Tendinopathie de la coiffe des rotateurs : vers une approche plus nuancée et actualisée pour les cliniciens du sport

Apr 24 / ARNAUD BRUCHARD - ⏱️ 10 MIN -
En tant que kinésithérapeutes impliqués dans le suivi des sportifs, il est fréquent de rencontrer des douleurs d’épaule liées à des atteintes de la coiffe des rotateurs. Pourtant, les approches de traitement et de réhabilitation sont souvent hétérogènes, mêlant dogmes anciens, essais cliniques plus ou moins robustes, et préférences personnelles.
Face à cette hétérogénéité, une équipe d’experts dirigée par Desmeules et al. (2025) a publié dans Journal of Shoulder and Elbow Surgery une guideline clinique internationale sur la tendinopathie de la coiffe. Ce travail de synthèse propose une hiérarchisation claire des approches diagnostiques, médicales et rééducatives, avec un niveau de preuve associé à chaque recommandation. L'article se base sur une revue rigoureuse de la littérature et sur un consensus Delphi multi-expert.


Une pathologie plus complexe qu’il n’y paraît

Sous l’appellation de « tendinopathie de la coiffe », on regroupe des tableaux cliniques très divers, allant de la simple douleur d’épaule sans lésion visible à l’IRM, jusqu’à des ruptures partielles ou complètes, symptomatiques ou non.

Les auteurs insistent sur la nécessité de mieux classifier ces cas selon des profils fonctionnels et non uniquement anatomiques. Une même lésion peut se présenter de façon asymptomatique chez un sportif adapté, mais très invalidante chez un sujet déconditionné.

On distingue donc quatre grands phénotypes cliniques :
  • Douleur subacromiale d’origine tendineuse sans preuve d’atteinte structurale
  • Lésion partielle, souvent douloureuse lors des mouvements à haute contrainte (service au tennis, smash, etc.)
  • Lésion transfixiante, parfois bien tolérée si compensation musculaire
  • Épaule pseudo-paralytique : perte active de l'élévation en lien avec rupture massive

Diagnostic : pas seulement une IRM

Le groupe d’experts rappelle que le diagnostic clinique doit rester central, et que l’imagerie ne doit pas être le seul guide. En effet, la tendinopathie de la coiffe n’est pas une entité radiologique, mais une entité fonctionnelle. Ainsi, la stratégie d’évaluation repose sur un faisceau d’arguments cliniques corrélés à la plainte fonctionnelle du patient.

Les tests les plus pertinents sont ceux qui associent tests de force résistée, tests de provocation (conflit sous-acromial) et tests spécifiques aux tendons impliqués. Desmeules et al. citent la combinaison du test de Jobe (supra-epineux), du test de Patte (infra-epineux), et du lift-off (subscapulaire), qui, pris ensemble, améliorent fortement la spécificité.

En parallèle, l’échographie est recommandée comme premier outil d’imagerie dans de nombreux cas, notamment pour sa dimension dynamique (observation du glissement tendineux, des conflits, des calcifications actives) et sa comparaison bilatérale immédiate.

L’IRM conserve sa place dans les bilans pré-opératoires ou pour objectiver des ruptures profondes, mais les auteurs précisent que les anomalies visibles à l’imagerie ne sont pas toujours symptomatiques, en particulier chez les patients âgés ou sportifs de haut niveau adaptés. Autrement dit, une rupture partielle peut ne pas être douloureuse, et une tendinopathie inflammatoire sans rupture peut entraîner une douleur majeure.

Par ailleurs, l’évaluation clinique doit s’intéresser à des facteurs extrinsèques souvent sous-estimés :
  • Raideur de la capsule postérieure et limitation en rotation médiale
  • Diminution de la mobilisation scapulo-thoracique (dyskinésie)
  • Déficit du timing moteur des fixateurs de l’omoplate
  • Surcharge posturale sur les trapèzes supérieurs ou levator scapulae
Ces facteurs peuvent prédisposer ou entretenir une souffrance tendineuse secondaire. Leur recherche doit faire partie intégrante de l’examen clinique pour orienter le traitement.

Une IRM n’est qu’une photographie statique d’un état tissulaire ; le mouvement, l’effort et la douleur doivent rester au cœur de l’évaluation.

Ce schéma illustre l’approche clinique recommandée face à une douleur d’épaule. L’évaluation commence par un examen subjectif et physique complet. En cas de drapeaux rouges (pathologie grave ou urgente), le patient doit être réorienté immédiatement. Si l’on identifie des drapeaux jaunes (facteurs psychosociaux), ceux-ci doivent être pris en compte pour adapter le traitement et accompagner le retour aux activités. Si aucun de ces obstacles n’est présent, le clinicien peut formuler une hypothèse diagnostique. Si celle-ci oriente vers une tendinopathie de la coiffe des rotateurs, un traitement conservateur peut être initié. Sinon, d’autres causes de douleur d’épaule doivent être envisagées. Cet arbre décisionnel souligne que la prise en charge doit toujours être fonctionnelle, individualisée et centrée sur le patient.
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Quelle place pour la rééducation ? Une priorité clinique confirmée

La rééducation fonctionnelle occupe une place centrale dans la prise en charge de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs, y compris dans les cas avec lésions structurelles avérées. Le groupe d’experts dirigé par Desmeules rappelle que l’objectif n’est pas de “guérir” la lésion anatomique, mais de restaurer une fonction optimale, sans douleur limitante, en s’appuyant sur les capacités adaptatives du système musculo-tendineux.

 Des objectifs cliniques précis

La réhabilitation ne se limite pas à un renforcement global, mais doit viser plusieurs objectifs spécifiques et progressifs :

  • Moduler la douleur : grâce à une gestion fine de la charge et de l’irritabilité. Le dosage de l’intensité, la fréquence et la forme des exercices est ajusté en fonction de la réponse du patient, sans chercher à éviter systématiquement la douleur, mais en la rendant tolérable et transitoire.
  • Renforcer les rotateurs, en particulier les rotateurs externes (infra-épineux, petit rond), qui sont souvent inhibés ou en déficit d’endurance dans les tendinopathies.
  • Restaurer un équilibre scapulo-thoracique : en améliorant la mobilité active, la stabilité dynamique et le contrôle moteur des fixateurs de l’omoplate (serratus anterior, trapèze moyen et inférieur, rhomboïdes).
  • Reprogrammer le patron moteur global de l’épaule et du tronc, en intégrant coordination, synchronisation et stratégie de mouvement dans des contextes proches des gestes sportifs ou fonctionnels.

 Des exercices recommandés selon la phase

Le guideline propose des exemples concrets adaptés aux différentes phases de rééducation, en soulignant l’importance de la variabilité et du respect de la tolérance individuelle :

  • Phase initiale (charge basse, neuromusculaire) :
     - Full Can (élévation dans le plan de la scapula avec bras en rotation neutre)
     - Wall Slide (glissement vertical du bras le long d’un mur avec contrôle scapulaire)
     - W/Y en isométrie sous-dosée : visant à renforcer les rotateurs externes sans recruter excessivement le deltoïde
     - Prone Row ou « rowing couché » : pour le contrôle postural scapulaire

  • Phase intermédiaire : progression vers des charges modérées, intégration de mouvements fonctionnels, travail excentrique léger.

  • Phase avancée : exercices pliométriques, multi-planaires, à vitesse variable, souvent en chaîne cinétique fermée.

Les auteurs précisent que l’amplitude articulaire ne doit pas être restreinte arbitrairement. Tant qu’elle est bien contrôlée, progressive et que le patient conserve une commande motrice de qualité, elle peut – et doit – être explorée. Cela va à l’encontre des approches trop protectrices, qui enferment le patient dans une kinésiophobie et une sous-utilisation.

 Et dans les ruptures transfixiantes ?

Un des points les plus importants de cette recommandation est de rappeler que même les ruptures transfixiantes (complètes à l’imagerie) ne sont pas un obstacle à la rééducation. Si la coordination neuromusculaire est maintenue, que la scapula reste contrôlée et que le patient peut élever le bras sans compensation majeure, un protocole actif progressif peut être pleinement efficace.
Autrement dit, la fonction prime sur l’image.

Ce n’est pas la rupture qui justifie la chirurgie, mais la perte de fonction non récupérable

Outils d’évaluation fonctionnelle : objectiver pour mieux guider

Une prise en charge moderne de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs ne peut se contenter d’un simple suivi subjectif des douleurs. Les auteurs insistent sur l’intérêt d’utiliser des instruments de mesure validés, à la fois pour objectiver l’évolution clinique et pour mieux guider les décisions thérapeutiques.

Trois scores fonctionnels sont mis en avant pour leur validité, leur sensibilité au changement et leur pertinence dans la population atteinte de pathologies de l’épaule :

  • SPADI (Shoulder Pain and Disability Index) : il évalue à la fois la douleur (5 items) et le handicap fonctionnel (8 items) à travers un questionnaire autoadministré. Simple à utiliser, il permet de quantifier la gêne ressentie dans les activités quotidiennes et de suivre les progrès perçus par le patient.
  • QuickDASH : version abrégée du DASH (Disabilities of the Arm, Shoulder and Hand), il propose 11 items sur les limitations fonctionnelles, le travail et les activités sociales. Il est particulièrement adapté aux sportifs et aux personnes actives.
  • WORC (Western Ontario Rotator Cuff Index) : plus spécifique des tendinopathies de la coiffe, ce score intègre cinq sous-domaines (douleur, fonction physique, style de vie, sport et émotion) pour une analyse plus fine de l’impact global.
Mais ces outils subjectifs doivent être complétés par des mesures objectives de performance physique. L’évaluation de la force est essentielle, notamment :
  • via un dynamomètre manuel (reliable si standardisé, surtout pour les rotateurs),
  • ou idéalement un dynamomètre fixe (plus sensible pour suivre les évolutions à faible charge).2
Ce schéma détaille la prise en charge non chirurgicale de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs. Une fois le diagnostic posé, le traitement commence par une rééducation active et individualisée, accompagnée d'une éducation du patient. Des antalgiques (paracétamol, AINS) et des thérapies complémentaires (thérapie manuelle, acupuncture, taping…) peuvent être proposés. En cas de douleur intense ou persistante, des infiltrations de corticostéroïdes peuvent être envisagées, et exceptionnellement un traitement opioïde de courte durée. Si aucune amélioration n’est observée après 12 semaines, des examens d’imagerie sont prescrits : Si une calcification est confirmée, des traitements spécifiques comme le lavage calcique, les ondes de choc ou la thérapie laser sont recommandés. Si le diagnostic initial est confirmé mais que la douleur persiste, une orientation vers un spécialiste (médecin du sport, chirurgien orthopédique...) peut être envisagée. En cas d’amélioration fonctionnelle, le traitement conservateur est poursuivi. Ce schéma insiste sur une démarche progressive, raisonnée et centrée sur la fonction, avec une place importante pour l’adaptation du traitement selon l’évolution.
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Ces mesures doivent porter sur les rotateurs externes, l’abduction, mais aussi le subscapulaire, souvent sous-évalué, alors qu’il joue un rôle clé dans la stabilité dynamique.

Enfin, les auteurs suggèrent d’inclure des tests de contrôle moteur et d’endurance fonctionnelle, comme :
  • le YBT Upper Quarter (Y-Balance Test), pour explorer l’équilibre fonctionnel en chaîne fermée,
  • des tests de charge progressive (e.g. test de répétition de poussée en quadrupédie, tests de fatigue fonctionnelle), pour simuler les contraintes sportives.
L’enjeu est double : mieux individualiser le programme de rééducation, et justifier les adaptations ou la progression des charges au fil des séances.

Ce suivi fonctionnel structuré est particulièrement pertinent dans un contexte de réathlétisation, où le retour au sport ne peut se fonder sur une disparition de la douleur seule.

Approches médicales : entre réalisme et prudence

Sur le plan médical, Desmeules et ses collègues proposent une vision équilibrée : les interventions médicamenteuses ont leur place, mais toujours au service d’un programme rééducatif actif. Les auteurs mettent en garde contre les solutions de facilité et les actes isolés sans stratégie globale. 

 Les injections de corticostéroïdes
, longtemps utilisées de manière systématique dans les douleurs d’épaule, font l’objet d’un repositionnement. Elles peuvent apporter un soulagement temporaire, en particulier dans les phases très inflammatoires ou les tableaux très douloureux limitant le mouvement. Mais ce soulagement est souvent de courte durée, et ne s’accompagne pas d’une amélioration fonctionnelle durable si elles ne sont pas intégrées à un protocole de soins plus large. 
Par ailleurs, il existe une préoccupation croissante concernant leurs effets délétères sur les tissus tendineux : inhibition de la synthèse du collagène, fragilisation de la structure, retard de cicatrisation. Pour ces raisons, les experts recommandent de limiter leur usage à des cas bien ciblés, avec un objectif précis (lever un blocage douloureux pour permettre la mise en mouvement, par exemple).

 Les PRP (plasma riche en plaquettes), bien que très en vogue, ne disposent pas à ce jour d’un niveau de preuve suffisant pour justifier leur usage systématique dans la tendinopathie de la coiffe. Les résultats sont hétérogènes selon les études, les protocoles d’injection varient fortement, et leur coût peut être un frein pour les patients. En l’absence de standardisation, les auteurs préconisent une approche mesurée, à réserver aux cas récalcitrants, en échec de rééducation bien conduite.

 Quant aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ils conservent une utilité en phase aiguë ou lors de pics douloureux. Mais leur usage doit rester transitoire, sur quelques jours à une ou deux semaines maximum. Les auteurs soulignent que la prescription d’AINS ne doit jamais retarder la mise en charge fonctionnelle, ni masquer une douleur persistante qui devrait être adressée par la rééducation.
En résumé : les traitements médicaux ne sont pas à exclure, mais doivent être pensés comme des leviers ponctuels pour favoriser la poursuite ou la relance du travail actif, et non comme une fin en soi.

Chirurgie : une option, mais jamais une fatalité

Si la chirurgie de la coiffe des rotateurs constitue une solution potentielle, elle ne doit en aucun cas être considérée comme une voie obligatoire. Les experts du groupe Desmeules et al. rappellent que la majorité des patients peuvent obtenir des résultats cliniques satisfaisants grâce à une rééducation bien conduite, même en présence de lésions anatomiques objectivées.

La réparation chirurgicale est principalement envisagée dans des cas bien définis :
  • Chez les sportifs jeunes ou actifs, en cas de rupture traumatique récente, notamment transfixiante, avec une altération nette de la fonction.
  • En présence d’une épaule pseudo-paralytique, c’est-à-dire une incapacité à initier ou contrôler l’élévation active, typiquement liée à une rupture massive.
  • Chez les patients n’ayant pas progressé malgré 3 à 6 mois de rééducation active, individualisée et bien tolérée, ce qui reflète alors un véritable échec thérapeutique conservateur.
Mais même dans ces situations, les auteurs insistent sur l’importance d’une pré-réhabilitation structurée avant l’intervention. Cette phase, souvent négligée, permet :
  • de maintenir la mobilité articulaire,
  • de préserver une activité musculaire résiduelle,
  • de réduire la douleur et l’appréhension,
  • et d’optimiser la récupération post-opératoire, en facilitant le retour à une biomécanique fonctionnelle plus rapide.,
En somme, la chirurgie n’est pas un raccourci. C’est une stratégie parmi d’autres, à activer avec discernement, après avoir exploité tout le potentiel de la rééducation. Une lésion ne justifie pas toujours un bistouri ; c’est la fonction, la demande et l’évolution clinique qui doivent guider la décision.

CONCLUSION

 Une épaule qui se rééduque plus qu’elle ne s’opère
Ce que cette guideline rappelle avec force, c’est que la clinique prime sur l’image. Trop souvent, une rupture partielle ou transfixiante à l’IRM déclenche un processus médical anxiogène qui éclipse l’évaluation fonctionnelle. Or, la capacité d’un patient à lever le bras, à stabiliser son épaule en situation réelle, et à s’adapter à la douleur en dit souvent plus long sur sa récupération potentielle qu’une séquence pondérée en T2.

L’approche proposée invite les cliniciens à redonner ses lettres de noblesse à l’examen physique, à croiser les tests pour augmenter la précision, mais aussi à penser au-delà du tendon : analyser la cinématique globale, évaluer les troubles moteurs secondaires, repérer les déficits scapulo-thoraciques ou cervicaux qui peuvent alimenter la douleur.

Une épaule douloureuse n’est donc pas uniquement une histoire de tendons déchirés, mais bien souvent le reflet d’un déséquilibre fonctionnel et mécanique plus global. L’image doit guider, non dicter. Et c’est là que l’expertise du kinésithérapeute du sport prend tout son sens.

L'ARTICLE

Desmeules, F., Roy, J. S., McClure, P. W., et al. (2025). Rotator Cuff Tendinopathy: Diagnosis, Nonsurgical Medical Care, and Rehabilitation—A Clinical Practice Guideline. Journal of Shoulder and Elbow Surgery. https://doi.org/10.1016/j.jse.2024.11.006