Rétine et sports de contact : un risque sous-estimé, des lésions fréquentes, une prévention urgente

Jun 13 / Arnaud BRUCHARD -⏱️ 9 MIN -
Pourquoi s’intéresser aux lésions rétiniennes périphériques en médecine du sport ? 

Dans le champ de la médecine du sport, la prise en compte des atteintes traumatiques est bien ancrée lorsqu’il s’agit de lésions musculosquelettiques, cérébrales ou articulaires. Pourtant, une autre structure est régulièrement exposée aux contraintes mécaniques des sports de contact : l’œil. Si les traumatismes oculaires aigus sévères (hémorragies intraoculaires, décollements de rétine traumatiques, ruptures sclérales) sont bien identifiés, les lésions chroniques sous-cliniques de la rétine restent largement méconnues et sous-surveillées.

C’est précisément cet angle mort que vient explorer l’étude de Arej et al., publiée en 2025 dans Sports Medicine - Open. Les auteurs ont cherché à documenter la fréquence des anomalies rétiniennes périphériques asymptomatiques chez des athlètes professionnels exposés à des microtraumatismes répétés, comparant les disciplines dites de collision (rugby, boxe, judo) à des sports non collisionnels (natation, escrime, gymnastique, tir, tennis de table).

 Méthodologie de l’étude : un dépistage systématique et expert

L’étude rétrospective a porté sur 88 athlètes de haut niveau, suivis au centre spécialisé de la Fondation Rothschild à Paris. Tous ont bénéficié d’un dépistage systématique intégrant un fond d’œil dilaté associé à une imagerie rétinienne ultra grand champ (Ultra-WideField, UWF), permettant d’explorer les zones périphériques habituellement plus difficiles d’accès.

Parmi les participants, 62% pratiquaient un sport de collision, avec une prédominance de rugbymen (42 joueurs), suivis de judokas et boxeurs. Le reste du groupe concernait des disciplines à faible contact direct. La population était jeune (âge moyen 26 ans), majoritairement masculine (80%), et sans facteur confondant majeur (absence de myopie forte ou de pathologie ophtalmologique préalable).

Résultats : une prévalence marquée chez les sportifs exposés aux collisions répétées

L’analyse des examens a révélé une fréquence de lésions rétiniennes asymptomatiques bien plus importante dans les disciplines de contact.

Chez les sportifs pratiquant un sport non-collisionnel, seulement 6,1% présentaient une anomalie périphérique de la rétine. En revanche, chez les rugbymen, la prévalence atteignait 40,5%, un chiffre quasi similaire en boxe (40%) et notable également en judo (12,5%).

En pondérant les résultats, l’étude met en évidence un risque relatif multiplié par 10 à 14 selon les disciplines, avec un odds ratio global de 11,82 et jusqu’à 14,05 chez les rugbymen. La différence est donc statistiquement et cliniquement très significative.

Nature des lésions retrouvées : des altérations souvent silencieuses, mais à potentiel évolutif

Les anomalies rétiniennes périphériques documentées étaient multiples : 

  • Les dégénérescences en treillis, observées dans 13 cas, constituent des zones amincies et fragilisées du tissu rétinien, prédisposant à des ruptures spontanées ou post-traumatiques.
  • Des remaniements pigmentaires (11 cas), traduisant d’anciens microhématomes ou des lésions vasculaires cicatricielles.
  • Des condensations du vitré (6 cas), souvent associées à des tractions mécaniques répétées.
  • Des zones d’atrophie périphérique, dans 7 cas.
  • Des lésions « white without pressure » et « snail-track » évoquant des phénomènes dégénératifs précoces.
  • Une hémorragie périphérique active a été observée chez un seul athlète.


La majorité de ces anomalies sont longtemps asymptomatiques, mais constituent des fragilités potentielles en cas de choc ultérieur, augmentant notamment le risque de déchirure rétinienne ou de décollement.

Physiopathologie des atteintes rétiniennes chez les sportifs de collision

Le mécanisme principal repose sur les forces de cisaillement transmises à l’œil lors des impacts. Les accélérations et décélérations brutales provoquent des mouvements différentiels entre le globe oculaire, le vitré et la rétine périphérique. Cette interface fragile est particulièrement vulnérable aux microlésions répétées, favorisant les décollements vitréo-rétiniens partiels, les zones de traction, puis les altérations dégénératives progressives.

Les traumatismes directs orbitaires, fréquents en boxe ou en judo, participent à ces remaniements, tout comme les multiples forces indirectes rencontrées en rugby (chocs crâniens, secousses cervicales, compressions thoraciques induisant des variations de pression intra-oculaire).

Apport et limites de l’imagerie Ultra-WideField dans le dépistage

L’intérêt de l’imagerie rétinienne ultra grand champ réside dans sa capacité à capturer jusqu’à 200° du fond d’œil en une seule acquisition, contre 30 à 50° en rétinographie conventionnelle. Elle permet un balayage rapide, bien toléré et facilement reproductible.

Cependant, l’étude montre que la sensibilité de l’UWF reste incomplète : 45,2% seulement des lésions observées à l’examen approfondi ont été détectées par l’UWF, malgré une excellente spécificité (93,6%). Ainsi, l’UWF s’impose comme un outil de première ligne très pertinent pour des campagnes de dépistage élargies mais ne remplace pas l’examen au verre de contact avec indentation sclérale, qui reste la référence pour visualiser les lésions périphériques les plus subtiles.

Implications cliniques pour la surveillance médicale des sportifs de contact

Les résultats de cette étude militent pour une intégration plus systématique des bilans ophtalmologiques préventifs dans le suivi des athlètes exposés.

Pour les rugbymen, boxeurs et judokas professionnels, un bilan rétinien initial dès l’entrée en carrière pourrait être proposé. En cas de lésion objectivée, un suivi rapproché annuel s’impose, surtout en cas de poursuite de l’activité à haut niveau. La sensibilisation des staffs médicaux aux risques oculaires discrets doit être renforcée. Ces données pourraient également nourrir la réflexion sur l’évolution des équipements de protection spécifiques à chaque discipline (casques renforcés, règles de contact mieux encadrées, protocoles de retour post-commotion incluant une évaluation visuelle).

Ce que cette étude nous enseigne


Les sports de collision exposent à une prévalence bien plus élevée de lésions rétiniennes périphériques, souvent asymptomatiques mais à potentiel évolutif.


Le risque est multiplié par 10 à 14 chez les rugbymen, boxeurs et judokas, même en l’absence de traumatisme oculaire majeur identifié.


L’imagerie rétinienne grand champ (UWF) améliore le dépistage de masse, mais doit être complétée par un examen expert pour détecter toutes les anomalies


Une surveillance ophtalmologique préventive systématique devrait être intégrée dans le suivi médical des sportifs de contact de haut niveau.

CONCLUSION

Intégrer la santé rétinienne dans la prévention globale du sportif

L’étude d’Arej et al. met en lumière un risque souvent sous-estimé mais cliniquement significatif. Chez les sportifs professionnels de collision, plus d’un athlète sur trois présente des lésions rétiniennes périphériques silencieuses. Ces anomalies, longtemps ignorées, peuvent représenter des facteurs de risque évolutifs pour des complications visuelles graves si elles ne sont pas identifiées à temps.

Intégrer ces évaluations dans la routine médicale préventive permettrait d’ajouter un volet ophtalmologique indispensable au suivi du sportif de haut niveau. Préserver la fonction rétinienne, c’est préserver une capacité essentielle à la performance sportive, mais aussi garantir un pronostic visuel à long terme pour ces athlètes très exposés.

L'ARTICLE

Arej N, Treguer H, Le Cossec C, et al. (2025). Retinal Screening in High-Performance Athletes: A Retrospective Analysis of Asymptomatic Peripheral Lesions in Collision and Non-Collision Sports. Sports Med Open. 2025;11:74. https://doi.org/10.1186/s40798-025-00869-y