Les muscles paravertébraux — multifidus (MF), érecteurs du rachis (ES), psoas (PM), quadratus lumborum (QL) — sont des stabilisateurs centraux du rachis. L’étude analyse deux paramètres principaux via IRM : la surface fonctionnelle (FCSA), qui reflète la masse musculaire réelle en excluant la graisse, et le taux d’infiltration graisseuse (FI).
Les résultats sont sans appel pour le multifidus. Chez les patients lombalgiques, la FCSA du multifidus est significativement réduite par rapport aux témoins sains, avec une différence standardisée de −0.369. Cette atrophie est encore plus marquée au niveau de L4–L5, une zone soumise à de fortes contraintes biomécaniques, avec une différence de −0.505. En parallèle, l’infiltration graisseuse du multifidus augmente nettement, avec un effet mesuré à +0.583.
Ces données confirment une association étroite entre la perte de qualité musculaire du multifidus et la lombalgie, à la fois en termes de volume musculaire et de composition.
Cette figure illustre la manière dont les chercheurs analysent les muscles paravertébraux, et en particulier le multifidus, à l’aide de l’IRM.- Image (a) : montre une coupe sagittale (de profil) de la colonne lombaire. On voit ici comment les plans de coupe transversaux (horizontaux) sont définis pour analyser les muscles en coupe.
- Image (b) : dans cette coupe axiale (horizontale), on distingue la graisse totale (en rouge), incluant à la fois la graisse musculaire et sous-cutanée. Cela permet d’évaluer l’environnement global du rachis.
- Image (c) : la zone en jaune entoure le multifidus gauche dans son ensemble (muscle + graisse). C’est la surface totale du muscle.
- Image (d) : ici, seule la graisse contenue dans le multifidus est mise en évidence. Cela permet d’estimer la part infiltrée de tissu adipeux.
- Image (e) : cette image montre la surface fonctionnelle du muscle multifidus, c’est-à-dire la zone réellement contractile (le muscle pur, en excluant la graisse). C’est cette donnée qui est utilisée pour mesurer l’efficacité musculaire réelle.
Pourquoi c’est important ?
Cette segmentation IRM est au cœur des résultats de l’étude. Elle permet de quantifier précisément :
- L’atrophie musculaire (réduction de la surface fonctionnelle)
- L’infiltration graisseuse (augmentation de la zone grasse)
- L’efficacité réelle du muscle (en croisant les deux précédentes)
C’est sur ces mesures que repose la démonstration du lien entre dégénérescence musculaire et lombalgie chronique.
Les résultats sont plus nuancés pour les autres muscles. Le muscle érecteur du rachis montre une légère augmentation de la graisse chez les lombalgiques (+0.235), mais sans modification significative de sa surface musculaire fonctionnelle. Quant au psoas et au quadratus lumborum, ni leur taille, ni leur composition n’apparaissent modifiées de façon significative. Cela suggère que la dégénérescence musculaire en lien avec la douleur chronique concerne avant tout le groupe postérieur profond, et en particulier le multifidus.
Le multifidus, profondément ancré entre les apophyses vertébrales, est un muscle postural de stabilisation fine. Il est particulièrement vulnérable à la douleur chronique, à l’inactivité, au désentraînement, mais aussi à l’obésité et au vieillissement. En cas de lombalgie, il peut subir une perte de trophicité, remplacée par de la graisse interstitielle et intramusculaire, un phénomène confirmé par IRM et spectroscopie dans plusieurs études citées.
L’étude souligne également que l’âge, le BMI, et l’inactivité physique jouent un rôle majeur dans l’accumulation de graisse musculaire. Le lien entre infiltration graisseuse du multifidus et intensité de la douleur (mesurée par l’échelle EVA) est fort. D'autres facteurs comme la sédentarité, la sarcopénie, la dégénérescence discale, voire des processus inflammatoires chroniques participeraient à cette altération musculaire profonde.
En combinant des mesures multi-niveaux et en se concentrant sur L4–L5 et L5–S1, les auteurs montrent que l’imagerie pourrait fournir une signature morphologique typique chez les lombalgiques chroniques : perte de surface musculaire du multifidus, infiltration graisseuse marquée, asymétrie bilatérale, sans altération notable du psoas.
Cette signature IRM n’est toutefois pas spécifique à 100 % : certains patients avec forte infiltration graisseuse restent asymptomatiques, et inversement, certains patients douloureux n’en présentent pas. Cela souligne le rôle modulateur d'autres facteurs (psychosociaux, nociplastiques, inflammatoires) dans la perception de la douleur.
Ces résultats renforcent la pertinence des protocoles de réentraînement ciblé du multifidus, via des exercices de contrôle moteur, de gainage profond ou de stabilisation lombaire active. Les exercices de Pilates, le renforcement isométrique ou les techniques basées sur la rétroaction sensorielle (biofeedback EMG ou échoguidé) sont des pistes validées.
L’objectif thérapeutique ne se limite pas à la force : il s’agit de restaurer une architecture musculaire fonctionnelle, de limiter l’infiltration graisseuse, et de favoriser une symétrie bilatérale du recrutement moteur. Des études récentes montrent qu’un programme de 12 semaines peut déjà induire des adaptations morphologiques mesurables à l’IRM.
L’étude évoque aussi la pertinence de la perte de poids chez les patients obèses lombalgiques : elle réduirait à la fois la charge mécanique et la composante métabolique inflammatoire associée à la graisse viscérale et intramusculaire.