Stimulation directe par courant transcranial et performance sportive : une revue systématique et méta analyse des effets sur l’endurance physique, la force musculaire et les compétences visuo-motrices

Kinesport
La stimulation directe par courant transcranial (tDCS) est une forme de stimulation cérébrale qui a été rapportée comme en lien avec un certain nombre d’améliorations sur la performance de la fonction cognitive, l’endurance à l’exercice et la force musculaire. La tDCS a des avantages pratiques sur d’autres méthodes de stimulation cérébrale comme la stimulation magnétique transcraniale (TMS) notamment en raison de son coût, de la sécurité et de la portabilité des appareils. Ainsi il n’est désormais plus rare de voir des athlètes se fournir des kits de stimulation comme alternative rapide à l’amélioration de la performance.
Le gain de popularité de cette technique est dû au fait qu’elle apporte de façon non invasive une modulation de la cognition et du comportement par augmentation (anode) ou réduction (cathode) de l’excitabilité corticale, parfois dans le but de traiter certains déficits pathologiques mais également dans le cadre de l’amélioration de la performance ou « neurodoping ».
Les effets inhibiteurs de la stimulation sont prometteurs, les études sur la TMS montrant notamment une amélioration du contrôle moteur par réduction de l’amplitude des tremblements. D’autres travaux ont montré qu’une seule session de tDCS pouvait réduire les effets de la fatigue cognitive sur la performance d’endurance, améliorer la performance cognitive, la performance motrice ainsi qu’accélérer l’apprentissage moteur par excitation du cortex moteur, quand elle est utilisée conjointement à un régime d’entrainement pré établi.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette méta-analyse est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
La plupart des appareils de tDCS utilisent deux électrodes en caoutchouc, qui serviront d’anode et cathode, et qui peuvent délivrer un courant entre 1 et 2 mA, habituellement sur une durée de 10-20 min.
Le cortex moteur (M1) est une cible privilégiée grâce à son rôle dans le maintien de la commande neuronale dans les motoneurones, améliorant ainsi la performance par compensation de la fatigue centrale.
Pendant une tache de préhension unilatérale il a été observé une activation du M1 homolatéral lorsque la force était supérieure à 30% de la contraction maximale volontaire (MVC), ce qui indique un effet de cross activation. Cette facilitation est également observée après stimulation par l’anode de la tDCS sur le cortex M1 homolatéral, résultant en une augmentation de la force maximale et de l’activation croisée.
La stimulation des régions motrices influencerait l’apprentissage moteur et l’excitabilité cortico spinale sur une durée supérieure à une heure après application du courant, ce qui peut potentiellement être utile dans le domaine du sport de haut niveau mais également dans d’autres domaines nécessitant des compétences motrices fines sur la durée (par exemple en chirurgie).
D’autres régions peuvent être ciblées comme le cortex préfrontal (PFC), qui joue un rôle dans le feedback en lien avec la fatigue. La diminution de l’oxygénation préfrontale résulte en une diminution du temps d’épuisement (TTE) et conduit donc à l’échec en termes de performance. Ainsi la stimulation de cette zone pourra permettre l’amélioration de l’habileté cognitive à retarder ce temps d’épuisement et à tolérer l’exercice.
Malgré les preuves sur les bénéfices de la technique, les modalités concernant les protocoles d’application constituent un véritable challenge dans l’interprétation de l’efficacité générale de la technique. La durée de stimulation étant rapportée comme un déterminant-clé de la prolongation des effets de la tDCS. Également, le positionnement exact des électrodes de surface, compliqué par les différences inter-individus, influence la cascade d’effets de la stimulation cérébrale et donc les résultats sur la performance.
Les précédentes revues systématiques dans le cadre du sport ont reporté des preuves positives mais aussi non concluantes concernant ces améliorations de la force et de l’endurance, mais ces revues étaient limitées par le faible nombre d’études enregistrées et par le regroupement de certaines dimensions d’exercices disparates. Enfin ces revues se sont concentrées exclusivement sur des dimensions exercices, ignorant l’effet potentiel de la tDCS sur l’amélioration du contrôle moteur fin et l’apprentissage moteur, les compétences d’exécution motrice composant une partie fondamentale de l’expertise dans le sport.
Ainsi l’objectif de l’étude est de fournir une mise à jour de la littérature qui va :
  • Différencier les études selon les dimensions physiologiques et réaliser des sous analyses.
  • Fournir une meilleure compréhension des effets sur l’amélioration de la performance en examinant l’endurance physique, la force musculaire et les compétences visuomotrices.
  • Examiner les effets modérateurs des paramètres de stimulation. 
Cette étude étant motivée par l’intérêt grandissant et l’utilisation non régulée des appareils de tDCS à la fois dans des contextes sportifs et non sportifs. 
Les questions de recherche sont donc les suivantes : 
  • Existe-il des preuves fiables des effets sur l’amélioration de la performance lors de tâches sportives ?
  • Quelle est la qualité de la littérature dans ce domaine ?
  • Existe-il des effets différents de la stimulation directe sur la force, l’endurance et les taches visuomotrices ?
  • Existe-il des effets modérateurs concernant les paramètres de stimulation ?

Méthodes

La recherche de littérature a été menée jusqu’en août 2020 en utilisant 4 bases de données : PubMed/Medline, Scopus, Cochrane (Embase) et SportDiscus.
Concernant les critères d’éligibilité, les études ont été incluses avec les critères PICOS d’inclusion suivants :

Participants - Adultes sains masculins et féminins (18-85 ans) sans antécédent orthopédique ou psychiatrique. Les participants sains servent à contrôler la haute variabilité des résultats de tDCS.

Intervention - Mesurer les effets aigus de l’administration de tDCS avant ou pendant des tâches d’endurance, de force ou bien visuomotrices. Les études étaient incluses si la tDCS était appliquée avant ou pendant la période de test.

Comparateurs - Utilisation d’une tDCS placebo ou d’une condition contrôle sans intervention afin de réduire le risque de biais.

Outcomes (Résultats) - L’endurance physique (exemple : temps jusqu’à l’échec pour une tâche donnée), la force (exemple : force maximale des extenseurs du genou), ou des tâches sportives visuomotrices (exemple : un putt au golf) ont été analysées.

Study Design (Design de l’étude) – Essais contrôlés randomisés qui ont utilisé soit un design d’étude parallèle ou croisé.
Les études étaient exclues si : 
  • Elles étaient non publiées en anglais.
  • Elles utilisaient des participants pathologiques ou bien ne fournissaient pas d’informations sur l’état de santé des participants.
  • Elles n’investiguaient pas l’endurance, la force ou les taches visuomotrices sportives.
Les variables suivantes ont été extraites des études : taille de l’échantillon et caractéristiques des participants, caractéristiques du protocole de stimulation tDCS, protocole d’exercice et nombre de sessions, résultats sur la performance.

Résultats

Après application des critères d’exclusion, 43 études ont été retenues, parmi lesquelles 41 ont été incluses dans la méta-analyse finale
86% des articles ont été publiés depuis 2015. Sur toutes les études incluses, 20 ont examiné des tâches basées sur la force, 17 ont examiné des tâches liées à l’endurance et 6 ont examiné des tâches sportives visuomotrices. Au total, 790 participants (546 hommes, 244 femmes) de différents niveaux physiques et d’expérience ont pris part aux études. La moyenne de la taille d’échantillon était de n =15 +/- 6,4 (de 9 à 73 participants).
Au regard des procédures d’application de la tDCS, toutes les études incluses l’ont appliqué avant l’exercice en utilisant un courant de 1,5-2 mA pendant une durée de 10-20 min.
Parmi toutes les études examinées, la méta analyse indique que les participants ont montré une petite amélioration dans la performance après application de tDCS.
Concernant les résultats du temps de fatigue, l’analyse ne montre pas d’effet significatif de l’intensité, la densité ou la durée de stimulation sur la taille d’effet rapportée.
Concernant les résultats liés à la force, il n’y a pas d’effet significatif de l’intensité, densité et durée sur la taille d’effet. Il en est de même concernant les tâches sportives visuomotrices.

 Analyse de sous-groupe du temps jusqu’à la fatigue

La méta analyse des 16 études (une exclusion) sur le sujet révèle un petit effet en faveur de la tDCS en comparaison au placebo/contrôle mais l’effet dépasse de peu le niveau requis de signification statistique

 Analyse de sous-groupe des exercices de force

L’analyse statistique des 20 études montre un petit effet général significatif en faveur du groupe stimulé par tDCS.

 Analyse de sous-groupe des compétences visuomotrices

La méta analyse des 5 études (une exclusion) montre un petit effet en faveur du groupe tDCS, proche du niveau de signification statistique

Discussion

L’objectif de cette méta-analyse était d'explorer les effets de la tDCS sur la performance sportive et de fournir un aperçu complet de la qualité des preuves actuelles. Plus précisément, il a été examiné l'impact de cette stimulation sur l'endurance, la force et les domaines visuomoteurs pour évaluer l'utilisation potentielle de la tDCS dans un contexte d’amélioration des performances sportives. Les résultats confirment un effet globalement positif de la stimulation, qui était relativement constant dans tous les domaines (temps de fatigue, force, tâches visuomotrices), bien que les sous-groupes temps de fatigue et tâches visuomotrices étaient tous deux proches du seuil de signification statistique. Ces résultats suggèrent qu'il pourrait y avoir un certain potentiel d'utilisation de la tDCS pour l'amélioration des performances en compétition ou à l'entraînement, bien que l'éthique d'une telle mise en œuvre soit un domaine débattu.

 Exercice de force

La méta analyse révèle que les effets de la tDCS étaient les plus importants et les plus fiables dans le domaine de la force. En effet, après stimulation il a été observé une hausse de la contraction maximale isométrique volontaire (MVIC), probablement grâce à l’augmentation de la synchronisation des unités motrices. Même si les effets de la tDCS sur la force sont toujours non clairs du point de vue des mécanismes neurophysiologiques, ces résultats suggèrent une aide potentielle de la stimulation complémentaire à un régime d’entrainement. 

 Exercice d’endurance

L'analyse des sous-groupes a démontré que la tDCS augmentait l'endurance à l'exercice dans les protocoles d'exercices TTE par rapport aux conditions contrôle/placebo, mais l'effet était plus faible que pour les exercices de force. Le cortex primaire M1 est considéré comme le déterminant principal des activités d’endurance car il dirige les unités motrices et la tDCS augmenterait l’excitabilité corticale.
De façon intéressante, une différence significative a été retrouvée dans les niveaux de lactates sanguins chez les participants tDCS, tout comme une amélioration de l’efficacité cardiaque qui peut être attribuée à la modulation parasympathique. La fréquence cardiaque (HR) est contrôlée par le cortex préfrontal qui est particulièrement actif pendant une contraction soutenue. Le PFC peut moduler l’activité sympathique, et donc diminuer la fréquence cardiaque de l’athlète ce qui peut expliquer l’amélioration de l’endurance (et également de la force).
Ceci peut donc être intéressant dans le cadre de sports multifacettes nécessitant une endurance importante ainsi qu’une MVIC augmentée.

 Compétences visuomotrices

L'effet observé pour les taches visuomotrices indique un potentiel de neuro-modulation dans un contexte visuomoteur, cependant les résultats n'étaient que faiblement significatifs et limités à 5 études. Certains travaux ont montré que la stimulation simultanée du PFC gauche et du cervelet droit, provoquait dans le groupe tDCS un score de précision amélioré dans une tâche de shoot. Le cervelet est une zone cérébrale clé pour l'apprentissage moteur, en particulier dans les erreurs de prédiction sensorielle ce qui suggère une cible potentielle pour les futurs travaux en laboratoire.
Il existe une palette de voies potentielles pour améliorer les effets visuomoteurs en améliorant la fonction frontale, en inhibant le traitement conscient et en stimulant les centres de contrôle moteur, mais davantage de preuves sont nécessaires pour déterminer laquelle de ces approches est plus susceptible de réussir.

 Modérateurs des effets de la stimulation

Bien que la cible la plus commune ait été le cortex moteur, il existait une grande variabilité concernant les montages. La localisation des électrodes est un paramètre qui peut grandement influencer l’excitabilité corticale induite par la tDCS. Cependant, il n’a pas été prouvé que la durée d’application, l’intensité ou la densité du courant délivré étaient en lien avec des effets subséquents sur la performance. Les questions restent donc sans réponse quant aux paramètres d’utilisation optimale.
L’hétérogénéité des participants d’un point de vue génétique et environnemental pose également question. En effet, il est admis chez l’animal (non encore étudié chez l’homme) que les facteurs génétiques et notamment certains polymorphismes influencent la performance cognitive. Les progrès à faire dans les études sur les stimulations cérébrales impliquent donc forcément une meilleure connaissance de ces facteurs génétiques.

Conclusion

Cette revue systématique et méta-analyse a étudié le potentiel de la tDCS pour améliorer les performances sportives en ce qui concerne l'endurance physique (délai avant la fatigue), la force physique ou les habiletés visuomotrices. Les tailles d'effet regroupées ont soutenu l'efficacité globale de la tDCS, avec des résultats plus fiables pour les études basées sur la force, et des effets prometteurs mais moins certains pour les études d'endurance et concernant les tâches visuomotrices. Les variations des montages de stimulation et les effets différentiels suivant les différences inter-individus et la présentation initiale du cerveau rendent difficile la formulation de recommandations claires concernant l'utilisation de la tDCS pour l'amélioration des performances sportives. Pour les études prospectives, une comparaison claire des différents montages électriques doit être établie avec une meilleure localisation des zones cérébrales ciblant le résultat souhaité. La nature imprévisible de la tDCS la rend sensible à une multitude de variables qui doivent être mieux contrôlées en individualisant les protocoles, comme la modélisation informatique avec ciblage anatomique utilisant l'IRM ou la TEP. De nouvelles techniques de stimulation cérébrale telles que la HD-tDCS devraient être explorées comme une alternative potentielle car elles permettent une stimulation focale qui empêche de stimuler des zones non désirées.

L'article

Chinzara TT, Buckingham G, Harris DJ. Transcranial direct current stimulation and sporting performance: A systematic review and meta-analysis of transcranial direct current stimulation effects on physical endurance, muscular strength and visuomotor skills. Eur J Neurosci. 2022 Jan;55(2):468-486. doi: 10.1111/ejn.15540.