L’Athletic Shoulder Test (AST) — analyse approfondie et guide d’utilisation clinique

Sep 10 / Arnaud BRUCHARD -⏱️ 7 MIN -
Pourquoi l’AST importe en rééducation ? 

L’évaluation objective de la force isométrique de l’épaule constitue un pilier du suivi des pathologies scapulo-humérales — coiffe des rotateurs, instabilités, rééducation postopératoire. L’Athletic Shoulder Test (AST) propose une batterie standardisée (positions I / Y / T) qui permet de quantifier la force scapulo-humérale, de comparer les côtés et d’objectiver l’évolution au fil de la prise en charge. La méta-analyse récente synthétise les preuves de validité et de fiabilité, mais souligne aussi des sources d’hétérogénéité qu’il est impératif de maîtriser avant d’appliquer l’AST en routine clinique.


Méthode : comment la méta-analyse a été construite ?

Les auteurs ont inclus sept études pertinentes (cinq alimentant la méta-analyse de validité et six la méta-analyse de fiabilité), réalisées sur des populations variées (du loisir à l’élite, jeunes adultes à adultes) et employant des outils différents (plateformes de force, dynamomètres portatifs, dispositifs transformés). Les corrélations et coefficients de fiabilité ont été agrégés via des modèles à effets aléatoires, et l’hétérogénéité des résultats a été quantifiée (I²). Les auteurs ont aussi collecté et comparé les métriques de précision absolue (erreur standard de mesure — SEM — et minimum détectable change — MDC) rapportées par chaque étude.

Résultats synthétisés et interprétation clinique

La méta-analyse rapporte une corrélation groupée pour la validité de r = 0,923 (IC95 % 0,761–0,977) et une fiabilité groupée de r = 0,958 (IC95 % 0,899–0,983). Ces valeurs indiquent que l’AST mesure correctement la force isométrique et fournit des mesures reproductibles lorsque le protocole est respecté. Toutefois, l’hétérogénéité entre études est élevée (I² ≈ 85–89 %), ce qui signifie que les performances varient notablement selon l’appareil, le protocole et la population testée ; par conséquent, les coefficients groupés doivent être interprétés comme des indicateurs généraux plus que comme des normes universelles.

Précision et sensibilité au changement : importance pratique du SEM et du MDC

Les études incluses rapportent des SEM très variables (ordre de grandeur allant d’environ 0,85 N à plus de 20 N) et des MDC correspondants également larges (plages signalées allant d’environ 2 N à plus de 56 N selon l’équipement et la méthode). Ces variations indiquent que la « taille minimale d’effet » à considérer comme réelle dépend fortement de l’instrumentation et du protocole local. En pratique, il est donc essentiel de connaître le SEM et le MDC propres à votre configuration (appareil + opérateur + protocole) avant d’interpréter une progression comme cliniquement significative.

Protocole pratique détaillé et recommandations opératoires

Sur la base de la synthèse et des meilleures pratiques issues des études, voici un protocole opératoire conçu pour réduire la variabilité et garantir la comparabilité :

 Matériel privilégié

Plate-forme de force si disponible (meilleure précision). À défaut, un dynamomètre portatif validé (HHD) — noter marque et modèle.

 Positionnement :

Patient en décubitus ventral (prone). Bras placé strictement dans les positions I (180°), Y (135°) et T (90°) selon les repères scapulaires standardisés.

 Procédure :

Réaliser trois essais par position, avec 30–60 s de repos entre essais. Retenir la moyenne des deux meilleures mesures ou la meilleure valeur — mais documenter et appliquer le même choix systématiquement.

 Conversion en torque :

si nécessaire (N·m), mesurer la distance entre le point d’application de la force et le centre de rotation de l’épaule et appliquer la conversion Force × distance ; noter la distance mesurée.

 Conditions de contrôle :

Standardiser l’heure des mesures, éviter les évaluations immédiatement après un effort intense, consigner la douleur actuelle et l’usage de médicaments pouvant altérer la performance.

Estimer SEM et MDC localement

Plutôt que d’appliquer des valeurs publiées, il est recommandé de réaliser un petit protocole de test-retest local (10–15 sujets représentatifs) afin d’estimer le SEM de votre configuration et d’en déduire le MDC correspondant au niveau de confiance que vous choisirez. Ces valeurs doivent figurer dans votre protocole clinique et servir de seuils d’interprétation pour décider si une variation observée est susceptible d’être réelle ou liée au bruit de mesure.

Cas cliniques illustratifs

Limites et précautions d’usage approfondies

Plusieurs éléments doivent tempérer l’usage exclusif de l’AST : premièrement, l’hétérogénéité des populations étudiées (jeunes, sportifs, patients) et des appareils empêche d’appliquer des seuils universels. Deuxièmement, l’AST mesure la force isométrique à positions fixes et n’évalue ni la force dynamique ni la qualité de coordination scapulo-humerale en mouvement fonctionnel — il convient donc d’associer l’AST à des tests de mobilité, d’endurance et d’activité spécifique. Enfin, la variabilité opérateur-dépendante (positionnement, point d’appui du dynamomètre) peut être une source majeure d’erreur si la formation des examinateurs et la standardisation du protocole font défaut.

Implications pour la rééducation :

3 cadres synthétiques

Standardiser et valider localement

Définir un protocole strict (outil choisi, position prone I/Y/T, nombre d’essais, règle de retenue des valeurs), former les opérateurs et réaliser un test-retest local pour estimer l’erreur de mesure (SEM) et le seuil minimal détectable (MDC) propres au cabinet. Cette étape garantit que toute variation observée chez un patient repose sur une base instrumentale fiable plutôt que sur des artefacts méthodologiques — indispensable compte tenu de l’hétérogénéité rapportée entre études.

Utiliser l’AST pour objectiver le suivi, pas pour décider seul

Employer l’AST comme indicateur quantitatif central (bilan initial, suivi périodique) afin de documenter asymétries et trajectoires de force, mais toujours l’interpréter dans le cadre d’une évaluation multimodale (douleur, amplitude, tests fonctionnels). N’avancer une modification de charge ou une décision de retour au sport que si la variation dépasse le MDC local et que les données cliniques concordent.

Intégrer l’AST dans un flux décisionnel clinique

Construire des « triggers » opérationnels : si amélioration > MDC → envisager progression graduelle du programme ; si asymétrie côté dominant > MDC → priorité aux rotateurs externes et stabilisateurs scapulaires ; si variation non expliquée par le contexte (douleur, compliance) → bilan complémentaire (imagerie/consultation médicale). Documenter systématiquement la réponse et prévoir une réévaluation à intervalle fixé (p. ex. 4–8 semaines). Ce cadre transforme les chiffres en actions traçables et sûres.


Ce que cette étude nous enseigne


Validité et fiabilité élevées
Les données agrégées montrent que l’AST mesure bien la force isométrique de l’épaule (corrélation groupée r ≈ 0,923) et que les mesures sont reproductibles (fiabilité groupée r ≈ 0,958). Ces coefficients confirment la valeur de l’AST comme outil d’évaluation objective.


Hétérogénéité importante — prudence sur la généralisation
L’inconsistance entre études est élevée (I² ≈ 85–89 %) : appareils, protocoles (plate-forme vs dynamomètre, choix de la valeur retenue), populations (loisir → élite) varient fortement. Les chiffres groupés donnent un signal fort, mais ne remplacent pas la calibration locale.


Précision absolue variable — connaître son SEM / MDC
Les erreurs de mesure rapportées diffèrent grandement (SEM ≈ 0,85 → 20,43 N ; MDC ≈ 2,37 → 56,63 N selon l’étude). Ainsi, une variation chiffrée peut être soit bruit soit réel selon l’équipement et le protocole : il est indispensable d’estimer SEM et MDC dans son propre cabinet.

Usage clinique pragmatique : standardiser, documenter, intégrer
L’AST est utile pour objectiver déficits et asymétries et pour suivre l’évolution, à condition de standardiser la méthode (position I/Y/T, nombre d’essais, appareil), de documenter SEM/MDC locaux et d’utiliser les résultats comme un élément du raisonnement clinique — jamais comme seule base pour décider une progression ou un retour au sport.

CONCLUSION

L’Athletic Shoulder Test est un outil conceptuellement robuste et soutenu par des corrélations et fiabilités élevées dans la littérature. Cependant, son utilisation sûre en pratique exige que chaque cabinet standardise sa méthode, estime localement le SEM et le MDC, et intègre l’AST dans un raisonnement clinique global. Utilisée ainsi, l’AST devient un instrument précieux pour objectiver déficits, quantifier asymétries et documenter l’évolution, sans remplacer l’examen clinique ni les tests fonctionnels.

L'ARTICLE

Ulupınar S., İnce İ., Gençoğlu C., Asan S., Çabuk S., Özbay S. Validity and Reliability of the Athletic Shoulder Test: A Brief Systematic Review and Meta-Analysis. J Musculoskelet Neuronal Interact. 2025;25(3):351–363. doi:10.22540/JMNI-25-351.