Le mythe du travail excentrique en précoce après lésion des ischio-jambiers est-il réellement tombé ?

Aug 30 / A.BRUCHARD; N.LEMEUNIER; V.FONTANIER
Les études cliniques sont au cœur des avancées de la médecine et de la kinésithérapie. Elles permettent d’évaluer objectivement l’efficacité d’un traitement. Il est important de veiller à ce que l’interprétation de leurs résultats ne soit pas erronée, encore plus quand des erreurs sont volontaires et véhiculées dans le seul but d’influencer à tort. Pour éviter ce genre de manipulation dénuée de toute approche scientifique, certaines règles doivent être respectées. Connaître et comprendre ces règles est essentiel pour juger de la qualité d’une étude clinique et résister aux sirènes de la médiatisation enthousiaste des réseaux sociaux.

Dans ce cadre, revenons sur l’article de Vermeulen et al [1] publié en mars 2022. Cet essai clinique contrôlé et randomisé cherche à comparer l’influence d’une introduction précoce par rapport à une introduction retardée d’exercices d’allongements d’Askling (le « diver », l’ « extender » et le « slider ») dans la réhabilitation après lésions aigües des ischio-jambiers sur le temps de retour au sport et les taux de récidives à 2, 6 et 12 mois chez des athlètes masculins.
À ce propos, le 19 mai 2022, l’agence EBP publie sur ces réseaux un post vulgarisant cette publication en parlant « de mythe qui tombe », en faisant croire que leur post va « atomiser les croyances ».

Afin de ramener un peu plus de sérieux et pour répondre à la question posée en titre de cet article, et donc aux propos erronés des réseaux sociaux, Arnaud Bruchard, Nadège Lemeunier, directrice de recherche et épidémiologiste, et Vincent Fontanier, chercheur en neurosciences, biologiste et biostatisticien, du pôle scientifique de Kinesport vous proposent d’éclaircir cette étude.
Il faut bien comprendre ici que l’objectif de l’étude :

  • N’est pas d’évaluer l’efficacité ou l’intérêt des exercices d’allongements d’Askling dans le protocole de réhabilitation mais bien d’étudier le moment de leur introduction dans le protocole de réhabilitation et l’influence de cette temporalité sur le temps de retour au sport ou les taux de récidive. 
  • N’est pas de généraliser à l’ensemble des exercices excentriques mais bien de se focaliser sur les 3 exercices d’allongement d’Askling (le « diver », l’ « extender » et le « slider ») qui sont ici étudiés.
Enfin, rappelons-nous que :

  • La plupart des études démontrent que les trois exercices d’Askling ne sont pas indiqués pour une lésion du Biceps Fémoral [2-4] (lésion représentée à plus de 80% dans l’échantillon de cette étude)
  • La classification de Peetrons modifiée [5] n’est pas adaptée pour classifier les lésions musculaires intrinsèques indirectes, et n’a pas de corrélation significative avec le délai de retour au jeu
  • Le grade 1 de cette même classification correspond à un œdème sans anomalie de l’architecture musculo-tendineuse, et qu’un grade 2 est décrit comme une dégradation de l’architecture musculo-tendineuse correspondant à une rupture partielle [5]. 
  • Que, par définition de la lésion, le travail excentrique n’a que très peu d’utilité sur un grade 1 de Peetrons modifié d’un point de vue thérapeutique.
  • Les études d’Askling [6-7] sur le L-protocol, utilisées comme références dans cet article, sont évaluées par une méta-analyse comme ayant un risque de biais méthodologique modéré pouvant entraîner des conséquences sur les résultats qui doivent être considérés avec précaution [8]. 

Analyse de la validité interne de l’étude

La validité interne est directement liée au risque de biais introduit dans la méthode pouvant influencer les résultats d’une étude.
La majorité des critères méthodologiques essentiels à un essai clinique contrôlé et randomisé ont été respectés (éthique, analyse de puissance et taille de l’échantillon, randomisation, insu, conformité du suivi, choix et conditions d’utilisation et d’applications des tests statistiques).

Analyse de la validité externe de l’étude

La validité externe permet d’étudier le degré d’applicabilité des résultats aux patients de votre quotidien, c’est en fait le degré de généralisation et d’extrapolation des résultats. Dans cet article, les éléments décrits ci-dessous peuvent compromettre la validité externe et donc empêcher une généralisation des résultats.
Tout d’abord, les lésions musculaires aiguës des ischio-jambiers inclus dans cette étude sont des lésions de grades I-II selon le système de cotation de Peetrons [5]. La classification de Peetrons est une classification datant de 2002 issue d’un commentaire clinique écrit par ce seul auteur définissant les grades comme suit : 

  • Grade 0 : pas de lésion,
  • Grade 1 : œdème sans anomalie de l’architecture musculo-tendineuse,
  • Grade 2 : dégradation de l’architecture musculo-tendineuse correspondant à une rupture partielle,
  • Grade 3 : rupture musculo-tendineuse complète.
Il faut savoir qu’il n’existe pas de méthode standardisée pour ce type d’article et les auteurs sont libres d’inclure les articles de leur choix dans leur synthèse. De plus, la qualité des articles inclus n’est pas vérifiée permettant aux auteurs d’inclure tous types de qualité méthodologique et donc potentiellement des résultats biaisés. Les résultats présentés dans ces schémas d’étude doivent donc être considérés avec précaution, sous forme d’hypothèses, qui doivent être confirmées par des études dont le schéma d’étude est approprié à la question de recherche. En parallèle de ce point, les classifications sont basées sur des critères anatomo-morphologiques et ont une incidence fonctionnelle. De ce fait, les atteintes des patients dont les grades de classification sont différents peuvent difficilement être comparables. De même, une classification inadaptée des lésions peut mener à comparer des pathologies non comparables.

Ensuite, tous les participants ont reçu le même protocole de réhabilitation standard incluant des exercices d’amplitude du mouvement, d’étirements progressifs, de stabilité et d’agilité [9-11]. Ce protocole de réhabilitation ainsi que les 3 types d’exercices d’allongements d’Askling (plus précisément, le « diver », l’« extender » et le « slider ») [6-7] utilisés ont des résultats controversés dans la littérature [2-4]. En effet, il semblerait que ces exercices ne soient pas spécifiques [2-3] et n’aient pas d’implication sur l’architecture musculaire [2, 4], à l’inverse d’autres exercices tels que le Nordic Hamstring Exercise (NHE) et ses dérivés, ainsi que le Hip Trust [12]. Pour ne citer que l’exercice glider, le pic d’activité EMG est relativement faible puisque inférieur à 40% des contractions volontaires maximales [13]. De plus, une récente revue systématique avec méta-analyse synthétisant tous les essais cliniques étudiant des exercices excentriques pour prévenir les blessures aux ischios-jambiers ne mentionne aucune étude incluant l’un des trois exercices d’Askling sur des individus sains [14]. Pour finir, les exercices excentriques d’Askling n’ont aucun effet démontré sur les lésions de grades I de Peetrons qui, rappelons-le, sont définies par un œdème sans anomalie de l’architecture musculo-tendineuse.

En effet, il n’y a aucune logique clinique à intégrer des exercices excentriques sur un œdème, c’est la raison pour laquelle la majorité des études se focalisent sur des lésions structurelles. Il est donc possible que l’inclusion des lésions de grades I dans cette étude aient pu modifier les résultats. Une étude incluant uniquement des lésions de grades II selon la classification de Peetrons modifiée (identifié par une dégradation de l’architecture musculo-tendineuse correspondant à une rupture partielle) aurait été plus adaptée aux exercices. Par conséquent, les résultats obtenus dans cette étude ne sont pas généralisables à votre pratique si vous n’utilisez pas la classification des lésions musculaires de Peetrons et/ou si vous utilisez d’autres types d’exercices dans votre programme de réhabilitation.

Analyse des résultats 

Afin de vous faciliter la compréhension de cette analyse des résultats, un glossaire des termes statistiques utilisés se trouve en fin de document.
La présentation des résultats de l’article rend difficile la compréhension des statistiques sous-jacentes et amène à certaines incohérences* . C’est en particulier le cas pour l’analyse des variables autres que le RTP à 2, 6 et 12 mois pour laquelle il faut jongler entre différentes parties de l’article pour n’obtenir qu’une description incomplète de l’analyse (mention simple de régression logistique sans plus de détails). C’est également le cas pour l’analyse de survie. Les modèles de Cox sont idéaux pour ce type de données temporelles et sont largement utilisés dans le domaine biomédical (en oncologie notamment). Cependant, la description des résultats de cette analyse est difficile à comprendre et les variables ajustées ne sont pas clairement spécifiées (il est simplement mentionné que la variable « moment de la blessure durant le match ou l’entrainement » a induit un ajustement). Le premier auteur de cette étude a été contacté le 28 juin 2022 pour éclaircir la compréhension de leurs résultats, mais nous n’avons pas encore reçu de réponse. Une mise à jour de notre analyse sera effectuée au regard de leurs retours.
*Incohérences relevées dans l’article :
- Paragraphe "Primary outcome: time to return to sport", 23 jours pour le groupe précoce et 33 jours pour le groupe retardé soit une différence de 10 jours. Alors que dans le même paragraphe, la différence de médiane reportée entre les groupes est de 8 jours. A noter que cette différence est indiquée dans la même phrase que celle relatant l'analyse de taille d'effet qui est normalement réalisée sur les moyennes et non médianes (lorsque reporté avec le d de Cohen, comme dans l'étude, des analyses de taille d'effet sur médiane existent). Cette valeur de 8 semble donc être une moyenne plutôt que la médiane. Ce problème est reporté de la même manière dans la partie Discussion paragraphe "return to sport times".
- Dans le tableau 3, on ne sait pas ce que sont les valeurs reportées. Il s'agit vraisemblablement des moyennes qui seraient donc de 27.6 jours pour le groupe précoce et 33.9 jours pour le retardé soit une différence de 6.3 jours qui ne correspond pas aux valeurs reportées ailleurs dans l'article. A noter également que les effectifs (n) des groupes précoces et retardés ont été inversés dans la première ligne de ce tableau. Comme les valeurs des moyennes ne sont reportées nulle part ailleurs, il est difficile de savoir si ces dernières ont également été inversées ou non (probablement pas, vu la direction de la différence).

 Comparaison des groupes en début d’