Des réseaux nerveux bien réels, souvent denses
Les résultats de cette revue systématique ne laissent aucun doute : les fasciae sont hautement innervés, et dans de nombreux cas, leur densité nerveuse dépasse largement celle des muscles adjacents. Cette constatation repose sur des techniques d'immunohistochimie précises, notamment l'utilisation des marqueurs tels que PGP 9.5, S100, CGRP, SP (substance P) ou encore TH (tyrosine hydroxylase), qui permettent de différencier les types de fibres nerveuses.
Plusieurs études incluses dans cette revue ont mis en évidence une abondance de terminaisons nerveuses libres dans des fasciae comme la fascia thoraco-lombaire (TLF), la fascia lata, la fascia crurale, ou encore la fascia du masséter. Chez l’animal comme chez l’humain, ces structures fasciales présentent un maillage nerveux dense, organisé le long des fibres de collagène, souvent en réseau tridimensionnel corrélé aux axes de contrainte mécanique.
Dans certaines régions, la densité nerveuse fasciale est estimée à être 2 à 3 fois supérieure à celle du muscle sous-jacent. Par exemple, dans la fascia thoraco-lombaire, la densité d’innervation détectée via PGP 9.5 ou S100 est significativement plus importante que dans les fibres musculaires du grand dorsal ou de l’érecteur du rachis. Ce constat est également corroboré par les données obtenues dans la fascia du masséter chez l’humain, et chez le rongeur dans les fasciae plantaires et lombaires.
Cette densité nerveuse n’est pas aléatoire. Elle est constituée en majorité de fibres nociceptives, mais également proprioceptives et sympathiques. Les nocicepteurs détectent les stimuli mécaniques ou chimiques menaçants, et sont fortement impliqués dans la transmission de la douleur d’origine fasciale. Les fibres sympathiques, identifiées par la présence de tyrosine hydroxylase, interviennent dans les réponses neurovasculaires et immunitaires, notamment dans les contextes d’inflammation. Quant aux fibres proprioceptives, elles participent à la perception fine des mouvements et des tensions musculaires.
De plus, l’activité de ces fibres nerveuses peut être amplifiée dans certains contextes pathologiques. L’inflammation locale, le stress mécanique chronique, ou encore des altérations posturales peuvent induire une plasticité neuro-fasciale, c’est-à-dire une hyperactivité ou une densification des réseaux nerveux dans les fasciae. Cela pourrait expliquer en partie certains syndromes douloureux chroniques, longtemps considérés comme "non spécifiques", mais qui pourraient en réalité être liés à une hyperinnervation ou une sensibilisation des tissus fascials.
En résumé, les fasciae ne sont pas de simples structures passives ou de soutien. Leur innervation riche et complexe leur confère un rôle actif dans la douleur, le contrôle moteur, et la réponse au stress mécanique. Cette dimension neurobiologique des fasciae est encore trop souvent négligée dans la pratique clinique et mérite une attention accrue dans les prises en charge thérapeutiques.
Et si le fascia expliquait certaines douleurs inexpliquées ?
Une porte ouverte pour les approches manuelles et neurosensorielles
CONCLUSION
L’étude de Suarez-Rodriguez donne du poids à une idée de plus en plus soutenue : le fascia n’est pas passif. Il sent, il réagit, il peut faire mal. Encore sous-exploré dans certaines régions (face, thorax antérieur, périnée), il reste un territoire à mieux comprendre pour mieux traiter.
Si l’on veut soulager les douleurs musculosquelettiques chroniques, il est temps de ne plus penser en "muscles seuls", mais bien en systèmes tissulaires intégrés, où le fascia joue un rôle central.
L'ARTICLE
Suarez-Rodriguez V, Fede C, Pirri C, et al.
Fascial Innervation: A Systematic Review of the Literature.
Int J Mol Sci. 2022;23(10):5674. https://doi.org/10.3390/ijms23105674