L’étude rétrospective a porté sur 88 athlètes de haut niveau, suivis au centre spécialisé de la Fondation Rothschild à Paris. Tous ont bénéficié d’un dépistage systématique intégrant un fond d’œil dilaté associé à une imagerie rétinienne ultra grand champ (Ultra-WideField, UWF), permettant d’explorer les zones périphériques habituellement plus difficiles d’accès.
Parmi les participants, 62% pratiquaient un sport de collision, avec une prédominance de rugbymen (42 joueurs), suivis de judokas et boxeurs. Le reste du groupe concernait des disciplines à faible contact direct. La population était jeune (âge moyen 26 ans), majoritairement masculine (80%), et sans facteur confondant majeur (absence de myopie forte ou de pathologie ophtalmologique préalable).
L’analyse des examens a révélé une fréquence de lésions rétiniennes asymptomatiques bien plus importante dans les disciplines de contact.
Chez les sportifs pratiquant un sport non-collisionnel, seulement 6,1% présentaient une anomalie périphérique de la rétine. En revanche, chez les rugbymen, la prévalence atteignait 40,5%, un chiffre quasi similaire en boxe (40%) et notable également en judo (12,5%).
En pondérant les résultats, l’étude met en évidence un risque relatif multiplié par 10 à 14 selon les disciplines, avec un odds ratio global de 11,82 et jusqu’à 14,05 chez les rugbymen. La différence est donc statistiquement et cliniquement très significative.
Les anomalies rétiniennes périphériques documentées étaient multiples :
- Les dégénérescences en treillis, observées dans 13 cas, constituent des zones amincies et fragilisées du tissu rétinien, prédisposant à des ruptures spontanées ou post-traumatiques.
- Des remaniements pigmentaires (11 cas), traduisant d’anciens microhématomes ou des lésions vasculaires cicatricielles.
- Des condensations du vitré (6 cas), souvent associées à des tractions mécaniques répétées.
- Des zones d’atrophie périphérique, dans 7 cas.
- Des lésions « white without pressure » et « snail-track » évoquant des phénomènes dégénératifs précoces.
- Une hémorragie périphérique active a été observée chez un seul athlète.
La majorité de ces anomalies sont longtemps asymptomatiques, mais constituent des fragilités potentielles en cas de choc ultérieur, augmentant notamment le risque de déchirure rétinienne ou de décollement.
Le mécanisme principal repose sur les forces de cisaillement transmises à l’œil lors des impacts.
Les accélérations et décélérations brutales provoquent des mouvements différentiels entre le globe oculaire, le vitré et la rétine périphérique. Cette interface fragile est particulièrement vulnérable aux microlésions répétées, favorisant les décollements vitréo-rétiniens partiels, les zones de traction, puis les altérations dégénératives progressives.
Les traumatismes directs orbitaires, fréquents en boxe ou en judo, participent à ces remaniements, tout comme les multiples forces indirectes rencontrées en rugby (chocs crâniens, secousses cervicales, compressions thoraciques induisant des variations de pression intra-oculaire).
L’intérêt de l’imagerie rétinienne ultra grand champ réside dans sa capacité à capturer jusqu’à 200° du fond d’œil en une seule acquisition, contre 30 à 50° en rétinographie conventionnelle. Elle permet un balayage rapide, bien toléré et facilement reproductible.
Cependant, l’étude montre que la sensibilité de l’UWF reste incomplète : 45,2% seulement des lésions observées à l’examen approfondi ont été détectées par l’UWF, malgré une excellente spécificité (93,6%). Ainsi, l’UWF s’impose comme un outil de première ligne très pertinent pour des campagnes de dépistage élargies mais ne remplace pas l’examen au verre de contact avec indentation sclérale, qui reste la référence pour visualiser les lésions périphériques les plus subtiles.
Les résultats de cette étude militent pour une intégration plus systématique des bilans ophtalmologiques préventifs dans le suivi des athlètes exposés.
Pour les rugbymen, boxeurs et judokas professionnels, un bilan rétinien initial dès l’entrée en carrière pourrait être proposé. En cas de lésion objectivée, un suivi rapproché annuel s’impose, surtout en cas de poursuite de l’activité à haut niveau. La sensibilisation des staffs médicaux aux risques oculaires discrets doit être renforcée. Ces données pourraient également nourrir la réflexion sur l’évolution des équipements de protection spécifiques à chaque discipline (casques renforcés, règles de contact mieux encadrées, protocoles de retour post-commotion incluant une évaluation visuelle).
Les sports de collision exposent à une prévalence bien plus élevée de lésions rétiniennes périphériques, souvent asymptomatiques mais à potentiel évolutif.
Le risque est multiplié par 10 à 14 chez les rugbymen, boxeurs et judokas, même en l’absence de traumatisme oculaire majeur identifié.
L’imagerie rétinienne grand champ (UWF) améliore le dépistage de masse, mais doit être complétée par un examen expert pour détecter toutes les anomalies
Une surveillance ophtalmologique préventive systématique devrait être intégrée dans le suivi médical des sportifs de contact de haut niveau.