Effets des entrainements et matchs de football sur la force musculaire des ischio-jambiers et l’amplitude articulaire passive de la cheville et de la hanche durant une saison de compétition

Kinesport
Les blessures aux ischio-jambiers (IJ) sont parmi les blessures les plus communes dans le football professionnel, leur incidence augmentant chaque année à un taux de 2,3%/an. Elles sont responsables d’un time-loss important à l’entrainement et en compétition ce qui a des répercussions sur la performance de l’équipe ainsi que des implications financières non négligeables. La prévention et l’identification des facteurs de risque, non modifiables et modifiables, intrinsèques et extrinsèques, de ces lésions revêt donc une importance majeure.
Parmi les facteurs de risque modifiables, l’asymétrie de force des IJ, le déficit de force des IJ ainsi que des ratios de force IJ/Quadriceps faibles ont été identifiés comme augmentant la probabilité de subir une lésion aux IJ dans des sports collectifs.
Également, des joueurs avec une restriction de l’amplitude articulaire (ROM) de la hanche et de la cheville apparaissent comme plus à risque de contracter une lésion aux IJ.
Le screening de ces facteurs de risque, à la recherche de déficits et d’asymétries est donc important à mettre en place pour la pratique du football, en match et à l’entrainement.
Cependant, certains travaux ont mis en lumière l’importance de la période de la saison ou le screening est effectué, l’incidence de ces blessures augmentant progressivement pendant la saison, dû à la fatigue chronique développée par l’entrainement continu et la compétition. Cette réduction de performance physique peut être attribuée au stress physique imposé ainsi qu’à la réduction du temps alloué pour l’entrainement de la force musculaire pendant la saison.
Cette étude observationnelle prospective est un article à risque de biais modéré. Dans l’ensemble, les critères méthodologiques d’un étude observationnelle prospective sont respectés, mais il y a une ambiguïté entre le titre de l’article et ce que permet la méthodologie. En effet, la méthodologie employée permet d’observer l’évolution de la force musculaire et de l’amplitude de mouvement de la hanche et de la cheville chez des joueurs de football pendant une saison complète. Les résultats rapportés dans l’article vont dans ce sens. En revanche, on ne peut conclure sur les effets de l’entrainement ou des matchs sur cette évolution, comme le titre le laisse penser. Pour réellement répondre à cette question, il faudrait faire un essai clinique randomisé avec un groupe contrôle sans entrainement et sans match. 
L’objectif de l’étude est donc de vérifier les effets de l’entrainement régulier et des matchs de football pendant une saison entière sur la force musculaire des IJ ainsi que sur le ROM de la hanche et de la cheville chez des joueurs de football bien entrainés.

Matériel et méthode

 Participants

26 joueurs de football semi-professionnels volontaires ont participé à l’étude. La moyenne d’âge était de 20,1 +/- 1,9 ans, la taille moyenne était de 176,9 +/- 0,1cm, la masse corporelle de 72,4 +/- 6,1 kg et le pourcentage de masse grasse de 10,7 +/- 0,8%.
18 joueurs (69,2%) avaient une dominance sur le membre inférieur droit et 8 (30,8%) avaient le gauche.
Les critères d’exclusion étaient les suivants 
  • Un historique de douleur le mois précédent l’évaluation
  • Une discontinuité dans l’entrainement le mois précédent l’évaluation
  • Une blessure musculo-squelettique a un membre inférieur dans les 3 mois précédents l’évaluation
  • Les gardiens de buts ont été exclus de l’analyse

 Information sur l’entrainement

Les joueurs se sont entrainés en moyenne 13,0 +/- 2,2 heures par semaine pendant la saison entière, ce qui inclue toutes les activités d’entrainement liées au football effectuées dans leurs clubs. La session RPE (sRPE) a été calculée individuellement par le préparateur physique de l’équipe en lien avec chaque session d’entrainement effectuée. Cette mesure reprend la durée et l’intensité de chaque séance d’entrainement. La charge de travail cumulée sur la semaine a été calculée en additionnant toutes les sRPE, et en incluant la compétition.
Les joueurs ont effectué habituellement 5 entrainements sur terrain ce qui incluait les exercices de conditionnement physique, les petits jeux, le travail des skills et les exercices tactiques.
Également, les joueurs ont réalisé un programme d’entrainement basé sur la force avec des poids libres sur deux cycles : le premier visait principalement à produire des gains de force, et a été réalisé d'août à décembre et comprenait deux séances de musculation par semaine. Les séances d'entraînement de ce premier cycle consistaient en quatre exercices (demi-squat, développé couché, curl des jambes assis et rameur assis) avec une charge d’environ 80 % de la 1RM du joueur. Le deuxième cycle, qui visait principalement à maintenir les niveaux de force atteints, a été effectué de janvier à juin et comprenait une seule séance de musculation hebdomadaire. La séance consistait en quatre exercices (demi-squat, lat pulldown, dead lift et push press) effectués aux alentours de 60 % de la 1RM du joueur.

 Approche expérimentale

Dans cette étude observationnelle et prospective, l’évaluation a été réalisée par 2 membres du staff médical expérimentés. Pendant la saison complète (10 mois), les joueurs ont été testés à 3 occasions : 
  • La première semaine de présaison (juillet), qui a débuté après 5 semaines d’arrêt de l’entrainement.
  • À la mi-saison (première semaine de janvier), ou les joueurs ont déjà effectué 17 matchs officiels.
  • À la fin de la saison (dernière semaine de mai), après avoir effectué 38 matchs officiels.
La force musculaire maximale isométrique des IJ, le ROM passif de flexion, d’extension, de rotation interne (RI) et de rotation externe (RE) de hanche ont été mesurées sur chacun de ces points de passage. La dorsiflexion de cheville a également été relevée. Toutes les mesures ont porté sur les membres dominants et non dominants. Lors des mesures de mi-saison et fin de saison, l’évaluation a été conduite au moins 72h après le dernier match officiel pour réduire l’influence de la fatigue sur les variables mesurées. 

 Mesures

Force musculaire des IJ
La force maximale isométrique des IJ a été mesuré par l’intermédiaire d’un dynamomètre manuel. Après échauffement, trois essais de contraction maximale volontaire (MVC) ont été réalisées sur chaque jambe, avec un temps de repos de 30s entre chaque répétition. Pour le test, le patient était en décubitus ventral, hanche à 0° et le genou à 15° de flexion. L’effort maximal était maintenu 5s et la plus haute valeur de MVC était notée à chaque essai. Finalement, seule la plus haute valeur de force était sélectionnée pour analyse. 
ROM de la hanche
Le ROM maximal durant la flexion passive de hanche, l’extension, la RI et la RE étaient mesurés en utilisant un inclinomètre avec bras télescopique. La fin de mouvement sur chaque stretch était enregistrée quand le joueur sentait un étirement fort mais tolérable, avant apparition de douleur. Chaque mesure était réalisée deux fois pour les deux membres inférieurs avec une période de repos de 45s entre chaque évaluation. La plus haute valeur de ROM pour chaque mesure était sélectionnée pour analyse.
Dorsiflexion de la cheville
Le ROM de dorsiflexion unilatéral de cheville était évalué via le test du Leg Motion system, qui consiste à mesurer la flexion dorsale du joueur en position debout, le joueur engageant une flexion maximale d’un genou vers l’avant jusqu’à ce que le talon se décolle du sol, moment où la mesure est récupérée. Un total de 3 répétitions pour chaque membre avec une récupération passive de 10s entre les essais. Le ROM maximal atteint parmi ces mesures était sélectionné pour analyse. 

Résultats

Les joueurs de football ont pris part, en moyenne, à 17 +/- 10 matchs officiels (5-38 matchs), avec un total de temps de jeu en match de 1465 +/- 964 min (68-543min). L’évolution de la charge de travail hebdomadaire cumulée au cours de la saison montre une tendance en faveur d’une légère réduction des valeurs de la sRPE
Si l’on compare la présaison à la mi-saison, la force musculaire des IJ a augmenté significativement à la fois sur le membre inférieur dominant (+11,1%) et non dominant (+10,5%). A l’inverse, une diminution de la force musculaire des IJ était observée de la mi-saison à la fin de saison dans le membre inferieur dominant (- 9,3%). Aucun changement significatif n’était observé dans les valeurs de force musculaire isométrique des IJ sur la jambe dominante et non dominante de la présaison à la fin de saison.
Une diminution du ROM d’extension de hanche, dans la jambe dominante (-31,7%) et non dominante (-44,1%), était retrouvé de la présaison à la mi-saison. Une diminution supplémentaire était observée dans la jambe dominante et non dominante sur le ROM d’extension de hanche à la fin de la saison.
De plus, le ROM de RE de hanche a montré une diminution significative de la mi-saison à la fin de saison (-3,0%). A l’opposé, de plus hautes valeurs étaient observées de la présaison à la mi-saison sur le ROM de RI de hanche dans la jambe non dominante (+8,7%).
Aucun changement n’était noté sur les mesures de ROM restantes, et notamment sur la dorsiflexion de cheville, à n’importe quel moment de la saison.
Concernant les différences bilatérales, c’est-à-dire les mesures de la jambe dominante comparée à la jambe non dominante, la seule modification qui apparaissait pendant la saison était une augmentation du ROM de RI de hanche de la présaison à la mi-saison (+57,8%)

Discussion

Le but de cette étude était d’évaluer l'effet longitudinal de l'entraînement et des matchs de football pendant une saison complète sur la force musculaire des IJ et le ROM de la hanche et de cheville chez des joueurs semi-professionnels. Il a été retrouvé que la force musculaire des ischio-jambiers était plus faible en présaison qu'à la mi-saison, mais une réduction de la force musculaire des IJ a été constatée entre les mesures de mi-saison et de fin de saison, en particulier dans le membre dominant. De plus, les résultats montrent que l'amplitude d'extension de la hanche a diminué au cours de la saison pour les membres dominants et non dominants.
Il est intéressant d’observer que la force musculaire des IJ a augmenté lors des tests de mi-saison par rapport aux niveaux de présaison dans les membres dominants et non dominants, alors qu'elle est revenue aux niveaux de base à la fin de la saison.
A noter que la charge de travail des semaines correspondant à la période de pré-saison a entrainé des notes élevées de RPE en raison du relatif detraining des joueurs. Ces données suggèrent donc que les joueurs de football pourraient être plus sujets aux blessures musculaires aux IJ dans la phase de présaison en raison des effets du désentrainement initial causé par la période d’intersaison, entraînant potentiellement une réduction de la force musculaire des IJ, ainsi qu'une charge de travail d'entraînement plus élevée.
Fait intéressant, ce déficit de force peut être rattrapé au cours de la mi-saison grâce aux entraînements de football et au travail de conditionnement physique effectué lors de cette phase.
En revanche, une réduction significative de la force musculaire des ischio-jambiers du membre dominant a été observée en fin de saison par rapport à la mi-saison. Il est possible que les joueurs puissent montrer un relatif déconditionnement physique en raison d'une réduction de la charge de travail globale de l'entraînement, en particulier du nombre de séances de musculation effectuées dans la dernière partie de saison, et notamment sur les quatre dernières semaines de la saison, ceci visant à compenser la fatigue chronique cumulée jusque-là. Ces données suggèrent donc qu'en plus de la présaison, la phase de fin de saison peut augmenter la probabilité de subir une blessure aux muscles IJ lors d'un entraînement de football ou d'un match.

D’autre part, il a été observé une diminution de l'amplitude de mouvement de l'extension de la hanche de la présaison à la mi-saison qui a encore diminué en fin de saison. De plus, les résultats actuels ont montré une diminution significative du ROM en RE de la hanche de la mi-saison à la fin de saison dans le membre dominant, ce qui pourrait être la conséquence d’adaptations du complexe muscle-tendon. En effet, les joueurs de football effectuent régulièrement des activités motrices à haute vitesse telles que des accélérations, des décélérations, des changements de direction, des sauts et des tâches d'atterrissage qui impliquent toutes des actions musculaires excentriques-concentriques, en lien avec le cycle d'étirement-raccourcissement. Ceci a pour conséquence d’augmenter la raideur du complexe myo tendineux et de diminuer l'amplitude articulaire.

Des travaux antérieurs montrent l’existence d'asymétries de force et/ou de ROM entre les deux jambes, ce qui est associé à une probabilité plus élevée de développer des blessures aux membres inférieurs chez les joueurs de football. La présente étude a révélé une plus grande différence dans le ROM de RI de hanche entre les membres dominants et non dominants de la présaison à la mi-saison. Ceci est surement la conséquence d’une utilisation et des demandes différentes entre les deux jambes dans ce sport. Par conséquent, une attention accrue doit être portée au maintien du ROM de RI de la hanche dans le membre dominant tout au long de la saison de football.

Conclusion

Il a donc été observé que la force musculaire des ischio-jambiers fluctuait considérablement chez des joueurs semi-professionnels tout au long d’une saison dans le football. Dans l'ensemble, l'entraînement a produit des améliorations de la force musculaire des IJ jusqu’à la mi-saison, tandis que les périodes de présaison et de fin de saison peuvent toutes deux représenter des périodes avec un risque accru de blessure aux muscles IJ en raison de faibles niveaux de force musculaire. Également, l'étude a révélé une réduction progressive de l'amplitude d’extension de la hanche pendant la saison de compétition, indiquant une augmentation progressive de la raideur des fléchisseurs de la hanche en raison du volume accumulé d'entraînement et de match. Les résultats de l’étude confirment donc la nécessité d’implémenter un programme de prévention visant à maintenir des niveaux stables de force des IJ et de mobilité des hanches tout au long de la saison afin de prévenir les blessures à l'aine et aux IJ. 

L'article

Moreno-Pérez V, Rodas G, Peñaranda-Moraga M, López-Samanes Á, Romero-Rodríguez D, Aagaard P, Del Coso J. Effects of Football Training and Match-Play on Hamstring Muscle Strength and Passive Hip and Ankle Range of Motion during the Competitive Season. Int J Environ Res Public Health. 2022 Mar 2;19(5):2897. doi: 10.3390/ijerph19052897.