Facteurs de risque des blessures musculosquelettiques au Crossfit : revue systématique

kinesport

Introduction

Le Crossfit est un sport relativement nouveau qui se compose d’un enchaînement d’exercices variés et fonctionnels réalisés à haute intensité. Avec plus de 15000 adhérents à travers le monde, il est l’un des sports les plus pratiqué dans la communauté fitness. Le Crossfit comporte une grande variété de modalités d’exercices, incluant de l’haltérophilie, de la gymnastique et du travail d’endurance permettant d’améliorer la forme physique globale.

Le taux de blessures dans le Crossfit évolue entre 0,2 et 18,9 pour 1000 heures, ce qui est comparable aux autres sports de développement de la force tels que l’haltérophilie. Identifier les facteurs de risque de blessure est un point clé essentiel de la prévention, mais peu de recherches ont été faites sur le Crossfit. Seulement deux revues systématiques ont analysé les facteurs de risque dans ce sport et ont identifié que des antécédents de blessures ainsi qu’un manque de connaissance des coachs étaient en lien avec un risque plus important. En revanche, la qualité limitée des études incluses n’a pas permis aux auteurs de tirer des conclusions plus solides.
Avis du Pôle Scientifique Kinesport
Pastille verte
Cette revue systématique respecte les principaux critères méthodologiques permettant de limiter les risques de biais.
L’objectif de cette étude est donc de déterminer les potentiels facteurs de risque de blessure dans le Crossfit à travers une revue systématique de la littérature actuelle, ainsi qu’une méta-analyse si celle-ci est possible. Il s’agit de la première revue systématique à fournir une synthèse des meilleures preuves actuelles dans le Crossfit, en se basant sur les résultats d’études de cohortes prospectives. Les études transversales seront également examinées afin d’identifier de nouveaux facteurs de risque. Cela devrait permettre de résumer de manière exhaustive la littérature actuelle et d’avoir un aperçu structuré de tous les facteurs de risque potentiels afin d’éclairer les futures stratégies de prévention.

Méthode

La recherche d’articles sur les pathologies du Crossfit a été faite sans limite de temps jusqu’en Juin 2021 sur les bases de données Embase, Medline, Web of Science, Cochrane, CINAHL, Google Scholar et SportDiscuss. Les critères d’inclusions étaient les suivants :
  • Participant homme ou femme de tout âge exerçant du Crossfit
  • Étude investiguant au moins une variable indépendante associée à une blessure
  • Blessure ayant nécessité une intervention médicale ou ayant entrainé un arrêt temporaire de la pratique sportive
  • Étude de cohorte prospective ou étude cas-témoins avec au minimum 20 participants
Les études transversales ont aussi été incluses dans l’objectif d’identifier de nouveaux facteurs de risque. Bien que leur niveau de preuves soit plus faible que les autres catégories d’études, elles peuvent mettre en lumière de nouveaux facteurs de risques qui seront à investiguer dans de futures recherches. Leurs résultats ont donc été analysés de façon séparée. Chaque étude prospective a fait l’objet d’une analyse du risque de biais (ROB ; risk of biais), en utilisant le score QUIPS, et a été classée en ROB faible ou ROB élevé. La méta-analyse n’a pas été réalisée car il aurait fallu inclure des études avec des ROB élevés ; les auteurs ont donc décidé de ne pas les regrouper afin d’éviter d’augmenter le risque de biais.
Deux auteurs ont indépendamment examiné les articles et ont extrait les données en utilisant des formulaires d’extraction de données standardisés ; les divergences ont été résolues par un troisième examinateur. Les données récoltées étaient : détails de la publication, conception de l’étude, méthode de collecte de données, durée de l’étude, nombre de participants sains et blessés, description de la population étudiée, définition de la blessure et variables dépendantes et indépendantes (type de blessure et facteur de risque, respectivement). Pour chaque facteur de risque, les auteurs ont extrait les rapports de risque (RR), les rapports de cotes (OC ; odds ratios) ainsi que les différences moyennes (MD) avec les intervalles de confiance (IC) correspondant et leur signification (valeur p).
Les facteurs de risque ont été classés en modifiable ou non-modifiable. Les facteurs de risque non-modifiables ont été répartis dans trois autres sous-catégories en fonction des caractéristiques de l’athlète, de l’entraineur et de l’entrainement.

Résultats

La recherche initiale d’articles a identifié 9452 études potentielles. Après avoir retiré les doublons, analysé les extraits puis les textes complets, un total de 15 études a été inclut pour l’analyse. 3 d’entre elles étaient des études prospectives qui ont été intégrées à cette synthèse des meilleurs preuves et 12 étaient des études transversales qui ont été analysées de façon séparée.

Les cohortes prospectives avaient des périodes de suivit allant de 8 à 12 semaines. Les dates de publication allaient de 2017 à 2020 et les études ont été réalisées au Brésil (117 participants / 14 blessures), au Danemark (168 participants / 25 blessures) et au Royaume-Unis (406 participants / 133 blessures). Au total, 691 participants dont 172 avec une blessure ont été inclus. Les participants étaient pour 315 des hommes et 376 des femmes, avec une moyenne d’âge de 32 ans et de tout niveau en Crossfit.

Les études transversales sélectionnées étaient au nombre de 12, pour un total de 6062 participants dont 2050 ayant connu un épisode de blessure. Les dates de publication étaient comprises entre 2014 et 2021, la taille des échantillons était comprise entre 121 et 3049 participants, avec une médiane à 270, et le nombre de blessés évoluait entre 43 à 931 par étude, avec une médiane à 30. L’étude de Summitt et al a analysé les facteurs de risque pour l’épaule seulement et l’étude de Twafik et al pour la main et le poignet. Les autres études ont étudié les facteurs de risque sans différencier la localisation des blessures, et des définitions hétérogène de « blessure » étaient utilisées. Enfin, trois des études ont rajouté en critère d’inclusion une pratique de Crossfit depuis au moins 6 mois alors que les autres études ont inclus des participants avec des expériences mixtes.

Concernant le ROB, il n’y a pas eu de désagrément entre les deux auteurs. En se basant sur les critères prédéfinis, deux études avaient un ROB faible et une avait un ROB élevé. Il est important de noter que les mesures des résultats, les constructions d’études et les analyses statistiques présentaient un ROB faible dans les trois études. En revanche, un ROB élevé a été trouvé sur la participation ainsi que sur les abandons pendant l’étude.

17 facteurs de risque différents ont été investigués dans les 3 études de cohortes prospectives et ont été classés dans 4 catégories : non-modifiable, modifiable (pour l’athlète), en relation avec l’encadrement de l’entrainement, en relation avec les caractéristiques de l’entrainement. La figure suivante résume ces facteurs de risque.

 Facteurs de risque non-modifiables

  • Age : les preuves sont contradictoires sur cette donnée, avec une étude de faible ROB indiquant qu’un âge plus faible était lié à une augmentation du risque de blessure, et deux études (une de faible ROB et une de ROB élevé) n’ayant pas relevé d’association entre âge et risque de blessure.
  • Sexe : les résultats sont là aussi contradictoires, avec une étude à haut ROB indiquant que les hommes présentaient plus de blessures que les femmes, et deux autres études n’ayant pas trouvé d’association entre ces facteurs.
  • Historique athlétique : il existe de faibles preuves que les antécédents sportifs et l’exposition à différents sports avant le Crossfit n’influencent pas le risque de blessure
  • Antécédents de blessure : les résultats sont contradictoires, avec une étude à faible ROB indiquant qu’un antécédent de blessure était en lien avec une augmentation du risque de nouvelle blessure, et deux autres études (ROB faible et ROB élevé) ne rapportant pas d’association

 Facteurs de risques modifiables 

Ces facteurs concernent les caractéristiques spécifiques et modifiables de l’athlète. L’indice de masse corporelle, le mode de vie ainsi que la force et la mobilité ont été évalués et selon toutes les études, aucun de ces paramètres n’a d’influence sur le risque de blessure. Le mode de vie comprenait le suivi des recommandations quotidiennes d’activité physique et la consommation hebdomadaire d’alcool. La mobilité a été évaluée selon le Functional Movement Screen (FMS) par une étude à haut ROB et elle ne semblait pas augmenter le risque de blessure.

 Encadrement de l’entrainement

  • Caractéristique du cours de Crossfit : la présence d’un cours d’introduction à la pratique ne semble pas avoir d’influence sur le risque de blessure. La variation d’entraineur (avoir toujours le même ou changer régulièrement d’entraineur) ainsi que la démonstration propre des mouvements ne semblent pas avoir d’impact sur le risque de blessure
  • Implication de l’entraineur : une étude à haut ROB a indiqué avec un faible niveau de preuve que le niveau d’implication et la présence de l’entraineur n’augmentaient pas le risque de blessure

 Caractéristiques de l’entrainement

  • Temps de participation : une étude à faible ROB a rapporté avec un faible niveau de preuves que l’augmentation du temps de participation au Crossfit était en lien avec une diminution du risque de blessure
  • Entrainement hebdomadaire, jour de repos et exposition : deux études à faible ROB ont rapporté, avec un haut niveau de preuve, que l’augmentation du nombre de jours d’entrainement par semaine n’augmentait pas le risque de blessure
  • Participation à d’autre sports : Des preuves de haute fiabilité montrent que l’implication dans d’autres sports n’affecte pas le risque de blessure
  • Niveau d’entrainement : il existe de faibles preuves que le passage d’une charge prescrite à une charge échelonnée (dans les deux sens) pendant l’entrainement augmente le risque de blessure, selon une étude de faible ROB
  • Modalités d’entrainement : le nombre d’entrainements non-supervisés par semaine ne semble pas avoir d’influence sur le risque de blessure selon une étude à faible ROB. Une autre étude à faible ROB a déterminé que les facteurs suivants n’avaient pas d’incidence sur le risque de blessure : pratiquer des étirements, pratiquer des exercices de prévention et utiliser des équipements de protection pendant les exercices
Les études transversales ont exploré 33 facteurs de risque potentiels. Les critères suivants ont été identifiés comme augmentant le risque de blessures :
  • Sexe masculin
  • Augmentation de la taille et augmentation de la masse corporelle
  • Pratiquer d’autres activités physiques que le Crossfit
  • Être un pratiquant occasionnel
  • Pratiquer des entrainements intenses à charge lourde
Un plus haut niveau d’implication de l’entraineur est associé à une diminution du risque de blessure.
Deux études ont rapporté que la pratique en compétition était associée à une augmentation du risque de blessure alors qu’une étude a identifié les athlètes pratiquant en compétition comme moins susceptibles de se blesser. L’augmentation de la durée de participation était associée à une augmentation du risque de blessure dans 6 études alors qu’une étude y a associé une diminution du risque. Enfin, s’entrainer moins de 3 fois par semaine était associé à un risque de blessure accru selon deux études, ce qui contraste avec une autre étude qui a rapporté que l’augmentation du nombre d’entrainement par semaine était associée à une augmentation du risque de blessure.

Du fait de la présence de seulement deux études avec un faible ROB, la méta-analyse n’a pas été réalisée lors de cette étude.

Discussion

 Résumé des principaux résultats

L’objectif de cette étude était d’identifier les principaux facteurs de risque de blessure dans le Crossfit afin de guider les futures recherches et de permettre le développement de programmes de prévention. Il existe des preuves de niveau limité que le passage d’une charge prescrite à une charge échelonnée pendant l’entrainement est associé à une augmentation du risque de blessure et que l’augmentation de la durée de participation est un facteur protecteur. Les preuves sont conflictuelles pour les facteurs de risques suivants : âge plus avancé, sexe masculin, antécédent de blessure. Pour les autres potentiels facteurs de risque, les preuves ne sont pour le moment pas suffisantes. 

 Implications

Ces découvertes sont pertinentes dans la pratique clinique mais aussi pour les futures recherches au vue de la popularité croissante du Crossfit. Les résultats montrent que la charge de travail et le niveau d’expérience peuvent être des facteurs importants dans l’étiologie des blessures, ce qui signifie que les pratiquants novices ainsi que ceux augmentant leur charge de travail devraient être particulièrement surveillés par les coachs. Cela implique aussi que l’échelonnage progressif, qui consiste à ajuster en permanence la difficulté des entrainements afin que les athlètes fatigués puissent continuer leur entrainement, devrait être éviter chez les débutants. Il n’est pas complètement garanti qu’appliquer ces précautions diminue de façon significative le risque de blessure à cause du niveau de preuve limité et de la faible taille d’effet, mais ces facteurs méritent de faire l’objet de futures recherches.
Les niveaux de preuves sont insuffisants pour savoir s’il existe ou non une relation entre blessure au Crossfit et antécédent de blessure, sexe masculin et augmentation de l’âge. Il a été suggéré que des antécédents de blessure modifient l’interaction entre tous les facteurs de risque, et ils ont plusieurs fois été rapportés comme des facteurs de risque important d’une nouvelle blessure dans de nombreux sports. Ensuite, plusieurs études ont rapporté une influence du sexe sur le risque ainsi que sur la spécificité des blessures. Une explication sur cette différence pourrait être les croyances des hommes, qui serait moins à l’écoute des conseils de leur entraineur et dont le comportement plus agressif et compétitif pourrait augmenter le risque de se blesser. Néanmoins, certaines différences semblent s’expliquer par la différence de charge d’entrainement entre hommes et femmes, et une étude de Feito et al sur le Crossfit sur 3049 participants n’a pas mis en avant de différences entre le taux de blessure pour 1000 heures de pratique entre les hommes et les femmes. Enfin, il semblerait que l’adaptation aux charges de travail à haute intensité ait tendance à diminuer lorsque l’athlète avance dans l’âge ce qui implique que des pratiquants plus âgés peuvent être plus à risque de blessure.

 Comparaison avec la littérature existante 

Plusieurs revues systématiques ont examiné les facteurs de risque de blessure dans le Crossfit dont deux ayant permis une synthèse claire de la littérature actuelle. Cette étude apporte une contribution significative aux précédentes revues de littérature, tout d’abord en utilisant une stratégie de recherche plus élaborée et en recherchant dans une plus grande base de données pour inclure plus d’articles (5129 au départ de cette étude contre 280 et 718 dans les précédentes). De plus, deux études récentes ont été incluses alors qu’elles n’avaient jamais été examinées auparavant. Enfin, cette étude donne une vue d’ensemble élargie et complète de la littérature actuelle sur les facteurs de risque de blessure au Crossfit en fournissant une synthèse avec les meilleures preuves, malgré le peu d’études présentant un faible risque de biais.

 Recommandations

Les futures études de cohortes prospectives devraient investiguer d’avantage la durée de participation et les caractéristiques de la charge d’entrainement en tant que facteurs de risque indépendants pour les blessures liées au Crossfit. Dans cette étude, les périodes de suivi des revues étaient de 8 à 12 semaines, mais un suivi plus long serait préférable. La littérature actuelle ne permet pas de conclure sur le rôle des blessures antérieures, du sexe masculin et de l’âge sur le risque de blessure, ce qui devrait être examiné dans le futur. Enfin, les prochaines études devraient examiner le rôle potentiellement protecteur de l’implication de l’entraineur car une étude transversale a associé un niveau élevé d’implication à une diminution du risque de blessure, ce qui pourrait prendre une place importante dans le cadre de la prévention.

Conclusion

Sur la base de trois études de cohortes prospectives dont 2 présentaient un risque de biais faible, il existe des preuves limitées que le passage de la charge prescrite à la charge réduite pendant l'entraînement est associé à un risque accru de blessure et que l'augmentation de la durée de la participation est un facteur de protection contre les blessures. Cela pourrait signifier que les athlètes novices en CrossFit et les personnes qui augmentent leur charge d'entraînement devraient être surveillés de plus près par les entraîneurs de CrossFit. Ces facteurs de risque devraient être pris en compte lors de l'élaboration de futures interventions préventives.

Référence article

Mehrab M, Wagner RK, Vuurberg G, Gouttebarge V, de Vos RJ, Mathijssen NMC. Risk Factors for Musculoskeletal Injury in CrossFit: A Systematic Review. Int J Sports Med. 2023 Apr;44(4):247-257. doi: 10.1055/a-1953-6317. Epub 2022 Sep 29. PMID: 36174660; PMCID: PMC10072928.