Un étude cas-témoin sur les facteurs de risque d’évaluation des blessures à la tête (HIA) en lien avec le plaquage dans la National Rugby League

Kinesport
Le rugby à XIII est un sport de contacts et de collisions dans lequel on retrouve des phases de plaquage régulièrement. Cette action a été identifiée comme celle provoquant le plus de blessures dans la National Rugby League (rugby à XIII australien), et spécifiquement celle qui est à l’origine de la plupart des diagnostics de commotion cérébrale dans le rugby professionnel. Les analyses vidéo post-commotion ont montré que le plaqueur est plus fréquemment touché que le porteur du ballon (le plaqué), que les contacts tête-tête et tête-épaule pour la partie haute du corps ainsi que les contacts tête-hanche pour les plaquages sur la partie basse sont les mécanismes les plus fréquents concernant les impacts à la tête des plaqueurs commotionnés.
Dans le rugby professionnel à XV, les plaquages hauts avec contacts plus importants sur la partie supérieure du porteur de balle (1), la vitesse du plaqueur (2) et l’accélération (3) ont été incriminés comme des facteurs amenant à l’augmentation du risque de blessure à la tête. Ces considérations ont conduit à des initiatives sur la prévention des blessures incluant une modification des règles sur la hauteur du plaquage dans le but de créer davantage de plaquages à hauteur de la taille, ou le plaqueur se baisse et se penche pour viser la ceinture de l’adversaire et ainsi éviter le plus possible les chocs tête contre tête.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette étude cas-témoin est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
L’objectif principal de cette étude est dans un premier temps de revoir et analyser les séquences vidéo des plaquages ayant entrainé des HIA, diagnostiqués médicalement comme des commotions cérébrales, ainsi que des séries de plaquages n’ayant pas résulté en impacts à la tête, afin d’explorer spécifiquement de quelle façon la position du corps du plaqueur et du porteur de balle était associée à la propension et à l’incidence des HIAs pendant les phases de plaquage dans le rugby à XIII australien (NRL).

Méthode

 Participants

Cette étude cas-contrôle a été conduite dans la NRL sur deux saisons consécutives (2017 et 2018). La NRL compte 16 clubs qui jouent dans une saison régulière à 24 matchs et des play-offs de 4 semaines entre les 8 équipes qualifiées.
Dans une saison complète, il y a donc 192 matchs de saison régulière et 9 matchs de play-offs, ce qui résulte en un total de 402 matchs dans l’étude de cohorte.

 Procédures

Les épisodes d’impacts à la tête (HIEs) ont été détecté à travers le système de surveillance de la NRL. Pour les saisons 2017 et 2018, il y avait deux systèmes de surveillance des blessures : le staff médical de l’équipe et un système de surveillance des blessures installé le long des lignes de touche (SIS).
Ainsi tous les HIEs ont été identifiés soit par le SIS soit par un médecin, et enregistrés dans l’application GamePlan, qui est utilisée pour revoir ces actions à vitesse réelle et en slow motion, et ce sur toute la durée de l’action.
Un HIA a été identifié comme un événement d'impact à la tête qui a nécessité soit le retrait du jeu permanent d'un joueur avec une commotion cérébrale confirmée, soit le retrait temporaire d'un joueur avec une commotion cérébrale suspectée pour une évaluation de blessure à la tête hors du terrain. Les HIEs et les HIAs diffèrent donc suivant le résultat clinique ou les mesures prises après l'observation de l'impact.
Pour la présente étude, les HIAs ont été sélectionnés comme le critère pour un cas de blessure à la tête car ils entrainent le retrait d'un joueur du jeu avec une commotion cérébrale suspectée ou confirmée, ce qui engendre au moins un remplacement temporaire (qui peut devenir définitif) et ont donc un impact considérable sur le sort du match.

Le focus a été porté ici sur les éléments techniques des actions concernant le plaqueur et le plaqué et les impacts à la tête qui en résultent. Il a donc été mentionné la position du corps des deux joueurs, le contact à la tête du joueur blessé avec l’adversaire pendant le plaquage et la façon dont le porteur de balle procède pour éviter le plaquage.
En parallèle, un groupe contrôle de 5694 plaquages qui n’ont pas résulté en un HIA ont été récupérés depuis une sélection randomisée de 8 matchs sur les saisons 2017 et 2018. Un plaquage a été défini comme "tout événement où un ou plusieurs défenseurs ont tenté d'arrêter ou de gêner le porteur du ballon, que le porteur du ballon ait été ou non amené au sol." Les plaquages de contrôle ont été enregistrés par le même analyste que ceux qui ont amené aux HIAs.
Les épisodes de plaquage étaient exclus de l’analyse si la qualité de la séquence vidéo ne permettait pas d’identifier ou d’observer clairement les différents éléments qui composent la phase de plaquage.

Résultats

Résumé général

Un total de 472 HIAs ont été identifiés et décryptés minutieusement pendant la période d’analyse. Parmi ceux-là, 446 (94,5%) sont apparus sur des plaquages, les 26 restants étant apparus dans le jeu ou lors de collisions sans ballon. La propension globale d’un HIA pendant un plaquage était de 1,56 HIAs/1000 plaquages, un HIA sur plaquage apparaissant tous les 0,90 matchs.
Il y a eu 283 HIAs qui sont apparus chez les plaqueurs, qui étaient 1,7 fois plus à même de subir un HIA que les plaqués (163 HIAs).
La propension chez les plaqueurs était de 0,99 plaqueurs HIAs/1000 plaquages.
En comparaison les plaqués étaient à 0,57 plaqués HIAs/1000 plaquages.

 Position du corps du joueur

Des positions du corps redressées chez les deux joueurs, le plaqueur et le plaqué, ont créé le risque le plus important de HIAs. Des plaquages hauts ont été observés dans 67% de tous les plaquages HIAs, avec un HIA impliquant un joueur qui plaque haut tous les 1,36 matchs avec une propension de 2,55 HIAs/1000 plaquages.
La propension pour un HIA était 3,2 fois plus grande lorsque les plaqueurs étaient redressés que lorsqu’ils étaient baissés au niveau de la taille (0,80 HIAs/1000 plaquages à la taille), une situation qui est arrivée tous les 4,14 matchs.
Lorsque l’on évalue le risque pour différentes positions du corps du joueur plaqué, la propension était la plus importante quand ce joueur était redressé (2,45 HIAs/1000 plaquages), comparé à une position baissée au niveau de la taille (0,16 HIAs/1000 plaquages) ou bien lorsqu’il était en train de tomber ou de plonger (1,70 HIAs/1000 plaquages).
Le taux d’incidence de HIA était le plus important pour les porteurs de balle qui étaient redressés (tous les 1,10 matchs), suivi par les porteurs de balle tombant ou plongeant (tous les 6,28 matchs) et les porteurs de balle baissés au niveau de la taille (tous les 30,92 matchs).

 Position du corps du joueur- joueur blessé

Quand le plaqueur a subi un HIA (282 HIAs avec une séquence vidéo adéquate), 160 (57%) sont apparus quand ce joueur était redressé. Les plaqueurs redressés ont la plus forte propension et l’incidence la plus élevée concernant les plaqueurs HIAs, avec des plaqueurs redressés 1,9 fois plus à même de subir un HIA que des plaqueurs à la ceinture, et 1,4 fois plus à même de subir un HIA qu’un plaqueur qui plonge.
Quand le HIA se produisait pour le porteur de balle, la propension et l’incidence la plus importante était également observée pour des plaqueurs redressés (1,17 plaqué HIA/1000 plaqueurs hauts avec un épisode tous les 2,98 matchs/plaqué HIA).
La propension la plus importante pour un HIA, à la fois pour le plaqueur et pour le plaqué, était retrouvée quand le plaqué était redressé (1,63 plaqueur HIA/1000 plaqués redressés et 0,81 plaqué HIA/1000 plaqués redressés)

 Interactions entre les positions du corps du plaqueur et du plaqué

Lors du plaquage, lorsque les deux joueurs sont redressés, la propension de HIA était de 2,64 HIAs/1000 plaquage de ce type. Il existait une similarité quand le plaqueur était redressé et le porteur de balle était en train de tomber/plonger (appelé « autres ») avec 2,69 HIAs/1000 plaquages, et également lors des plaquages ou les plaqueurs étaient bas et les porteurs de balle redressés avec 2,27 HIAs/1000 plaquages.
L’incidence concernant ces interactions était en revanche différente, l’incidence la plus haute apparaissant quand, à la fois le plaqueur et le plaqué, étaient redressés (tous les 1,57 matchs). Pour un plaqueur bas sur ses appuis et un porteur de balle redressé, un HIA était répertorié tous les 4,96 matchs, alors qu’un plaqueur redressé et un porteur de balle tombant/plongeant produisait un HIA tous les 14,36 matchs.
La propension et l’incidence la plus faible apparaissait pour des plaquages ou à la fois le plaqueur et le plaqué étaient baissés (0,05 HIAs/1000 plaquages, et un épisode tous les 134 matchs). Cette situation avait engendré seulement 3 HIAs (< 1% du total), malgré le fait que cela représentait 22% de tous les plaquages de la cohorte contrôle.

 Contact à la tête avec un adversaire

La propension la plus élevée pour le HIA du plaqueur apparaissait quand la tête du plaqueur rentrait en contact avec le coude, la chaussure ou le genou du plaqué. Les HIAs apparaissant suite à ces impacts restent tout de même rares, comptant pour 25 (9%), 12 (4%), 17 (6%) et 5 (2%) de tous les HIAs des plaqueurs, respectivement.
L’incidence la plus importante était retrouvée pour les impacts tête/tête et tête du plaqueur/épaule du plaqué. Ces impacts ont une propension relativement faible à causer des HIAs (0,64 HIAs/1000 plaquages, pour l’épaule) et une propension modérément haute (10,31 HIAs du plaqueur/1000 plaquages, pour la tête).
La propension la plus faible des HIAs était observée quand la tête du plaqueur rentrait en contact avec le tronc du porteur de balle. Cette situation résultait aussi dans l’incidence la plus faible du HIA du plaqueur, avec un HIA du plaqueur tous les 134 matchs.

Pour les HIAs du porteur de balle, la propension était la plus haute pour des contacts avec le coude, la chaussure, l’avant-bras et la tête du plaqueur, et la plus basse était pour des contacts avec le tronc, la main et l’épaule du plaqueur.
Comme observé pour les HIAs du plaqueur, les types de contact avec la plus grande propension de HIA (coude, chaussure et avant-bras) sont rares, comptant pour 11 des 162 HIAs du porteur de balle (6,8%), alors que les types de contacts les plus communs aboutissant à des HIAs étaient un contact du porteur de balle avec l’épaule (49 HIAs, 30,2%), le bras (30HIAs, 18,5%) et la tête (27 HIAs, 16,7%).

Discussion

Les HIAs sont fréquents en NRL avec 1,56 HIAs/1000 plaquages, soit un plaquage occasionnant un HIA tous les 0,90 matchs. Le premier point important est que le plaqueur a 1,7 fois plus de chances de nécessiter un HIA après un plaquage que le joueur qui se fait plaquer. En effet 63% des plaquages entrainant un HIA concernent le plaqueur, ce qui a des implications sur les mesures de prévention, et notamment par les modifications des règles mises en place pour réduire le risque de HIA.
Le second point à souligner est la confirmation que les plaqueurs qui restent redressés et plaquent haut créent un risque plus important de HIA que des plaqueurs baissés qui plaquent à la ceinture. En effet, la propension au HIA était 3,2 fois plus élevée lorsque le plaqueur restait redressé par rapport à un plaqueur baissé et 2,1 fois plus élevée par rapport à un plaqueur qui plonge où qui tombe.
Les plaqueurs créent donc un risque déjà pour eux-mêmes en restant redressés, avec une propension au HIA qui reste 1,9 fois plus élevée que lorsqu’ils se baissent, mais aussi pour le porteur de balle dont le risque est 12,8 fois plus important si le plaqueur ne se baisse pas.

Le risque de HIA était le plus fort, quelle que soit la position du corps du plaqué, lorsque le plaqueur restait redressé et a contrario il était le plus faible lorsque le porteur de balle était baissé, quelle que soit le positionnement du plaqueur.
La position du corps la plus sécure est donc lorsque le plaqueur et le plaqué sont tous deux baissés, ce qui engendre considérablement moins de blessures à la tête pendant les plaquages.
Sans surprise, la propension la plus importante de faire un HIA apparait généralement lorsque la tête heurte une surface dure, osseuse, comme un coude, une chaussure, un genou ou la tête de l’adversaire. Ces impacts à grande propension au HIA restant rares, l’incidence reste donc faible.
Ceci confirme que lorsque la tête du plaqueur est trop haute, à hauteur de tête du plaqué ou trop basse, sous la ligne des genoux du plaqué, le risque est plus important. La zone la plus sûre étant au niveau du torse de l’adversaire.
La stratégie explorée jusque-là pour réduire le risque de ces impacts entre surfaces dures est donc de tendre vers des changements dans la technique ou l’exécution du plaquage. L’idée serait de prendre contact avec le torse ou l’épaule du porteur de balle, et même si l’incidence du HIA sur les impacts tête-épaule est importante (un HIA tous les 6,09 et 8,20 matchs pour les plaqueurs et les plaqués respectivement), la propension ou le risque à créer un HIA est faible.
La propension relativement haute au HIA lorsque les joueurs sont redressés est donc en partie due à la proximité des surfaces dures (tête, coudes) mais également à des facteurs dynamiques et biomécaniques liés au plaquage et non étudiés ici, comme par exemple la bonne orientation de la tête ou le renforcement du cou, qui permettront de subir des forces et des accélérations moins importantes pouvant mener à la commotion.

 Approche biomécanique pour réduire la hauteur du porteur de balle

La posture du tronc du porteur de balle, lorsqu’elle est baissée au niveau de la ceinture, va influencer la position du centre de gravité qui va s’anterioriser dans la base de support et permettre un déplacement du CDG plus long avant de sortir de la base de support et donc que le joueur devienne instable.
Également, en adoptant une posture plus basse, le porteur de balle va donc abaisser verticalement son centre de gravité, diminuant le bras de levier de la force transmise par le plaqueur, c’est-à-dire la distance entre l’application de la force externe par le plaqueur et le sol. Ainsi, l’amplitude du moment de force transmise sera moins élevée quand le CDG est plus proche du sol.

 Considérations sur la performance

Toute recommandation qui réduit le risque de blessure mais qui à l’inverse peut affecter la performance a peu de chance d’être mis en place par les joueurs ou le coaching staff. L’objectif du plaquage étant de neutraliser le ballon et le porteur de balle pour éviter un off-load (passe après contact), il s’agira de proposer une alternative ou le plaqueur puisse quand même être capable de jouer la balle même en se baissant.
Du côté des porteurs de balle, se baisser signifie immanquablement une perte de vitesse maximale ce qui est préjudiciable dans l’objectif de gagner du terrain ou justement d’effectuer un off-load donc il apparait important de considérer le degré auquel il faudra se baisser pour ne pas affecter la performance.

Conclusion

Lors des phases de plaquage, le plaqueur est plus à risque de subir une blessure à la tête, et ce risque est le plus important lorsque les deux joueurs restent en position redressée, à la fois pour le plaqueur et le plaqué. Le risque est diminué lorsque les joueurs sont bas sur leurs appuis, le contact se faisant alors préférentiellement entre la tête du joueur et le torse ou l’épaule de l’adversaire. Les contacts les plus à risque sont les contacts tête-tête, tête-genou ou tête-chaussure de l’adversaire. Cette position abaissée est généralement plus sécure pour tout contact à la tête et toute tentative de sortie du plaquage. Des plaquages trop hauts ou trop bas, par contact entre la tête avec ces zones à forte propension de HIA, augmentent considérablement le risque global de blessure à la tête. Compte tenu de la nature dynamique et complexe du sport, s'attaquer à l'éducation et à la formation techniques pour atteindre les résultats souhaités pourrait aider à réduire les blessures à la tête.

Déjà observé dans le rugby à XV, l’introduction des stratégies de prévention, par le biais de modifications des règles, a prouvé son efficacité sur la réduction du risque de commotion cérébrale. Il pourrait être utile de renforcer et modifier les sanctions, ainsi que les méthodes d'entraînement pour réduire la fréquence des plaquages hauts.

L'article

Gardner AJ, Iverson GL, Edwards S, Tucker R. A Case-Control Study of Tackle-Based Head Injury Assessment (HIA) Risk Factors in the National Rugby League. Sports Med Open. 2021 Nov 17;7(1):84. doi: 10.1186/s40798-021-00377-9. PMID: 34787721; PMCID: PMC8599744.