Implications prospectives du manque de sommeil chez les athlètes

Kinesport
Sur les quelques 500 000 athlètes qui participent à des compétitions universitaires aux USA chaque année, 6% subiront une commotion cérébrale. L’identification des facteurs qui rendent un athlète plus susceptible de subir une commotion liée au sport (SRC) ou qui impactent la récupération post-commotionnelle est devenu un enjeu majeur de recherche.
En adéquation avec le modèle biopsychosocial, ces facteurs de risque peuvent être non modifiables, comme le sexe biologique de l’individu ou la présence de certains polymorphismes génétiques, ou bien modifiables comme par exemple le style de jeu, les troubles psychologiques ou de l’humeur ou encore le manque de sommeil.
L’attention est grandissante sur l’importance du sommeil et l’impact que cela peut avoir sur les performances athlétiques et d’un point de vue plus général sur la santé mentale et physique. Un consensus récent fait d’ailleurs état que l’insuffisance et la qualité du sommeil sont des problématiques relativement fréquentes parmi les athlètes universitaires.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
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Cette analyse secondaire est un article à risque de biais modéré. La majorité des critères méthodologiques sont respectés. En revanche, la fiabilité et la validité d’un des outils de mesure utilisé (ImPACT) sont controversées dans la littérature. Par conséquent, cet outil ne mesure peut-être pas les bonnes variables d’intérêts étudiées dans l’étude et son utilisation n’est peut-être pas reproductible. Les résultats des variables de cet instrument doivent être pris avec précaution. Tous les autres outils de mesure utilisés dans cette étude secondaire ont été étudiées pour leur fiabilité et validité.
Les contributeurs aux problématiques du sommeil pouvant être liées au sport, comme les voyages engendrés par la compétition ou les entrainements matinaux, ou indépendants de la pratique sportive.

D’un point de vue général, le manque de sommeil a été associé à certaines blessures dans le sport mais peu d'études ont considéré la commotion cérébrale comme une blessure spécifique pouvant y être associée.
Ces commotions peuvent être plus fréquentes pour plusieurs raisons, notamment à cause de performances sportives dégradées, d’un contrôle corporel réduit, d’une augmentation de la difficulté à réagir sur le terrain ou encore d’un suivi visuel et un temps de réaction médiocres pendant les activités sportives.
Prises ensemble, ces théories suggèrent que les difficultés de sommeil peuvent accroître la vulnérabilité aux blessures par baisse de performance et/ou que le manque de sommeil peut perturber la récupération optimale après blessures.
Plusieurs travaux antérieurs démontrent que les conséquences d'un sommeil insuffisant peuvent apparaître plus tardivement, se manifestant par davantage de difficultés lorsqu'ils sont couplés à un SRC. Il semble que si les effets de la perturbation du sommeil peuvent être limités aux plaintes auto-déclarées, ces troubles du sommeil peuvent avoir un impact significatif sur le risque de SRC ou sur le risque de moins bons résultats après une SRC.

Certaines caractéristiques ou modificateurs, comme par exemple un antécédent de diagnostic psychologique comme la dépression et l'anxiété, des antécédents de commotions cérébrales, ou des antécédents de trouble de l'attention avec hyperactivité, peuvent tous influencer sur la performance.
Ainsi, comprendre les facteurs associés à ces caractéristiques de départ est important dans le management de la commotion cérébrale. L’insuffisance de sommeil est un facteur additionnel qui pourrait être associé à ces modificateurs de base.
Le but de cette étude consiste donc à examiner les symptômes et le fonctionnement cognitif dans le cas d'un sommeil insuffisant et d’explorer si certains schémas étaient associés à un risque de SRC future.

Etude actuelle

 Objectif 1

Examiner à quel point l’insuffisance de sommeil, définie par une nuit ≤ 5,78 heures la veille d’une évaluation de référence est un facteur de risque de subir une SRC dans le futur. 

 Hypothèse 1

Une grande proportion d’athlètes qui sont en insuffisance de sommeil (≤ 5,78 heures) pourraient subir une SRC en comparaison avec des athlètes qui ont un sommeil suffisant (> 7,07 heures)

 Objectif 2

Déterminer d’autres facteurs associés à l’insuffisance de sommeil et la probabilité de subir une SRC dans le futur. Deux groupes de comparaisons ont été explorés : les dormeurs insuffisants avec SRC comparés aux dormeurs insuffisants sans SRC et les dormeurs suffisants avec SRC comparés aux dormeurs insuffisants avec SRC. La comparaison a porté sur les symptômes (clusters de symptômes et maux de tête) et sur les performances au test neuropsychologique (performance cognitive moyenne et variabilité intra-individuelle dans la performance cognitive) dans des domaines spécifiques liés la mémoire et la vitesse attentionnelle/de traitement des informations. 

 Hypothèse 2

Les dormeurs insuffisants qui ont subi une commotion cérébrale pourraient rapporter davantage de symptômes et montrer des performances cognitives moins bonnes que les dormeurs insuffisants sans commotion. Une autre hypothèse est que les dormeurs insuffisants qui ont subi une SRC pourraient rapporter plus de symptômes et montrer des performances cognitives moins bonnes que les dormeurs suffisants qui ont subi une SRC.

Méthodes

 Participants

Les données utilisées pour l’étude actuelle sont principalement transversales et basées sur une analyse secondaire d’un programme de mangement de la commotion cérébrale en division I universitaire ; la symptomatologie, le fonctionnement cognitif et le sommeil étaient évalués pendant une même évaluation de référence. L’étude « mère » étaient constituée de tous les athlètes qui ont participé au programme sur la commotion cérébrale sportive entre 2002 et 2019.
Un élément de l’étude était de nature longitudinale étant donné que les athlètes ont été suivis de manière prospective pour déterminer lesquels étaient plus susceptibles de subir une SRC dans le futur.
Pour les deux objectifs de l’étude, les participants étaient divisés en deux groupes suivant le nombre d’heures de sommeil par nuit (> 7,07 heures pour les dormeurs suffisants et ≤ 5,78 heures pour les insuffisants).
Pour l’objectif 1, les critères d’exclusion concernant les participants étaient les suivants : 
  • Ceux qui n’avaient pas complété l’évaluation post-commotion immédiate et le test cognitif (ImPACT) relatifs au sommeil de la nuit précédente (n = 278).
  • Ceux qui avaient rapporté un sommeil compris dans la fourchette moyenne (c’est-à-dire compris entre 5,77 et 7,06 heures de sommeil) la nuit précédant l’évaluation (n = 165). 
Finalement, l’échantillon final pour l’objectif 1 incluait 614 athlètes universitaires (455 hommes, 159 femmes), ou l’on retrouvait 102 athlètes dans le groupe en insuffisance de sommeil et 512 dans le groupe avec sommeil suffisant.

Pour l’objectif 2, les athlètes avec performance invalide sur le testing d’effort, définis comme un score composite à l’ImPACT ≥ 30 (n = 22) étaient également exclus.
L’échantillon final pour cette série d’analyses incluait 592 athlètes (437 hommes, 155 femmes). Après avoir écarté les athlètes avec une performance neuropsychologique de référence invalide, il restait 100 dormeurs insuffisants et 492 dormeurs suffisants.

La commotion a été définie comme une blessure à la tête résultant d'un traumatisme ou d’une force biomécanique dans laquelle la fonction cérébrale est perturbée et mise en évidence par toute altération de l'état mental et/ou symptômes post-commotionnels au moment de la blessure, amnésie post-traumatique durant moins de 24 heures, et/ou perte de connaissance durant 30 minutes ou moins.

Mesures

 Sommeil

L’ImPACT comprend 3 volets principaux : les données démographiques et les informations contextuelles, la déclaration des symptômes et 6 modules de test. Une des questions contextuelles est « Combien d’heures avez-vous dormi la nuit dernière ? » Les réponses à cette question étaient utilisées pour créer les deux groupes (les dormeurs suffisants et les dormeurs insuffisants)

 Déclaration de symptômes

L’ImPACT comprend une section concernant les symptômes auto rapportés appelée Échelle des symptômes post-commotion (PCSS). La PCSS est constituée de 22 items notés sur une échelle de sévérité de 0 (pas de symptômes) à 6 points (symptômes sévères). Ces 22 items peuvent être regroupés en 4 clusters de symptômes fréquents (cognitifs, physiques, affectifs et sommeil), les maux de tête étant un symptôme à part entière. Le détail des symptômes est le suivant : 
  • Cognitifs : se sentir ralenti ou dans le brouillard, difficulté de concentration ou de mémorisation
  • Physiques : nausées, vomissements, problèmes d’équilibre, étourdissements, sensibilité à la lumière/au bruit, problèmes visuels
  • Affectifs : irritabilité, tristesse, nervosité, hypersensibilité
  • Sommeil : fatigue, troubles de l’endormissement, manque de sommeil inhabituel, somnolence

 Performance neurocognitive

Les athlètes ont complété une batterie de tests neuropsychologiques, les tests choisis étant connus pour être sensibles aux troubles cognitifs, et sélectionnés pour mesurer la performance à travers différents domaines liés à la mémoire et l’apprentissage verbal/visuel, les fonctions exécutives, l’attention, la vitesse de traitement d’une information. 

Résultats

 Objectif 1

Une proportion significativement plus importante de dormeurs insuffisants (15,69%) a subi une SRC comparé aux dormeurs suffisants (8,79%). Les deux groupes n’étant pas significativement différents en termes de timing entre l’évaluation de référence et la SRC. 

 Objectif 2

Les résultats montrent que globalement, le groupe des dormeurs insuffisants avec SRC n’était pas différent en termes de déclaration de symptômes généraux comparé au groupe des dormeurs insuffisants sans SRC.
Également, le groupe sommeil insuffisant avec SRC a réalisé des performances moins bonnes sur les résultats du fonctionnement cognitif comparé au groupe sommeil insuffisant qui n’a pas subi de SRC.
Un domaine cognitif spécifique était significativement différent entre les groupes : les dormeurs insuffisants avec SRC ont été moins bons sur la moyenne composite APS (vitesse attentionnelle et de traitement de l’information). Les deux groupes de dormeurs insuffisants ne différaient pas significativement en termes de moyenne composite sur la mémoire et sur la variabilité intra-individuelle dans chaque domaine concernant la mémoire.
La comparaison des groupes dormeurs suffisants avec SRC et dormeurs insuffisants avec SRC montre que les dormeurs insuffisants ont reporté plus de symptômes d’un point de vue général. Au regard des clusters spécifiques de symptômes, le groupe dormeurs insuffisants qui a subi une SRC montre plus de symptômes sur les maux de tête et également dans chacune des 4 catégories de clusters : affectifs, physiques, cognitifs et sommeil.
Les différences entre les groupes sur les résultats cognitifs ont montré que, globalement, la taille d’effet de la différence sur le fonctionnement cognitif était large, bien que n’atteignant pas le seuil de signification statistique.
Il n’existait pas de différences significatives entre les groupes en termes de performance moyenne concernant la mémoire ou la variabilité intra-individuelle.

Discussion

La littérature fait actuellement état d’une réduction de la qualité de vie, d’une réponse augmentée au stress, de douleurs somatiques, de déficits cognitifs et de la mémoire, d’une augmentation du risque d’hypertension artérielle, des pathologies cardiovasculaires, de morbidité et mortalité augmentées comme conséquences à long terme des troubles du sommeil.
Les objectifs de l’étude étaient ici d’explorer la relation entre l’insuffisance de sommeil, le risque prospectif de subir une commotion cérébrale liée à l’activité sportive et la déclaration des symptômes et performances cognitives associées aux deux.
En ce sens, la première hypothèse a été validée à savoir qu’une proportion plus importante d’athlètes qui ont déclaré être en manque de sommeil ont subi une SRC pendant leur carrière que ceux qui ne le sont pas.
Dans les faits, sur cet échantillon d’athlètes, le taux de dormeurs insuffisants qui ont subi une SRC était presque deux fois plus élevé que pour les dormeurs suffisants. Ceci peut potentiellement s’expliquer par un comportement plus dangereux dans le jeu, une attention et un temps de réaction réduit pendant la pratique, ou bien un seuil réduit pour la blessure cérébrale.
Le second objectif était d’explorer les facteurs qui pouvaient être associés au sommeil insuffisant et la probabilité de subir une SRC dans le futur. Ceci a été réalisé avec deux groupes de comparaison : un parmi les dormeurs insuffisants (entre ceux qui avaient subi une SRC ou non) et un parmi tous les athlètes qui avaient subi une SRC (entre ceux qui étaient dormeurs suffisants ou non).
L’hypothèse émise a été partiellement validée à savoir que le groupe des dormeurs insuffisants qui avait subi une SRC a montré une diminution des performances sur le score APS, qui évalue la vitesse attentionnelle et la vitesse de traitement de l’information, en comparaison avec les dormeurs insuffisants sans commotion.
Aucune différence n’a été retrouvée sur la performance concernant la mémoire ou la variabilité intra-individuelle. Concernant les symptômes déclarés, tous les dormeurs insuffisants (avec SRC ou non) ont rapporté des niveaux similaires de symptômes. Concernant les déficits cognitifs, il a été montré que le groupe qui avait subi prospectivement une SRC avait réalisé de moins bonnes performances au score APS à la base.
Il se peut que pourrait que pour un sous-groupe de dormeurs insuffisants, la vitesse de traitement et l'attention soient altérés, et que cette combinaison entraîne un risque accru de blessure.
La comparaison entre tous les athlètes qui ont subi une SRC a démontré que, conformément aux recherches antérieures, les deux groupes différaient en termes de symptômes auto déclarés, avec le groupe de sommeil insuffisant signalant plus de symptômes dans les quatre groupes de symptômes et en ce qui concerne les maux de tête que le groupe de sommeil suffisant.
En ce qui concerne les résultats cognitifs, parmi les deux groupes qui ont subi une SRC, les groupes ne différaient qu'en termes de performance moyenne sur l'APS. Le groupe de sommeil insuffisant qui a subi une SRC a obtenu de moins bons résultats aux tests d'APS que le groupe sommeil suffisant avec SRC, avec une taille d'effet importante. Cela fournit une preuve supplémentaire que l'attention réduite et la vitesse de traitement ralentie, combinées à un sommeil insuffisant peut jouer un rôle dans le risque pour une future SRC.

Ces résultats ont des implications importantes pour la gestion de la SRC, en particulier en amont. Les athlètes signalant un manque de sommeil peuvent être référés pour une évaluation plus complète concernant le type et la nature de leurs difficultés de sommeil. Cela peut ensuite être ciblé avec une intervention.
En effet, il existe de nombreuses pratiques non pharmacologiques fondées sur des preuves pour cibler les troubles du sommeil tels que la thérapie cognitivo-comportementale pour l'insomnie et les pratiques d'hygiène du sommeil.

Conclusion

Dans l'ensemble, la présente étude approfondit la littérature existante sur le sujet et démontre que le manque de sommeil peut avoir des implications prospectives pour les athlètes en augmentant leur risque de subir une SRC.
La combinaison à la fois d'un sommeil insuffisant et d'une performance au score APS mois bonne était associée à l’apparition d'une SRC et souligne que le sommeil peut être un facteur cible important en prévention primaire pour réduire le risque de commotion cérébrale.

L'article

Riegler KE, Guty ET, Thomas GA, Bradson ML, Arnett PA. Prospective Implications of Insufficient Sleep for Athletes. J Athl Train. 2022 May 27. doi: 10.4085/1062-6050-0078.22. Epub ahead of print. PMID: 35622958.