Tendinopathie rotulienne : Analyse critique des approches thérapeutiques et recommandations pratiques pour une réhabilitation optimale

Nov 24 / Arnaud BRUCHARD - ⏱️ 6 MIN -
La tendinopathie rotulienne (TR), communément appelée « genou du sauteur », est une pathologie dégénérative touchant principalement les athlètes pratiquant des activités impliquant des charges élevées sur le tendon rotulien, comme les sauts et les changements rapides de direction (basketball, volleyball, football). Elle résulte de microtraumatismes répétés, provoquant une désorganisation structurelle du collagène, une néovascularisation pathologique et une infiltration de fibres nerveuses responsables de la douleur. Cette douleur, localisée au pôle inférieur de la rotule, est exacerbée par des charges répétées, impactant significativement la performance et la qualité de vie des patients.

Les approches thérapeutiques classiques, telles que les anti-inflammatoires (AINS), la cryothérapie ou les injections de PRP, offrent des bénéfices limités, en particulier dans les cas chroniques où les dommages tendineux sont avancés. Face à ces limites, les exercices basés sur la charge progressive (load- excentrique, isométrique et résistance lente et lourde, ou HSR) émergent comme des solutions  pour restaurer la fonction tendineuse, réduire la douleur et prévenir les récidives. Cette revue systématique et méta-analyse offre des éclairages précieux sur l’efficacité comparative de ces modalités et sur leur pertinence clinique.

Fondements biomécaniques et physiologiques du traitement par charge

 Rôle clé de la charge (load) dans la tendinopathie rotulienne

Le tendon rotulien agit comme un ressort élastique en condition normale, stockant et libérant de l’énergie lors des mouvements fonctionnels. Sous l’effet de surcharges répétées, des microtraumatismes s’accumulent, entraînant :

  • Une désorganisation collagénique.
  • Une néovascularisation pathologique.
  • Une infiltration de fibres nerveuses nociceptives responsables de la douleur

 Effets thérapeutiques du chargement progressif

  1. Renforcement mécanique : Le chargement stimule la synthèse et le remodelage du collagène, augmentant la rigidité et la résistance tendineuses.
  2. Modulation neurophysiologique : Les exercices réduisent l’hyperexcitabilité centrale et périphérique, abaissant les seuils de douleur.
  3. Réduction de la douleur : Une meilleure intégration musculaire et des adaptations corticales contribuent à diminuer les sensations douloureuses.

Ces mécanismes sont influencés par la dose, l’intensité et la progression des exercices, soulignant l’importance de choisir les modalités les mieux adaptées aux besoins des patients.
 
“Les approches excentriques, isométrique et de résistance lente et lourde (HSR) sont largement utilisées, mais leur efficacité comparative reste incertaine.”
 

Analyse critique des trois modalités principales

 1. Entraînement excentrique

 Mécanismes proposés :
  • Génère des microtraumatismes contrôlés qui stimulent la synthèse de collagène.
  • Réduit la néovascularisation et les fibres nociceptives associées.
  • Crée des oscillations tendineuses favorisant le remodelage.


 Efficacité clinique : 
Les études montrent une amélioration modérée des scores VISA-P (augmentation moyenne de 19 à 23 points après 12 semaines). Cependant, les gains sont inférieurs à ceux observés avec les modalités HSR et isométriques.

 Limites :
  • Moins efficace pour les tendons chroniques dégénérés.
  • Protocole exigeant (3 séries de 15 répétitions, deux fois par jour sur 12 à 24 semaines), souvent mal toléré par les patients non-athlètes.
  • Nécessite des plateformes inclinées, limitant son accessibilité.
 

 2. Entraînement isométrique

 Mécanismes proposés 

  • Inhibition intracorticale, réduisant l’hyperexcitabilité centrale.
  • Effet analgésique immédiat et tolérance accrue au chargement.

 Efficacité clinique : Les exercices isométriques sont particulièrement efficaces pour réduire rapidement la douleur (diminution de 30 à 50 % des scores VAS après une session). Ils facilitent une réintroduction progressive au mouvement.

 Limites :

  • Impact limité sur les propriétés mécaniques du tendon.
  • Peu de données sur son efficacité à long terme ou en comparaison directe avec d’autres modalités.

 3. Résistance lente et lourde (HSR)

 Mécanismes proposés :

  • Hypertrophie tendineuse et alignement des fibres collagéniques.
  • Amélioration durable de la rigidité mécanique.

 Efficacité clinique : Le HSR surpasse les autres modalités pour les gains structurels et fonctionnels à long terme. Les scores VISA-P augmentent en moyenne de 30 points après 12 semaines et se maintiennent jusqu’à 52 semaines.

 Limites :

  • Nécessite des équipements spécialisés (haltères, presse à jambes).
  • Moins adapté en phase aiguë ou pour les patients ayant une faible tolérance à la charge.

 4. Comparaison des modalités : synthèse des avantages et limites

Ce tableau compare les trois principales approches thérapeutiques pour la tendinopathie rotulienne : les exercices excentriques, isométriques et de résistance lente et lourde (HSR). Il met en évidence leurs avantages et limites respectives en termes de soulagement de la douleur, d'amélioration structurelle, de tolérance, d'adhésion des patients et d'accessibilité. Cette synthèse visuelle aide à guider les professionnels de santé dans le choix des interventions adaptées aux besoins spécifiques de leurs patients.
Comparaison des modalités : synthèse des avantages et limites

Critiques méthodologiques de l’étude

“Cette étude repose sur une revue systématique et une méta-analyse en réseau pour comparer les effets des exercices excentriques, isométriques et HSR sur la tendinopathie rotulienne. Le score VISA-P a été utilisé comme mesure principale des résultats fonctionnels et de la douleur.”
 


Bien que cette étude apporte des éclairages précieux sur les approches thérapeutiques de la tendinopathie rotulienne, plusieurs limites méthodologiques doivent être prises en compte pour interpréter ses résultats avec prudence. Ces limitations incluent :

  • Comparaisons directes insuffisantes : Les conclusions reposent sur des analyses indirectes, limitant la robustesse des résultats.
  • Hétérogénéité des protocoles : Variabilité importante dans les durées, intensités et populations étudiées.
  • Manque de personnalisation : Absence de stratification par âge, sexe ou stade évolutif de la tendinopathie.
  • Durée d’observation limitée : Peu d’études évaluent les effets au-delà de 52 semaines, compromettant l’analyse des bénéfices à long terme.

Recommandations pratiques pour les kinésithérapeutes

1. Approche combinée

  • Associer des exercices isométriques pour réduire la douleur en phase aiguë avec des protocoles HSR pour améliorer les propriétés structurelles.
  • Compléter par des exercices excentriques pour renforcer la tolérance fonctionnelle

2. Personnalisation

Adapter les protocoles selon :
  • Le stade de la pathologie : aiguë (isométrique) ou chronique (HSR, excentrique).
  • Le profil du patient : niveau sportif, tolérance à la douleur, objectifs fonctionnels.

3. Progression et suivi

  • Intégrer progressivement des charges plus lourdes et des exercices dynamiques (e.g., pliométrie) en phase avancée.
  • Utiliser des outils validés comme le VISA-P pour suivre l’évolution.

4. Environnement limité

  • En l’absence de matériel spécialisé, privilégier les modalités accessibles comme l’isométrique ou l’excentrique.
 
“Les exercices isométriques sont efficaces pour soulager rapidement la douleur, mais leur impact structurel est limité. Une approche combinée, intégrant des exercices isométriques pour la gestion de la douleur et des exercices HSR pour la réhabilitation structurelle, est recommandée pour une prise en charge optimale de la tendinopathie rotulienne.
 

CONCLUSION

La réhabilitation de la tendinopathie rotulienne nécessite une approche intégrée, personnalisée et progressive. Les exercices HSR apparaissent comme la référence pour les gains structurels, tandis que l’isométrique est idéal pour le soulagement rapide de la douleur. Une combinaison adaptée à chaque patient permet de maximiser les résultats fonctionnels tout en réduisant la douleur et le risque de récidive. Les kinésithérapeutes doivent intégrer ces données dans des protocoles individualisés pour optimiser la réhabilitation.

L'étude

Li Y, Sun D, Fang Y, Lu Z, Shi F, Liu G, Gu Y. Mixed comparison of intervention with eccentric, isometric, and heavy slow resistance for Victorian Institute of Sport Assessment Patella Questionnaire in adults with patellar tendinopathy: A systematic review and network meta-analysis. Heliyon. 2024;10:e39171.