Carences énergétiques, troubles menstruels et faible densité minérale osseuse chez les sportives : une revue systématique

Kinesport
La triade de la sportive, telle que décrite à l'origine en 1992, constituait un syndrome caractérisé par des troubles de l'alimentation, des troubles menstruels et une faible densité osseuse. En 2007, l'American College of Sports Medicine (ACSM) a souligné l'importance de la disponibilité énergétique chez les sportives et a redéfini les composantes du syndrome. Selon la position de l'ACSM, la triade consiste en un spectre de composantes entrelacées qui comprennent une faible disponibilité énergétique avec ou sans troubles de l'alimentation, des troubles menstruels et une faible densité minérale osseuse (DMO). La définition actuelle se concentre sur le statut énergétique de l'athlète, qui constitue le cœur de la triade de l'athlète féminine. Différents niveaux de disponibilité énergétique contribuent aux composantes du syndrome, sur un continuum allant des cycles menstruels optimaux et de la santé osseuse aux troubles menstruels subcliniques et à l'ostéopénie, en passant par l'aménorrhée et l'ostéoporose. Bien que l'on parle d'une triade, l'athlète ne développe pas nécessairement les trois composantes en même temps.  
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette revue systématique est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
La majorité des études ont examiné la triade des athlètes féminines en se concentrant sur le spectre des troubles alimentaires comme seule cause de la faible disponibilité énergétique, tout en négligeant les causes alternatives. Cela ne tient pas compte de l'objectif de la modification de la définition de la triade, qui était de souligner l'importance de la faible disponibilité énergétique, quelle qu'en soit la cause.

De plus, la plupart des études portent exclusivement sur des populations sportives, sans groupe contrôle pour comparer la prévalence des composantes de la triade afin de tirer des conclusions plus solides. Ainsi, l'objectif principal de cette revue était d'étudier de manière systématique l'impact du sport sur le statut énergétique des sportives professionnelles par rapport à des témoins sédentaires et actifs de manière récréative, en ce qui concerne leur statut menstruel et leur densité minérale osseuse (DMO). Un résultat secondaire était l'évaluation de la prévalence combinée des composants de la triade des sportives par rapport aux non-sportives.

Méthode

Une revue systématique de la littérature a été effectuée sur les bases de données MEDLINE, Scopus et CENTRAL en février 2020.

Les études considérées comme éligibles étaient celles qui examinaient le statut énergétique en conjonction avec le statut menstruel et la densité minérale osseuse (DMO) chez des sportives professionnelles en âge de procréer par rapport à des non-sportives appariées en âge (femmes sédentaires ou actives de manière récréative). Les revues ont été exclues ainsi que les études sur des animaux, les études non-originales, les lettres à l'éditeur, les études de cas et les études sans groupe contrôle.
Les données suivantes ont été extraites
  • Caractéristiques de l’étude
  • Caractéristiques de la population (nombre de sportives/actives/sédentaires, âge, type de sport, taille, poids, âge, IMC, pourcentage de masse grasse)
  • Caractéristiques des statuts énergétiques (moyenne des apports journaliers, dépense énergétique quotidienne moyenne à l'effort, masse maigre, niveaux de disponibilité énergétique)
  • Schémas menstruels (normal, aménorrhée primaire, oligoménorrhée, aménorrhée secondaire) 
L’échelle de Newcastle-Ottawa (NOS) a été utilisée pour évaluer la qualité des études incluses. 

Résultats

La recherche initiale a trouvé 105 études et au final, 4 études ont été considérée comme éligibles pour cette revue systématique
  • Toutes les études étaient des études transversales
  • 3 études ont été conduites en Amérique et 1 en Afrique
  • Le nombre total de sportives professionnelles était de 175 
  • Le nombre total de non-sportives étaient de 161 
  • La majorité était en âge d’être scolarisé 
  • Les types de sports variait et incluait des coureuses, des joueuses de tennis, des danseuses et des athlètes universitaires 

 Disponibilité énergétique 

Dans toutes les études, la disponibilité énergétique a été calculée indirectement en utilisant la formule suivante :

« Disponibilité énergétique = apport énergétique quotidien moyen (kcal/jour) – dépense énergétique quotidienne moyenne (kcal/jour) / masse maigre (kg) »

Toutes les études ont enregistré les comportements alimentaires des deux groupes à l'aide de questionnaires afin de déterminer la prévalence des sportives et des non-sportives souffrant de troubles ou des perturbations du comportement alimentaires.
  • Dans trois études, les niveaux d'énergie étaient plus faibles chez les sportives professionnelles que chez les non-sportives ; par conséquent, une faible disponibilité énergétique clinique était plus fréquente dans le groupe des sportives
  • Cependant, dans une étude, aucune différence n'a été notée, avec une prévalence similaire de la faible disponibilité énergétique parmi les groupes
  • La faible disponibilité énergétique était fréquente dans la population sportive dans deux études sur quatre : les troubles alimentaires se sont développés avec la même fréquence dans les groupes examinés, la majorité des sportives avec une faible disponibilité énergétique subclinique présentant des troubles alimentaires subcliniques dans une étude.
  • Dans l'étude de Hoch et al., les participants ont obtenu des scores faibles aux questionnaires sur les troubles alimentaires, puisque seulement 4 % des sportives et 6 % des non-sportives présentaient des troubles alimentaires cliniques.

 Statuts menstruels 

En ce qui concerne les troubles menstruels, toutes les études concordent
  • 77 sportives sur 175 ont développé des troubles menstruels, contre 29 sur 161 non-sportives, confirmés soit par des questionnaires, soit par l'analyse du profil hormonal. 
  • Les manifestations cliniques prédominantes des troubles menstruels étaient l'oligoménorrhée et l'aménorrhée primaire ou secondaire dans les cas les plus graves. 
  • Par ailleurs, l'utilisation de contraceptifs oraux était considérée comme un critère d'exclusion dans la majorité des études (3/4). 
  • Un autre résultat important a été obtenu dans l'étude de Doyle-Lucas et al. qui a démontré que le groupe de sportives souffrant de troubles menstruels présentait simultanément des troubles alimentaires

 Densité minérale osseuse (DMO)

La DEXA est la méthode recommandée pour évaluer la DMO chez les femmes préménopausées. Conformément aux directives établies par l'International Society for Clinical Densitometry (ISCD), des scores Z (ajustant la DMO des individus à des témoins appariés selon l'âge et le sexe) ont été déterminés pour chaque zone de densité osseuse respective dans trois des études.
  • Il est intéressant de noter qu'une étude n'a pas démontré de différence dans la DMO totale ou les scores Z, même si les valeurs moyennes étaient plus faibles dans le groupe des sportives que dans celui des non-sportives. Inversement, les scores Z de la colonne vertébrale postéro-antérieure et du fémur étaient plus élevés chez les sportives professionnelles, sans toutefois montrer de différence par rapport aux non-sportives. Cependant, la juxtaposition de l'état menstruel avec la DMO a montré une dégradation progressive des scores Z, passant d'un état menstruel optimal à des troubles menstruels
  • Dans une autre étude, les niveaux de DMO étaient comparables entre les sportives professionnelles et les non-sportives, tant au niveau de la colonne lombaire que du corps entier. Lorsque les scores Z étaient pris en considération, 6 sportives professionnelles (25%) et 7 adolescentes non sportives (33,3%) présentaient un score Z ≤ -1.0, sans différence entre ces fréquences, alors que le score Z ≤ -2,0 SD n'a été montré que chez une seule femme non sportive (4,8%), qui a été identifiée comme ayant une faible DMO pour l'âge chronologique selon les critères de l'ISCD. 
  • De même, dans l'étude de Hoch et al, les non-sportives présentant un score Z ≤ 2,0 étaient plus nombreuses que les sportives professionnelles (10% contre 3%). Les mêmes résultats ont été observés pour le score Z entre -1,0 et -1,9, avec 16 non-athlètes contre 11 athlètes professionnels (20% contre 13%).
  • Cependant, chez les coureurs d'élite, en raison de l'indisponibilité de la DEXA, la DMO a été estimée avec un osteodensitomètre à ultrasons au niveau du calcaneus (talon), ce qui a donné une indication de la différence de DMO estimée entre les sportives professionnelles et les non-sportives. Dans cette étude particulière, la DMO estimée du calcanéum avait tendance à être plus élevée chez les sportives professionnelles que chez les non-sportives.

 Prévalence des composants de la triade 

Toutes les études ont mesuré la prévalence de la triade ainsi que la fréquence concomitante de deux composantes du syndrome dans les deux groupes.
  • Muia et al. ont constaté que les sportives professionnelles étaient significativement plus nombreuses que les non-sportives à présenter une combinaison de disponibilité énergétique cliniquement faible et de troubles menstruels. Cependant, les associations entre les troubles menstruels, la faible disponibilité énergétique et la faible DMO n'ont pas été examinées.
  • Doyle-Lucas et al. ont obtenu les mêmes résultats en ce qui concerne la présence concomitante d'une faible disponibilité énergétique et de troubles menstruels. En ce qui concerne ces derniers résultats, seulement six des athlètes ont développé les trois composantes de la triade.
  • Dans l'étude de de Oliveira Coelho et al, une seule sportive des deux populations présentait toutes les composantes de la triade de la sportive, tandis que 12 sportives professionnelles développaient simultanément deux composantes du syndrome. Même si les non-sportives présentaient une seule composante du syndrome à des fréquences variables, aucune ne présentait au moins deux éléments de la triade.
  • Dans l'étude de Hoch et al., un seul participant de chaque groupe a développé les trois composantes du syndrome. Cependant, le déficit énergétique accompagné de troubles menstruels s'est développé chez 14 sportives professionnelles et 8 non-sportives (18 % contre 10 %), tandis que le déficit énergétique associé à une faible DMO a été observé chez 3 athlètes professionnels et 4 non-athlètes (4 % contre 5 %). La présence de troubles menstruels associés à une faible DMO a été observée chez 6 sportives professionnelles et 8 non-sportives ayant un statut énergétique optimal.

Discussion

Il s’agit de la première revue à examiner de façon systématique la prévalence de la faible disponibilité énergétique combinée avec des troubles menstruels et une faible densité minérale osseuse (DMO) chez des sportives professionnelles comparées à des non-sportives. En d'autres termes, la présente revue systématique a évalué la prévalence du syndrome de la triade de la sportive à la lumière du fait que la définition de la triade a été modifiée en 2007. La principale conclusion de cette analyse est que le syndrome est plus répandu chez les sportives professionnelles que chez les non-sportives dans la majorité des études, à l'exception d'une seule dans laquelle la prévalence de la triade était la même dans les deux groupes.

La prévalence d'une faible disponibilité énergétique associée à des troubles menstruels était plus importante chez les sportives professionnelles que chez les non-sportives. De même, chacune des composantes de la triade, prise séparément, était plus fréquente chez les sportives professionnelles. Cependant, une étude a montré que même si les troubles menstruels étaient fréquents chez les athlètes professionnelles, les deux groupes avaient des niveaux d'énergie comparables et, par conséquent, une prévalence équivalente de faible disponibilité énergétique.

Conclusion

  • Les sportives professionnelles sont sujettes à une faible disponibilité énergétique ou à des composants isolés de la triade de la sportive
  • En raison du nombre limité d'études examinant l'incidence des composantes de la triade chez les femmes non-sportives, il est impossible à ce jour de tirer des conclusions définitives sur le risque de faible disponibilité énergétique et l'apparition ultérieure de troubles menstruels et de faible DMO.
  • Les données disponibles montrent que les non-sportives sont également sujettes à une faible disponibilité énergétique, quelle qu'en soit l'origine, et à l'émergence ultérieure des composantes de la triade.
  • Il est donc impératif, dans les études futures, d'examiner la triade de la sportive non seulement chez les sportives professionnelles, mais aussi chez les filles et les femmes non-sportives, du point de vue du statut énergétique, étant donné qu'il constitue la pierre angulaire de la triade.
  • Il est essentiel de poursuivre les recherches sur cette question importante et de mettre en place des programmes éducatifs sur la triade, destinés aux entraîneurs, aux sportives et aux parents. L'éducation des sportives sur les composantes et les risques potentiels pour la santé du syndrome joue un rôle important dans la prévention de la triade de la sportive.

L'article

Skarakis NS, Mastorakos G, Georgopoulos N, Goulis DG. Energy deficiency, menstrual disorders, and low bone mineral density in female athletes: a systematic review. Hormones (Athens). 2021 Sep;20(3):439-448. doi: 10.1007/s42000-021-00288-0. Epub 2021 Apr 22. PMID: 33884586.