et leurs entraineurs depuis de nombreuses années.
A notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à l’efficacité des programmes de prévention prenant en compte la fatigue musculaire dans les épreuves de sprint. La relation entre blessures aux ischios-jambiers, fatigue et intensité de course a été étudiée dans cette recherche ; les courses sous-maximales et maximales (non assistée) entrainent un grand nombre de courses ce qui a des conséquences sur la fatigue musculaire, alors que les courses supra-maximales (assistées) impliquent un petit nombre de courses dans des conditions de faible fatigue musculaire. Cette étude vise donc à clarifier l’influence de la fatigue musculaire sur le succès des programmes de prévention chez les sprinteurs.
Méthode
La cohorte de cette étude était composée de 613 sprinteurs masculins de niveau collégial, âgés de 18 à 24 ans et suivis sur 24 saisons d’athlétisme. Les participants ayant eu des antécédents médicaux dans les mois précédents l’étude ont fait l’objet d’un suivi particulier. 2 des participants étaient des sprinteurs de haut niveau évoluant au sein de l’équipe nationale japonaise. Le programme d’entrainement des sprinteurs a été supervisé par le même entraineur, qui est le coauteur de cet article, pendant 24 saisons.
Conception de l’étude
En 1988, l’entrainement avec traction impliquant des épisodes répétés de course supra-maximale a été introduit en tant que programme spécial pour le sprint. Depuis, trois types d’entrainements sont pratiqués au sein de l’équipe : course sous-maximale, maximale et supra-maximale. Les 24 saisons ont été divisées en trois périodes : la période 1 couvrait 4 saisons de 1988 à 1991, la période deux couvrait 8 saisons de 1992 à 1999 et la période 3 couvrait 12 saisons de 2000 à 2011. De nouvelles méthodes d’entrainement et de nouvelles machines ont été introduites par les Jeux Olympiques de Séoul, Barcelone et Sydney ; en conséquence le nombre de programmes a augmenté et les programmes de prévention ont évolué.
Prescription pour la qualité / le volume des entrainements en sprint tout au long de l’année
L’entrainement visait à acquérir la vitesse de course maximale ainsi que l’endurance de la vitesse. Dans cet objectif, le programme annuel a été séparé en 6 phases : la récupération, l’entrainement de base, la présaison, la première saison, l’intersaison et la deuxième saison. L’entrainement standard au sprint (course sous-maximale et maximale) a été pratiqué en continu sur 5 phases à l’exception de la phase de récupération. En revanche, l’entrainement à la course à vitesse supra-maximale a été pratiqué pendant un nombre limité de semaine et n’a pas été réalisé pendant les phases de récupération et d’entrainement de base. Tous les sprinteurs ont reçu le même entrainement, même les sprinteurs d’élite qui n’ont donc pas reçu d’entrainement individualisé. De plus, un point important était que les sprinteurs ne devaient pas s’entrainer à intensité maximale afin qu’ils apprennent à rester relâchés dans tous les types de course.
Course sous-maximale et maximale
L’entrainement habituel pour la course sous-maximale et maximale a un volume suffisant pour créer une surcharge suivie d’une fatigue aigüe ; il aide les athlètes à atteindre une vitesse de course et une endurance maximale en répétant cette fatigue aigüe, ce qui provoque une réponse adaptative. L’objectif des entrainements était de renforcer la condition physique globale (en particulier les jambes et la force-endurance), d’augmenter la vitesse maximale de course en présaison, de maintenir cette vitesse dans les premières et deuxièmes saisons et de retravailler la vitesse maximale à l’intersaison. Les courses sous-maximales et maximales ont été pratiquées sans assistance ou avec ajout de charges, comme la course en montée ou l’utilisation d’un traineau (qui crée de la résistance). Par conséquent, ce type d’entrainement comprend un grand nombre de courses.
Course supra-maximale
La course supra-maximale est un entrainement de qualité, par conséquent elle a été effectuée à un moment du programme où la qualité était augmentée et où le volume total était diminué. Ce type d’entrainement spécifique aux sprinteurs permet d’améliorer la puissance mécanique des extenseurs de hanche et des fléchisseurs de genou (en particulier les ischios-jambiers). Les niveaux plus élevés d’activité neuromusculaire ainsi que la fréquence de foulée plus élevée permet d’améliorer le niveau de sprint maximal et de se préparer à une compétition. Ce type d’entrainement comporte un faible nombre de courses pour éviter la fatigue musculaire qui est un facteur de risque de lésions des ischios-jambiers. Par conséquent, l’entrainement à la course supramaximale était effectué après un jour de repos ou un jour d’entrainement individuel, lorsque la fatigue est censée être à son niveau le plus bas. Chaque sprinteur a participé à 2 à 5 courses par jour pendant 15 à 25 jours par saison. Ces courses ont été réalisées à l’aide d’un remorquage fait grâce à une machine à traction et un câble en caoutchouc. Cela permet de tirer les sprinteurs vers l’avant sur plus de 100 mètres et de maintenir une vitesse supramaximale pendant un certain temps. Lors d’une course supramaximale les sprinteurs peuvent atteindre 110% de leur vitesse maximale. Lors de cette étude, le taux était souvent fixé entre 103% et 107% ce qui permettait aux sportifs d’acquérir une fréquence de foulée élevée dans un mouvement de sprint subjectif.
Programme de prévention des blessures aux ischios-jambiers
Le programme de prévention a évolué au fil du temps pour refléter au mieux les stratégies actuelles les plus efficaces. La période 1 comprenait uniquement du renforcement concentrique des ischios à l’aide d’un appareil de musculation. Au cours de la période 2, les exercices d’agilité tels que l’échelle de rythme et les mini-haies ont été ajoutés. Enfin, des exercices excentriques ont été ajoutés lors de la période 3 : Nordic hamstring, Glute-ham raise et des étirements dynamiques. Le programme pouvait être ajusté selon le jugement de l’entraineur et la condition du sprinteur concerné. L’entrainement en force a été réalisé pendant les séances spécifiques de renforcement et l’entrainement en agilité pendant les échauffements individuels. L’efficacité du programme a été évalué par des mesures régulières ; le renforcement musculaire a été évalué par l’augmentation de la charge (poids, répétitions, séries), l’amélioration de la fonction neuromusculaire a été vérifiée par la diminution du temps nécessaire à chaque sprinteur pour franchir 15 mini-haies et la souplesse dynamique a été évaluée par la fluidité et la rapidité du mouvement de sprint (qui implique les hanches, genoux et chevilles). Cette dernière mesure était basée uniquement sur l’opinion subjective de l’entraineur et des sprinteurs.
Définition de la blessure aux ischios-jambiers
Durant les 24 saisons, l’entraineur, le médecin de l’équipe et le médecin de la Japan Sports Association (JSA) ont documenté toutes les blessures aux ischios-jambiers. Ces lésions ont été diagnostiquées en fonction de la sensibilité locale, de la douleur et de la restriction d’amplitude de mouvement lors du test d’élévation jambe tendue, ainsi que de la douleur et la réduction de force en flexion de genou en position couchée. La blessure a été définie comme un incident qui a obligé le sprinteur à suspendre ses entrainements et sa participation à des compétitions pendant au moins une semaine.
Le nombre de sprinteurs ayant connu une blessure a été enregistré sur les trois périodes et l’incidence des blessures a été calculée comme le nombre de blessures aux ischios-jambiers pour 1000 sprinteurs.
Résultats
La figure suivante résume l’incidence des lésions aux ischios-jambiers en fonction des périodes et du type de course. L’incidence des blessures lors des courses sous-maximales et maximales a augmenté au cours des périodes mais de façon non significative. En revanche, l’incidence des lésions pendant les courses supra-maximales a diminué de façon significative entre la période 1 et la période 3.
Discussion
La mise en place de l’entrainement en traction avec un petit nombre de course en mesure de prévention supplémentaire a montré des résultats positifs sur l’incidence des blessures aux ischios-jambiers. En revanche, dans un entrainement habituel comportant un grand nombre de courses, les mesures de prévention n’ont pas montré leur efficacité.
Les sprinteurs, plutôt que les footballeurs par exemple, devraient envisager d’apprendre comment la fatigue musculaire affecte le succès des programmes de prévention. Dans les sports de ballon les lésions aux ischios-jambiers sont plus susceptibles d’être causées par des torsions brusques, des changements de direction ou des contacts physiques alors que dans le sprint les blessures se produisent souvent lors de mouvements linéaires et symétriques. Pour ces raisons, les sprinteurs sont plus susceptibles d’identifier la cause de leur blessure.
Effets du programme de prévention combiné sur le nombre de blessures aux ischios-jambiers pendants la course supra-maximale
Tous les sprinteurs ont renforcé leurs ischios-jambiers avec des flexion de genou, extension de hanche et deux types d’exercices excentriques. La puissance fournie par la contraction excentrique des fléchisseurs de genou et la contraction concentrique des extenseurs de hanche dans la dernière partie de la phase d’élan augmenterait de façon importante lors de courses supra-maximales. Ce type de course force donc les ischios-jambiers à s’activer à des niveaux extrêmement intenses. Chez les sprinteurs, ces forces élevées sont supposées être en lien avec des blessures.
La pratique de musculation, en particulier avec des charges excentriques, a montré son efficacité sur la prévention aux blessures pendant la course supra-maximale. En effet, dans cette étude, l’incidence des lésions aux ischios-jambiers pendant les courses supra-maximales a diminué dans les périodes 2 et 3, soit lors de l’ajout d’un entraînement de force concentrique et excentrique par rapport à la période 1.
Lors de l’entrainement spécial pour la course supra-maximale, des changements neuromusculaires positifs peuvent se produire, notamment une augmentation de la rigidité musculaire et une contraction musculaire plus efficace. Ce type d’entrainement est donc un moyen efficace d’améliorer la puissance mécanique des extenseurs de hanche et des ischios-jambiers, entrainant donc un mouvement plus rapide du membre inférieur lors de la course. La cadence de foulée sera plus élevée en course supra-maximale qu’en course maximale, mais l’augmentation excessive de la cadence est associée à un risque accru de blessure. Mero et Komi ont mis en avant l’importance d’une performance neuromusculaire efficace lors des courses supra-maximales ; certains réseaux neuronaux sont spécifiquement requis pour des vitesses locomotrices élevées et un contrôle neuronal approprié est un facteur clé dans la prévention des lésions des ischios-jambiers lors de courses avec des fréquences de foulée élevées.
L’entrainement en agilité est pratiqué comme un moyen d’apprendre des mouvements rapides pour faire face à un niveau de course supra-maximale. Des sprinteurs entrainés sur des échelles de rythme ou des mini-haies ont montré des vitesses de foulées supérieures ou égales à celles observées lors de courses supra-maximales. L’entrainement au mouvement à haute intensité nécessite un fort contact au sol avec le pied et exige l’apprentissage de nouveaux schémas de recrutement musculaire qui impliquent une entrée sensorielle périphérique. Cet apprentissage peut être fait grâce aux échelles de rythme et mini-haies, qui trouvent donc leur place dans les programmes de prévention des lésions.
Les étirements dynamiques, de par leurs similitudes avec les schémas de course supra-maximale, devraient faire partie intégrante des routines d’échauffement. L’objectif de ces étirements dynamiques est d’acquérir de la souplesse dans la région lombo-pelvienne et d’adapter les articulations à un état de souplesse lors de la course supra-maximale. Le mouvement de l’articulation de la hanche lors de ce type de course est probablement acquis en étirant les muscles ischios-jambiers et d’autres groupes musculaires tels que le quadriceps.
Les grandes lignes du programme d’entrainement n’ont pas changé pendant 24 ans : la combinaison de programmes de prévention, d’agilité, d’entrainement de la force et de la souplesse dynamique a permis de réduire l’incidence des blessures aux ischios-jambiers. Ce programme a particulièrement été efficace dans les courses supra-maximales, qui ont été pratiquées sur un petit nombre de courses en tenant compte de l’état de fatigue du sprinteur.
Effets du programme de prévention combiné sur le nombre de blessures aux ischios-jambiers pendants les courses sous-maximales et maximales
L’entrainement habituel a un volume et une intensité suffisante pour provoquer une surcharge, mais l’addition de plusieurs programmes tout au long de l’année entrainera une plus grande fatigue et une surcompensation plus importante. Cette réponse adaptative permettra au sportif de progresser et d’être plus en forme. Dans cette étude, même si le programme pouvait prévenir du risque de blessures aux ischios-jambiers, l’incidence des lésions lors des courses sous-maximales et maximales n’a pas diminué.
La fatigue influence l’activation et la fonction musculaire, la contrôle lombo-pelvien, la stabilité du genou, la rigidité du membre inférieur et le transfert d’énergie dans l’unité muscle-tendon. Les altérations de la cinématique de course à cause de la fatigue réduisent l’efficacité des exercices et augmentent le stress sur les unités contractiles musculaires, augmentant donc le risque de blessure.
En ce qui concerne la force musculaire, Small et al ont observé que le couple maximal excentrique des ischios-jambiers et le ratio fonctionnel ischios-jambiers / quadriceps ont été significativement réduits lors d’un protocole d’induction de fatigue. Cette caractéristique est d’autant plus importante que la vitesse de contraction est élevée. Pour la souplesse, l’amplitude des élévations actives jambes tendues diminue avec la fatigue. Enfin, l’agilité peut être altérée par la fatigue par la réduction de la coordination neuromusculaire. Dans l’entrainement habituel avec un grand nombre de courses, qui provoque une fatigue musculaire, l’augmentation de la force, la souplesse et l’agilité peut ne pas avoir d’effets positifs sur la performance des ischios-jambiers et la diminution du risque de blessure à cause d’une fatigue trop importante.
Suggestions pour l’entrainement
Dans le cadre d’un entrainement basé sur la course à pied, il est important de prendre en compte le temps fixé pour chaque course afin d’améliorer les performances mais aussi de prévenir le risque de blessure. En effet, un sprinteur qui n’arrive pas à atteindre le temps limite fixé l’entraineur en fonction de ses capacités fait surement face à une fatigue accrue. Ces tests de courses devraient être utilisés pour surveiller les sportifs et les exposer à un volume et une intensité appropriée en fonction de leur état de forme. Il est également important de prendre en compte la fatigue subjective, en utilisant par exemple avant l’entrainement une échelle numérique évaluant le degré de fatigue de l’athlète. Les entraineurs pourraient ainsi inciter les sprinteurs à s’arrêter ou à diminuer l’intensité de leur entrainement pour diminuer le risque de blessure. Un suivi attentif est nécessaire pour éviter les pics élevés de charge d’entrainement et prévenir le développement de lésions des ischios-jambiers.
Les futures recherches devraient se concentrer sur le développement d’une méthode capable de mesurer objectivement les conséquences liées à la fatigue musculaire et devraient davantage étudier le lien entre fatigue et apparition de blessures aux ischios-jambiers.
Conclusion
Le programme de prévention des blessures semble bien fonctionner pour un petit nombre de courses lors de l’entrainement en sprint. Les conditions de fatigue musculaire lors d’un grand nombre de courses améliorent l’efficacité des programmes de prévention chez les sportifs vulnérables au risque de lésions des ischios-jambiers.
Référence de l'article
Sugiura Y, Sakuma K, Fujita S, Aoki K, Takazawa Y. Effects of Various Numbers of Runs on the Success of Hamstring Injury Prevention Program in Sprinters. Int J Environ Res Public Health. 2022 Jul 30;19(15):9375. doi: 10.3390/ijerph19159375. PMID: 35954732; PMCID: PMC9367840.