Les ruptures proximales du muscle Droit Fémoral doivent-elles être traitées chirurgicalement?

Arnaud BRUCHARD
Les atteintes de la JMT (jonction myo-tendineuse) proximale du Droit Fémoral sont fréquentes, alors que les blessures au niveau des attaches proximales sont plutôt rares, et comptent pour 1.5% des blessures à la hanche lors de la pratique sportive selon une revue de la littérature. Elles touchent généralement les sportifs de haut niveau à la suite d'une contraction excentrique brutale en position de course externe (extension de la hanche, flexion du genou). Elles sont trop souvent mal diagnostiquées au départ, ce qui entraîne un retard dans le traitement. Aucun consensus thérapeutique n'a encore été clairement établi pour la rupture proximale du tendon du Droit Fémoral. Le but de cette revue de la littérature, proposée en synthèse traduction, était d'analyser les résultats des différents traitements proposés dans la littérature pour la rupture proximale du tendon du droit fémoral afin de définir les indications chirurgicales.

Méthode

Lors de cette revue de la littérature effectuée sur Pubmed, 266 articles ont été collectés, dont 36 ont été finalement sélectionnés : 15 séries de cas, 18 rapports de cas cliniques, ainsi que 3 opinions d’experts. Ont été inclus seulement les atteintes traumatiques proximales (mécanisme lésionnel intrinsèque), avec ou sans avulsion osseuse.

Résultats

 Traitement Conservateur 

13 articles, 51 patients au total, dont 12 avaient une avulsion osseuse : 11 adolescents et 1 adulte) ont été traités de manière conservatrice. Les objectifs étaient les suivants : 
  1. Limiter la production fibroblastique par des ultrasons et en n'administrant aucun anti-inflammatoire non stéroïdien pendant les 48 premières heures.
  2. Orienter le processus de guérison par une rééducation précoce douce, des étirements et des contractions isométriques, puis isotoniques, et concentriques, puis excentriques, en décharge, puis en charge.
  3. Optimiser la fonction des fibres musculaires par le renforcement musculaire isocinétique, le travail proprioceptif, le travail de démarrage/accélération et la reprise progressive du sport. (vélo et natation, puis jogging et saut).

 Traitement Chirurgical 

25 articles, 65 patients au total, opérés par de multiples techniques chirurgicales. L’approche antérieure telle décrite par Hueter a été utilisée chez 48 patients, l’approche de Smith-Petersen a été utilisée chez 4 patients. Dans la majorité des cas, une libération régionale du droit fémoral était nécessaire, car il était souvent rétracté avec des adhérences, pour faciliter la mobilisation.

Les différences se situaient au niveau du type de réparation : 

  • Dans les cas aigus (10 articles rapportant un total de 26 patients), la réparation a été effectuée par réinsertion via des ancres dans 14 cas, le tissus fibreux a été réséqué avec une suture locale musculo-tendino-aponévrotique dans 1 cas, les tissus ont été directement suturés dans 8 cas,et les tissus ont été réinsérés par des tunnels trans-osseux dans 1 cas. En 2012, Garcia et al. (2020) ont proposé d'optimiser la guérison de la réparation chirurgicale par une injection locale de plasma riche en plaquettes pour 4 de ses 10 patients. Dans les cas aigus d'avulsion osseuse (2 cas), une fixation par vis (1 cas adulte) ou par ancre (1 cas adolescent) a été proposée.
  • Dans les cas chroniques, le traitement chirurgical était proposé dans un second temps, après l’échec du traitement conservateur (15 articles rapportant un total de 41 patients). Il a été réalisé sous forme de reconstruction tendineuse proximale (1 cas de greffe synthétique, aucun cas de greffe autologue), de résection du tissu cicatriciel seul (23 cas, dont 16 par arthroscopie), ou de résection du tissus fibreux avec une suture myo-tendineuse locale (6 cas). Pour les cas d'avulsion osseuse traités secondairement par chirurgie (9 cas), il a été réalisé soit une résection osseuse seule (7 cas, dont 1 par arthroscopie), soit une réduction et une fixation par vissage (2 cas). Dans 2 cas, la chirurgie de seconde intention était la résection d'une lésion labrale symptomatique.
    Le délai entre le traumatisme et le traitement chirurgical de seconde intention était au minimum de 6 mois et au maximum de 2 ans.

Les soins postopératoires consistaient en une décharge du membre et le port d'une attelle de genou en extension pendant 6 semaines afin de limiter le stress postopératoire sur la réparation. Un protocole de rééducation passive précoce a toujours été mis en place pour limiter les adhérences, puis la rééducation a été progressivement intensifiée, avec une reprise complète des activités au minimum à 4 mois et au maximum à 2 ans postopératoires.

B. Sonnery-Cottet a proposé un protocole de rééducation postopératoire plus rapide après résection de la fibrose et suture locale, avec 2 semaines ou plus de décharge (selon la douleur), une rééducation progressive de l'appareil extenseur entre 2 et 6 semaines, puis un renforcement musculaire jusqu'à la 10e semaine (selon la tolérance). L'entraînement sportif pouvait être repris à partir du deuxième mois. Cette approche était similaire à celle proposée pour les patients pédiatriques qui avaient une durée de sortie plus courte d'une semaine en moyenne (3 jours minimum, 2 semaines maximum).

Résultats Fonctionnels 

Tableau récapitulatif des résultats fonctionnels en fonction des différentes méthodologies

Complications liées au traitement conservateur

Elles peuvent être déterminées en analysant les indications des patients ayant subi une chirurgie secondaire à un traitement conservateur (41 patients).

  • Douleur séquellaire : 22 patients
  • Récidive : 6 patients
  • Perte de fonction et douleur séquellaire : 4 patients
  • Complications liées à l’avulsion (pseudarthrose, ossification) : 9 patients
  • Des complications liées à l’hématome sont aussi souvent retrouvées de manière associée

 Complications liées au traitement chirurgical

  • Aucune récidive de la rupture n'a été signalée dans les études.
  • Une légère douleur séquellaire a été constatée chez 2 des 26 patients traités par chirurgie de première intention.
  • Les principales complications liées à l'approche chirurgicale sont les lésions du nerf cutané latéral de la cuisse (2 cas sur 5 pour Irmola et al.) provoquant des paresthésies douloureuses et/ou une hypoesthésie sur la face antérolatérale de la cuisse.
  • B.Sonnery-Cottet a rapporté qu’1 patient sur 5 a eu une complication liée à un hématome.

Discussion

Cette revue de la littérature confirme la rareté de ces lésions et l'absence de consensus en termes de traitement. Cette rareté peut également s'expliquer par la difficulté du diagnostic clinique, qui reste souvent méconnu et est responsable d'une errance diagnostique et d'un retard de traitement. En analysant la littérature, les résultats thérapeutiques (reprise du sport, résultat fonctionnel) semblent bons que le traitement soit conservateur ou chirurgical. La principale différence est le temps de récupération, qui est plus court pour le traitement conservateur (maximum 3 mois) que pour le traitement chirurgical (minimum 4 mois). Le fait que le patient soit un athlète de haut niveau et le type de lésion (tendon, musculo-aponévrotique, avulsions osseuses) n'ont pas influencé le choix du traitement chirurgical en aigu. En cas de lésion musculo-tendineuse ou tendineuse pure sur l'ensemble du corps, le traitement conservateur semble préférable en raison du temps de récupération plus court. Les mêmes conclusions ont été faites avec un traitement conservateur pour les avulsions osseuses avec peu ou pas de déplacement proximal du droit fémoral. Aucune donnée précise sur l'étendue du déplacement n'a été fournie.

Le consensus qui s'est dégagé est celui de l'article de Rajasekhar et al. : la chirurgie doit être proposée pour les avulsions osseuses dans les cas où le déplacement est supérieur à 2 cm ou dans les cas symptomatiques de pseudarthrose ou d’ossification hétérotopique autour de l'avulsion
.

Le principal facteur pronostique mentionné était le délai de prise en charge, avec un avantage pour une prise en charge précoce (diagnostic et traitement). Un traitement conservateur précoce permettrait de limiter les douleurs résiduelles et les complications à moyen terme, de favoriser une récupération complète et rapide, et par conséquent de prévenir le développement d'une fibrose cicatricielle.

En cas d'échec du traitement conservateur après 3 mois de traitement approprié, un geste chirurgical pourrait être proposé et donnerait de bons résultats fonctionnels après excision du tissu fibreux et suture au niveau de la rétraction. Cette technique permet de réséquer la fibrose souvent responsable de douleurs résiduelles, et la suture au lieu de la rétraction dans la zone myo-tendineuse permettrait une intégration locale plus solide sans tension de réinsertion avec un risque de récidive réduit, notamment chez les sportifs de haut niveau.

Conclusion

En conclusion, après avoir passé en revue la littérature, les auteurs proposent la méthodologie décisionnelle suivante pour les atteintes proximales du droit fémoral

  1. Rupture myotendineuse: traitement conservateur pendant 3 mois (traitement antalgique, mesures pour réduire l'hématome, et rééducation adaptée précoce). En cas d'échec du traitement conservateur (douleurs persistantes) une IRM doit être demandée.
    Puis, une chirurgie secondaire peut être décidée : elle consistera en une résection de la fibrose/ossification, une suture des tissus musculo-tendineux-aponévrotiques, et un traitement des lésions associées.
  2. Avulsion osseuse: traitement conservateur sauf si le déplacement est supérieur à 2 cm. Dans ce cas, une chirurgie primaire est recommandée : réinsertion par vis ou une ancre.

L'article

Choufani C., Khiami K., Barbier O. Should proximal ruptures of the anterior rectus femoris muscle be treated surgically? Chinese Journal of Traumatology, 2021. ISSN 1008-1275.
https://doi.org/10.1016/j.cjtee.2021.11.004.
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