Les protocoles de réhabilitation après LCA mettent prioritairement l’accent sur la restauration des amplitudes articulaires, le renforcement des quadriceps et des ischio-jambiers, le contrôle neuromusculaire et l’agilité. Pourtant, malgré ces stratégies bien établies, les chiffres restent préoccupants : seuls 55 à 65 % des patients retrouvent leur niveau antérieur de performance, et les taux de récidive avoisinent encore les 20%.
Dans ce contexte, les auteurs rappellent que les muscles du mollet — souvent négligés — exercent eux aussi une influence mécanique directe sur la cinématique tibiale et, indirectement, sur la contrainte exercée sur le LCA.
En situation normale, le soléaire joue un rôle de soutien en limitant la translation antérieure du tibia (effet agoniste vis-à-vis du LCA). Son effet de translation postérieure représente environ 28 à 32 % de celui des ischio-jambiers. De plus, le soléaire exerce également un léger moment de varus, contribuant à limiter les mouvements en valgus, qui sont une des causes biomécaniques des ruptures du LCA.
À l’inverse, le gastrocnémien exerce plutôt un effet antagoniste vis-à-vis du LCA, favorisant la translation antérieure du tibia, surtout en flexion . Cependant, par ses composantes médiale et latérale, il contribue aussi à moduler les rotations tibiales et les contraintes en valgus/varus selon l’activation des différentes portions musculaires.
L’analyse fine des patients en déficit LCA (ACLD) montre des adaptations notables du triceps sural :
- Le gastrocnémien médial présente une activation plus précoce et prolongée pendant le cycle de marche. Toutefois, l’amplitude globale d’activation (EMG) reste diminuée par rapport au côté sain.
- Lors des tâches dynamiques (sauts unipodaux, pivots), l'activité du gastrocnémien est désorganisée avec parfois une suractivation médiale et une sous-activation latérale.
- Des études ont également montré des délais d’activation et une prolongation de la contraction musculaire lors des sauts avec distraction ou réception imprévue.
Concernant le soléaire, les résultats sont moins abondants mais tout aussi préoccupants. On observe notamment :
- Une diminution de l’activation EMG durant la phase d’appui pendant la marche.
- Une hyperactivité compensatrice du soléaire lors de sauts unipodaux, visant à limiter la translation antérieure du tibia.
L’ensemble de ces adaptations traduisent une tentative de compensation neuromusculaire pour stabiliser le genou en l’absence de contrôle ligamentaire.
Les modifications de l’activité musculaire persistent de manière parfois durable après chirurgie :
- Jusqu’à 24 mois postopératoires, une diminution significative de l’activation EMG du soléaire a été documentée pendant les sauts.
- En parallèle, des retards d’activation et une réduction de la force du gastrocnémien sont observés lors des réceptions dynamiques.
- Certaines études signalent également une diminution de la force de propulsion et une altération de la coordination mollet-genou lors des accélérations et changements de direction.
Fait préoccupant : ces déficits sont souvent toujours présents chez des sportifs qui ont pourtant obtenu le feu vert pour la reprise sportive entre 9 et 12 mois postopératoires.
Les limitations du triceps sural post-ACLR génèrent des compensations plus globales :
- Une majoration du travail de l’articulation de la cheville lors des sauts verticaux (jusqu’à +37 % d’énergie absorbée par la cheville comparé au côté sain).
- Une moindre capacité d’absorption des charges dynamiques, susceptible d’augmenter les contraintes sur le genou, mais aussi sur le tendon d’Achille et les chaînes montantes
L’étude propose une feuille de route détaillée :
Dès le début de la rééducation, activer le soléaire et le gastrocnémien avec des techniques adaptées : électrostimulation (NMES), travail en charge partielle, et travail analytique léger (BFR) pour limiter l’amyotrophie et l’inhibition arthrogène.
Introduire progressivement un travail de force hypertrophique (67 à 85% du 1RM), dans différentes positions d’inclinaison de la cheville pour cibler les différents chefs du gastrocnémien et le soléaire selon les angles de flexion du genou.
Accentuer le travail excentrique, plyométrique et la vitesse de développement de force (RFD), pour restaurer les propriétés explosives indispensables au sport. Les auteurs recommandent d’atteindre un LSI (Limb Symmetry Index) de 90% sur le triceps sural avant tout retour au sport
En cas de déficit prolongé du triceps sural, le système de compensation via les structures passives est sur-sollicité : ligaments, tendons, cartilage. Ce phénomène pourrait expliquer certaines récidives de rupture du LCA, mais aussi des lésions secondaires au tendon d’Achille ou à l’ischio-jambier.
Le triceps sural joue un rôle direct dans la stabilisation antéro-postérieure et rotatoire du genou, complémentaire des quadriceps et ischio-jambiers.
Après LCA, des altérations neuromusculaires persistantes du soléaire et du gastrocnémien sont observées, même après la reprise sportive.
Ces déficits du mollet peuvent favoriser des stratégies compensatoires, augmentant les contraintes articulaires et le risque de récidive ou de nouvelles lésions.
Intégrer un travail précoce, progressif et structuré du triceps sural dans les protocoles de rééducation LCA devient essentiel pour sécuriser le retour au sport.