Efficacité des traitements des lombalgies non-spécifiques mécaniques aiguës et subaiguës : une revue systématique avec méta-analyse en réseau

Apr 29 / Kinesport
La lombalgie est un symptôme courant chez les personnes de tous âges et de tous statuts socio-économiques. La prévalence ponctuelle mondiale de la lombalgie (aiguë, subaiguë et chronique) était de 7,83 % en 2017, avec 577 millions de personnes touchées à tout moment. Bien qu'une cause spécifique de lombalgie puisse rarement être identifiée, le type le plus répandu est la lombalgie mécanique non spécifique (NS-LBP).

La plupart des recommandations s'accordent sur la première intention de soins en cas d'épisode aigu : conseils, réconfort et incitation à pratiquer une activité physique légère. Lorsqu'un traitement de deuxième intention est nécessaire, une gamme d'interventions thérapeutiques (pharmacologiques et physiothérapie) pour les lombalgies non-spécifiques (NS-LBP) aigues sont disponibles. Les effets relatifs des diverses options de traitement, lorsque chaque option est comparée à toutes les autres, ne sont pas bien connus. Cette incertitude se reflète dans la variété des recommandations contenues dans les récentes guidelines pour la NS-LBP aiguë. L’objectif de cette étude est donc d’explorer l'efficacité relative des traitements actuellement disponibles pour la lombalgie mécanique non spécifique aiguë et subaiguë en termes de bénéfices et d'inconvénients.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette méta-analyse est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.

Méthode

Cette étude est une revue systématique de la littérature avec méta-analyse en réseau (NMA)

 Critères d’inclusion des études

  • Essais contrôlés randomisés (RCT) incluant à la fois des hommes et des femmes adultes, qui avaient ressenti des douleurs pendant jusqu’à 12 semaines en raison d’une NS-LBP aigüe ou subaigüe
  • Traitements non pharmacologiques (par exemple la thérapie manuelle), y compris l’acupuncture et le Dry Needling ou traitements pharmacologiques pour diminuer la douleur et/ou l’incapacité en tenant compte de tous les paramètres d’administration.
  • Comparaison à un traitement placebo ou à aucun traitement
 Variables d’intérêts mesurées 
  • Critères de jugement principaux : douleur et incapacité/invalidité
  • Critères de jugement secondaires : effets indésirables

Le suivi a été classé en : effets immédiats (proche d’une semaine), suivi à court terme (le plus proche de 1 mois), suivi à moyen terme (le plus proche de 3 à 6 mois), suivi à long terme (le plus proche de 12 mois)

Résultats

Après élimination des doublons, 6779 articles ont été récupéré et 6389 ont été écartés. Le texte intégral des 390 articles restants a été examiné et 344 ne répondaient pas aux critères d’inclusion. 
  • Finalement 46 études ont été incluses 
  • Un total de 8765 participants a été inclus dans les 46 RCT

 Douleur

La douleur a été évaluée 
  • Dans 35 études lors du suivi immédiat (1 semaine)
  • Dans 16 études à court terme (1 mois) 
  • Dans 13 études à moyen terme (3-6 mois) 
  • Dans 9 études à long terme (12 mois)

 Effets immédiats

La méta-analyse en réseau (NMA) de la douleur à 1 semaine a montré que l'exercice, l'enveloppement thermique, les opioïdes, la thérapie manuelle et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS - NSAIDs) réduisaient significativement la douleur par rapport au traitement inerte (= traitement placebo ou aucun traitement).

 Le traitement le plus efficace était l'exercice (89.2%) et le moins efficace était le traitement inerte (10.7%)

Suivi à court terme

La NMA de la douleur à court terme (1 mois) a montré que la thérapie manuelle réduisait significativement la douleur par rapport au traitement inerte (placebo ou aucun traitement)

 Le traitement le plus efficace était la thérapie manuelle (91,1 %) et le moins efficace était l'éducation (4,9 %)

Suivi à moyen terme

La NMA de la douleur à moyen terme (3-6 mois) a montré un réseau déconnecté.

 La thérapie manuelle était supérieure au traitement inerte (placebo ou aucun traitement) pour réduire la douleur à 3-6 mois

Suivi à long terme

La NMA de la douleur à long terme (12 mois) n’a montré aucune intervention statistiquement significative par rapport au traitement inerte (placebo ou aucun de traitement)

 Le traitement le plus efficace était la thérapie cognitivo-comportementale (73,7 %) et le moins efficace était le traitement inerte (placebo ou aucun traitement) (15,3 %).

 Incapacité/invalidité

L’incapacité/invalidité a été évaluée
  • Dans 21 études lors du suivi immédiat (1 semaine)
  • Dans 14 études à court terme (1 mois) 
  • Dans 11 études à moyen terme (3-6 mois) 
  • Dans 7 études à long terme (12 mois)

 Effets immédiats

La NMA de l'incapacité/invalidité immédiate (1 semaine) a montré des points d'incohérence. Les incohérences ont été expliquées par l'analyse des sous-groupes
  • Dans le groupe non pharmacologique, l'exercice, l'enveloppement thermique, la thérapie manuelle et l'éducation étaient significativement plus efficace par rapport au traitement inerte (placebo ou aucun traitement).
 Le traitement le plus efficace était la thérapie manuelle (80,3 %) et le moins efficace le traitement inerte (placebo ou aucun traitement)
  • Dans le groupe pharmacologique, les AINS et les myorelaxants étaient significativement plus efficaces par rapport au traitement inerte
 Le traitement le plus efficace était les AINS (94,6 %) et le moins efficace le traitement inerte (placebo ou aucun traitement)

Effets à court terme

La NMA de l'incapacité/invalidité à court terme (1 mois) a montré des points d'incohérence.
 La thérapie manuelle s'est avérée statistiquement significative par rapport à l'éducation et à l'exercice
 Une tendance positive a été constatée en faveur des stéroïdes à faible dose par rapport aux AINS.

Effets à moyen terme

La NMA de l'ncapacité/invalidité à moyen terme (3-6 mois) a montré un réseau déconnecté :
 Les stéroïdes à faible dose étaient significativement plus efficaces par rapport aux AINS
 La thérapie manuelle étaient significativement plus efficaces par rapport à l'éducation et l'exercice.

Effets à long terme

La NMA de l'invalidité à long terme (12 mois) a montré qu'aucune intervention n'était statistiquement significative par rapport au traitement inerte (placebo ou aucun traitement).
 Le traitement le plus efficace était la thérapie cognitivo-comportementale (68,5 %) et le moins efficace était le traitement inerte (22,7 %).

 Effets indésirables 

26 études (56.5%) ont fait état d’événements indésirables :
 Aucun événement n’a été signalé pour l’acupuncture, l’éducation, l’exercice ou la thérapie manuelle
 Des événements bénins ou modérés sont survenus avec l’utilisation d’enveloppements thermiques, de relaxants musculaires, d’AINS, d’opioïdes, de paracétamol, de stéroïdes et de traitements inertes (placebo ou aucun traitement)

Aucune étude n’a fait état d’événements invalidants ou de décès liés au traitement et une seule a rapporté 3 événements indésirables graves (1 dans le groupe AINS et 2 dans le groupe de traitement inerte).

Les effets indésirables bénins ou modérés sont survenus le plus souvent dans le groupe opioïdes (65.7%), des AINS (54.3%) et des stéroïdes (46.9%) mais comme les rapports sur les effets indésirables étaient hétérogènes quand au nombre de personnes souffrant de NS-LBP au nombre d’événements, il n’est pas possible de quantifier ces données.

Discussion

Bien que les auteurs des revues systématiques publiées précédemment sur la manipulation vertébrale, l'exercice et l'enveloppement thermique n'aient pas effectué d'NMA, leurs résultats se recoupent avec ceux de cette étude : l'exercice (par exemple, de contrôle moteur ou de McKenzie), l'enveloppement thermique et la thérapie manuelle (par exemple, la manipulation vertébrale, la mobilisation, les points triggers ou toute autre technique) se sont avérés réduire l'intensité de la douleur et l'incapacité chez les adultes présentant des phases aiguës et subaiguës de NS-LBP. Ces traitements doivent être adaptés aux besoins et aux préférences du patient.

Il existe un fossé entre la littérature scientifique actuelle sur la NS-LBP et les actions globales entreprises pour contrer les troubles musculosquelettiques. A ce jour, les plus grandes divergences entre les RCT et les initiatives globales de prise en charge sont les nouvelles orientations des systèmes de classification, qui sont passés d'un système dépendant du temps (aigu, subaigu, chronique) à un système dépendant du risque (classe 0-classe V). Dans les nouveaux cadres, le traitement est ciblé sur l'ensemble de la colonne vertébrale et prescrit en fonction de la classe de risque du patient, indépendamment du temps écoulé depuis l'apparition de la NS-LBP. Une conséquence directe de la méta-analyse des résultats des RCT, dans lesquels le recrutement est principalement basé sur le temps, est que les patients de différentes classes de risque peuvent être assignés au même groupe, ce qui peut confondre les effets de l'intervention. Cette limite pourrait expliquer l'incohérence des résultats des RCT inclus dans cette NMA, ainsi que dans les futures analyses secondaires pendant longtemps.

 Autres limitations de l’étude 

  • Exclusion des comparaisons directes de la même intervention car l’objectif n’était pas d’inspecter les différentes caractéristiques de l’administration (par exemple l’intensité, la dose, les techniques, etc.) 
  • Les études ont été publiées sur une période de 40 ans, au cours de laquelle les caractéristiques des interventions ont sans doute changé et ont ainsi créé de l’hétérogénéité
  • Les sous-groupes de personnes souffrant de NS-LBP présentant différentes caractéristiques pourraient jouer un rôle important, bien que cela ne ressorte pas des analyses 
  • La petite taille des échantillons (environ 24% des RCT inclus avaient un échantillon à 30 patients par groupe) et les limites des études (telles que des données insuffisantes) pourraient conduire à des estimations douteuses. 
  • Des critères d’évaluation cliniquement importants ont été abordés, cependant, d’autres critères qui pourraient être pertinents comme la qualité de vie, la participation sociale ou le retour au travail n’ont pas été inclus. Des études supplémentaires devraient élargir l’évaluation des résultats. 
  • La combinaison d’interventions avec des approches multidisciplinaires n’a pas été explorée. 

Conclusion

  • A ce jour, il s’agit de la plus grande méta-analyse en réseau (NMA) dans le domaine de la lombalgie (46 RCT impliquant 8765 participants)
  • Les interventions pharmacologiques et non pharmacologiques sont plus efficaces que le traitement inerte (placebo ou aucun traitement) pour réduire l’intensité de la douleur et l’incapacité/invalidité dues à la lombalgie non-spécifique (NS-LBP) mécanique aiguë ou subaiguë
  • Le degré de certitude des preuves allait de très faible à modéré, avec un degré de certitude élevé pour la thérapie manuelle par rapport aux soins habituels et à l’éducation
  • Pour réduire l’intensité de la douleur, les interventions les plus efficaces lors du suivi immédiat (à environ 1 semaine) étaient l’enveloppement thermique, la thérapie manuelle, l’exercice, les AINS et les opioïdes, alors que lors du suivi à court terme (à environ 1 mois), le traitement le plus efficace était la thérapie manuelle
  • Pour réduire l’incapacité/invalidité, des résultats similaires sont trouvés, montrant que l’enveloppement thermique, la thérapie manuelle, l’exercice et l’éducation pour le groupe non-pharmacologique et les relaxants musculaires et les AINS pour le groupe pharmacologique sont efficaces lors du suivi immédiat
  • Rôle potentiellement mineur des médicaments dans la prise en charge de la NS-LBP : le traitement initial doit être non pharmacologique. Le paracétamol ne présente aucun avantage par rapport aux traitements inertes quelle que soit l’évaluation de suivi.

L'article

Gianola S, Bargeri S, Del Castillo G, Corbetta D, Turolla A, Andreano A, Moja L, Castellini G. Effectiveness of treatments for acute and subacute mechanical non-specific low back pain: a systematic review with network meta-analysis. Br J Sports Med. 2022 Jan;56(1):41-50. doi: 10.1136/bjsports-2020-103596. Epub 2021 Apr 13. PMID: 33849907; PMCID: PMC8685632.