Management et facteurs evidence-based associés au RTP après lésion aigüe des ischio-jambiers chez des athlètes.

Arnaud BRUCHARD
La blessure des ischio-jambiers (IJ) est une des blessures les plus communes chez les athlètes notamment chez ceux qui ont besoin de sprinter ou d’étirer leurs IJ en course externe maximale. A cause de la complexité des propriétés biomécaniques et anatomiques nécessaires au mouvement de la hanche et du genou, le recensement épidémiologique des lésions des IJ n’est pas chose aisée. Les lésions proximales des IJ arrivent principalement chez des patients d’âge moyen et sont souvent plus sévères, associées la plupart du temps à une convalescence prolongée et un risque de complication majoré comme une perte de force résiduelle post opératoire et des atteintes du nerf sciatique.
A contrario, les lésions dites « musculaires » (en opposition aux lésions proximales) apparaissent chez des athlètes plus jeunes avec des facteurs de risque comme des déficits de force ou d’extensibilité et bien qu’étant moins graves au premier abord, elles sont associées à un risque de lésion récidivante plus sévère.
La localisation lésionnelle est donc importante à rechercher lors de l’examen clinique. Malgré la progression de la recherche sur l’investigation des méthodes de réhabilitation et les techniques thérapeutiques employées, ces lésions sont toujours responsables d’absences prolongées sans sport et peu de consensus ont été trouvés sur le management optimal de ces lésions.
Une prédiction précise du temps de RTP est nécessaire pour guider la progression et gérer les attentes du patient quant à sa guérison.
Bien que les cliniciens comptent sur des facteurs cliniques et structurels tirés notamment de l’IRM pour aider au pronostic, la corrélation adéquate avec le temps de RTP reste débattue.

L’objectif de cette étude est de passer en revue la littérature sur le management evidence-based des lésions proximales et des lésions musculaires des IJ chez les athlètes et de trouver les facteurs cliniques et d’imagerie en lien avec le RTP.

Méthodes

Critères d'éligibilité

Tous les articles inclus sont en anglais et traitent du management et des facteurs affectant le RTP après blessure aigue des IJ. Ils devaient tous remplir les conditions suivantes sans omission :

  • L’article doit se baser sur un essai contrôlé randomisé, une cohorte, cas contrôle ou séries de cas.
  • Les patients doivent avoir subi une lésion soit proximale soit musculaire des IJ de moins de 6 semaines entre la blessure et l’évaluation.
  • Les auteurs des études ont dû investiguer les effets d’une réhabilitation bien menée ou investiguer les signes, soit cliniques soit à l’IRM, en lien avec le RTP.
  • Analyse de résultats objectifs mesurés concernant le temps de RTP, le taux de rechute, la force des IJ, l’amplitude du ROM des IJ, le ratio IJ/Quadriceps ou encore les résultats d’un bilan fonctionnel standardisé.

Sources

  • MEDLINE
  • CINAHL
  • COCHRANE
  • SPORTDiscus

Résultats

Au total, 75 articles ont été inclus. 45 d’entre eux parlaient de management de la blessure, 25 parlaient des facteurs influençant le RTP et 5 parlaient des deux. Les études concernaient des cohortes de 3 à 360 athlètes masculins et féminins pratiquant différents sports, à tout niveau, avec une moyenne d’âge de 14 à 58 ans. Sur les études liées au management de la blessure, 22/50 concernaient l’insertion proximale des IJ, et 28/50 étaient spécifiques aux lésions dites musculaires.

Un grand nombre de techniques et de programmes a été évalué incluant les traitements chirurgicaux et conservateurs, les injections de PRP et la physiothérapie. Il ressort un manque d’uniformité au sein des études concernant les méthodes de diagnostic, les critères de RTP et l’évaluation des résultats. Les études pronostiques ont déterminé à quel point les constatations étaient corrélées au temps de RTP en ayant effectué une évaluation clinique et/ou par IRM juste après la blessure.

Synthèse des résultats

Les lésions aigues des IJ ont été classifiées selon leur localisation au sein du complexe musculaire. Sur toutes les études réunies, 775 patients avaient une lésion proximale des IJ et 1057 avaient une lésion dite musculaire des IJ. Les patients étaient davantage jeunes et masculins lors des lésions musculaires.

 Lésions proximales

Pour déterminer le traitement optimal pour une atteinte proximale des IJ, 22 études se sont penchées sur l’efficacité de la chirurgie et du traitement conservateur. Associé à une réhabilitation post-opératoire, le traitement chirurgical d’une avulsion partielle semble offrir de meilleurs résultats concernant le taux de RTP, des niveaux plus bas de douleurs et de limitations fonctionnelles.

Des résultats opératoires satisfaisants ont également été démontrées lors des avulsions complètes
, hors contexte de rétraction du tendon ou de fracture de la tubérosité ischiatique. La force moyenne récupérée des IJ est de 78% à 94% dans les 12 mois post-chirurgie et le taux de RTP dépasse les 75%, bien que 45% des patients décrivent une diminution du niveau d’activité.

Deux études se focalisant sur le ROM des IJ montrent une récupération supérieure à 90% dans les 12 mois post opératoire. Quasiment toutes les études montrent qu’il n’y a pas de différence sur les scores fonctionnels entre les hommes et les femmes.

En comparaison, le traitement conservateur sur les avulsions complètes montre des déficits de force notables et des scores fonctionnels plus bas
.

 Lésions « musculaires »

La prise en charge des lésions aigües des IJ a été analysée dans 28 études. 11 études se sont focalisées sur l’effet des injections autologues de plasma riche en plaquettes (PRP) à différents volumes d’injection, différentes localisations et à différentes fréquences. Les résultats sont mitigés ; en effet bien que 3 études aient montré que l’injection de PRP était corrélée à un RTP plus court par rapport aux groupes contrôles (10j au lieu de 15j), 5 études n’ont pas montré cet effet-là.

Le taux de rechute à court terme semblerait être amélioré alors qu’à moyen et long terme on observe aucune différence avec un groupe contrôle.
La très grande majorité des études n’ont pas démontré de différences en ce qui concerne les niveaux de force lors d’injections de PRP.
Concernant le ROM des IJ une seule étude a montré qu’il n’y avait pas d’effet du PRP sur le Straight Leg Raise (SLR) ainsi que sur le ROM d’extension active des IJ.

Les programmes de kinésithérapie pour les lésions musculaires aigües des IJ ont été explorés dans 15 études. L’entrainement excentrique est associé à un RTP plus rapide chez les footballeurs de haut niveau et d’autres athlètes en comparaison à un entrainement conventionnel indépendamment du fait que la lésion se soit produite sur un over-stretch ou sur un sprint.

Le taux de rechute ne diffère pas entre l’entrainement en excentrique et les programmes conventionnels. Cependant la compliance totale à un programme d’excentrique montre de plus faibles taux de rechute et déficits de force en comparaison à des patients non compliants.
De plus, le risque de rechute était réduit par l’individualisation du travail élaboré pour agir sur les facteurs de risque, bien que cette approche semble occasionner un RTP plus long.

Concernant les étirements, il semblerait que le stretching soit efficace pour restaurer le ROM passif et les douleurs chez des patients atteints d’un grade 2 (classification de Munich), mais sans amélioration sur le ROM actif ou la force. Le ROM actif semble s’améliorer lorsque la fréquence des étirements passait de 1 à 4 sessions/jour.
Les interventions type Stretching/Renforcement (STST) ont été comparés à un programme type PATS (travail en agilité et en stabilisation du tronc) et le temps de RTP est similaire entre les deux programmes, mais un taux de rechute significativement plus important a été retrouvé pour le programme STST à 12 mois.

Deux études montrent un bénéfice pour les interventions précoces en kinésithérapie. Les athlètes qui débutent la kinésithérapie 2 jours après des lésions grade 3 ou 4 ont un RTP plus rapide que les athlètes débutant à 9 jours, sans différence sur le taux de rechute à 1 an.
Le pic de force des IJ était augmenté chez le groupe ayant débuté précocement à 3 mois post-lésion, cette différence s’estompant à 6 mois.
Les deux groupes (précoce et retardé) montrent une diminution du ratio IJ/Quadriceps en comparaison avec le membre non touché.

Il a été également démontré que la réhabilitation effectuée au seuil de douleur n’a pas d’influence sur la diminution du RTP ou d’influence sur le taux de rechute par rapport à un traitement sans douleur ; en revanche la force isométrique des IJ était supérieure de 15% après deux mois d’entrainement lors d’une rééducation au seuil de douleur.
De façon très intéressante, les techniques réflexes de relâchement, qui vont moduler à la baisse le système nerveux autonome grâce à l’inhibition réciproque, ont montré une augmentation significative du ROM passif et actif, ainsi que des scores fonctionnels.

Les interventions chirurgicales sur les lésions musculaires ont été peu examinés et lorsque l’on compare un traitement chirurgical à un traitement conservateur lors d’une rupture complète distale du semi tendineux, il n’y a pas de différence sur le temps de RTP. En revanche, 42% des patients qui n’ont pas été opérés initialement ont dû subir une intervention faute de résultats acceptables.

 Facteurs cliniques

17 études ont investigué la relation entre les constatations au bilan clinique et le temps de RTP juste après la lésion.
La douleur lors du testing en course externe, une meilleure force en course moyenne en pourcentage de force par rapport au côté non lésé et une récupération prédite par un clinicien plus courte étaient associés à un RTP accéléré.

A l’opposé, les facteurs corrélés à un RTP retardé incluaient une extension passive du membre sain plus importante, un meilleur pic angulaire en extension du genou, une blessure au biceps fémoral, une douleur maximale élevée lors de la blessure, un score à l’EVA élevé à l’examen initial, un bruit de claquement lors de la lésion, la présence d’une ecchymose, une douleur à la flexion résistée du genou ainsi que des temps de RTP prédits (autoprédiction ou prédiction par un clinicien) plus longs.

A noter que les études qui se sont intéressés à certains facteurs en particulier ont montré des résultats qui sont contradictoires.
Il n’existe pas de consensus sur le lien entre le temps de RTP et le sexe du patient, le mécanisme lésionnel (sprint ou overstretch), le grade de la lésion, l’utilisation de physiothérapie, le ROM de la hanche, le nombre de jours avant de pouvoir marcher sans douleurs, des antécédents de blessure au membre inférieur homo ou controlatéral, la longueur douloureuse dans le sens cranio/caudal, la nécessité d’arrêter l’activité dans les 5 minutes suivant la blessure, le niveau de jeu ainsi que le déficit d’extension active du genou.

Facteurs à l’IRM 

23 études se sont penchées sur le rôle de l’IRM dans la prédiction du temps de RTP.
Un RTP plus court était corrélé à une blessure sans signes à l’IRM, un pourcentage plus bas d’implication du muscle/tendon et une prédiction plus courte de la récupération par le radiologue.

A l’inverse, étaient associés à un RTP retardé : une imagerie positive, une plus grande longueur de lésion/taille du patient, un pourcentage d’implication du muscle/tendon plus élevé, une rupture complète tendineuse/myotendineuse, une désorganisation complète de la cloison centrale des IJ, une ondulation de cette cloison centrale, un plus grand nombre de muscles impliqués, et une prédiction de récupération plus longue par le radiologue.

Les études montrent des résultats divergents sur le grade de la blessure, sa longueur, sa largeur, sa profondeur, son aire de section, son volume, l’implication du tendon, l’importance de la rétraction tendineuse, la localisation de la blessure à l’intérieur du muscle, la présence de liquide extra musculaire, la distance par rapport à l’ischion et le score IRM de Cohen.

Discussion

Cette revue a cherché à évaluer le management des lésions aigues des IJ, proximales et « musculaires », en passant en revue les différentes méthodes employées et les facteurs pronostics associés au RTP. La littérature nous indique que les patients ayant subi une intervention chirurgicale suite à des ruptures proximales partielles ou complètes montrent de meilleurs résultats que ceux qui ont été traités de façon conservatrice.

Pour les patients victimes de lésions musculaires aigües, les interventions kinésithérapiques qui incluent un entrainement en excentrique et des PATS obtiennent des résultats favorables sur le temps de RTP, le taux de rechute et la restauration de la force.
Les protocoles basés sur les étirements font augmenter le ROM mais échouent à réduire le risque de rechute ou à améliorer la force. Basé sur le fait que la rééducation au seuil de douleur ne prédispose pas à des effets délétères futurs, il a été montré que la prise en charge précoce en rééducation amenait à un RTP plus rapide. Les techniques réflexes et les mobilisations en Slump apportent un bénéfice intéressant en jouant sur les composantes neurologiques liées à ces lésions. Les résultats dans de récentes méta analyses concernant le PRP sont non concluants, principalement à cause du manque de standardisation dans la formule du liquide injecté et le protocole d’injection optimal.
Les études examinant les facteurs cliniques corrélés à un RTP plus court montrent un déficit de force entre le membre touché et le membre sain moins important et des prédictions plus courtes par le praticien ayant fait le bilan clinique alors qu’un RTP retardé était corrélé à une douleur plus importante, une blessure du biceps fémoral ou une prédiction plus longue par le clinicien et par soi-même.
Sur les images IRM, les éléments retrouvés indiquant une sévérité de la lésion plus importante initialement, comme une taille de lésion plus importante, une rupture tendineuse/myotendineuse, un plus grand nombre muscles affectés étaient en lien avec un RTP retardé.

Malgré ces associations retrouvées à l’IRM, un pronostic précis du temps de récupération reste difficile et il est maintenant admis que l’examen clinique compte davantage dans la variance sur le temps de RTP par rapport à l’imagerie, et ce de façon très significative dans les études s’y étant intéressé.

Cette étude a plusieurs limitations liées à la qualité des études inclues dans l’analyse. Sur les 75 études inclues, 17 étaient des essais contrôlés randomisés et les 58 autres étaient des séries de cas, des cohortes et des cas contrôles, qui ont de fait un risque de biais plus important par manque de données prospectives. Les différences dans les designs de ces études, les populations de patients ou les résultats mesurés ont limité les comparaisons rendant difficile l’établissement de conclusions dans le cas de résultats divergents notamment. Cela a été particulièrement le cas lors de l’analyse de l’efficacité du PRP lors du traitement des lésions « musculaires » à cause de la grande variabilité des études. De la même façon, pour les études s’intéressant aux facteurs IRM comme corrélations potentielle avec le temps de RTP, la plupart d’entre elles ne s’intéressant qu’a une seule variable à la fois et les critères de RTP n’étant pas les mêmes, il apparait difficile d’en tirer des conclusions fiables.

Conclusion

L’intervention chirurgicale offre des bénéfices intéressants par rapport au traitement conservateur pour le traitement des lésions proximales aigues, partielles ou totales, des IJ alors que le traitement non chirurgical montre son efficacité lors des lésions musculaires lorsqu’il inclut un entrainement excentrique et des PATS.

L’efficacité du PRP reste à ce jour controversée. Le pronostic du RTP et la faculté de prédire précisément le temps nécessaire pour récupérer est amélioré par la réalisation d’un bilan clinique complet peu de temps après la blessure. Même si le bénéfice additionnel de l’IRM est limité, les facteurs structurels visibles à l’imagerie peuvent renseigner sur le pronostic du temps de RTP.

De futures recherches de haute qualité s’intéressant aux protocoles thérapeutiques utilisés et aux déterminants pronostiques du temps de RTP sont nécessaires pour améliorer les réhabilitations et prédire de façon plus précise les étapes de récupération chez les athlètes ayant subi une lésion aigue des IJ.

Article de référence

Samuel S. Rudisill, Michael P. Kucharik, Nathan H. Varady, Scott D. Martin : Evidence-Based Management and Factors Associated With Return to Play After Acute Hamstring Injury in Athletes. The Orthopaedic Journal of Sports Medicine, 2021, 9(11) : 23259671211053833. DOI: 10.1177/23259671211053833