Comment les kinés et préparateurs physiques entretiennent leur forme ? Résultats d’une enquête terrain auprès de 1100 professionnels

Apr 26 / Arnaud BRUCHARD - ⏱️ 4 MIN -
Un paradoxe courant : les prescripteurs de mouvement en font-ils assez pour eux-mêmes ?
Kinésithérapeutes, coachs sportifs, préparateurs physiques : ces professionnels ont en commun une mission essentielle — faire bouger les autres. Ils prescrivent de l’exercice, construisent des progressions, optimisent la performance et préviennent les blessures. Mais une question mérite d’être posée : qu’en est-il de leur propre pratique de l’activité physique ? Font-ils ce qu’ils conseillent ? Sont-ils suffisamment actifs pour garantir leur santé physique et mentale dans la durée ?

C’est à cette interrogation qu’a tenté de répondre une enquête descriptive de grande ampleur, menée aux États-Unis en 2024–2025 par Cheatham et al., et publiée dans l’International Journal of Sports Physical Therapy​.

Cette étude représente un point de départ précieux pour mieux comprendre les habitudes d’activité physique des kinés et des entraîneurs sportifs. Voici ce qu’il faut en retenir.

Méthodologie : une photographie nationale de la profession

L’étude a mobilisé un total de 1 147 professionnels en exercice, recrutés via les principales associations nationales (Academy of Orthopedic Physical Therapy, National Athletic Trainers Association) ainsi que des groupes Facebook privés. Le questionnaire en ligne comportait 20 questions validées en deux temps via des tests pilotes.

Les critères d’inclusion : être kinésithérapeute ou entraîneur sportif certifié, et exercer en milieu clinique. Les réponses ont été analysées selon les standards des Physical Activity Guidelines (PAG) 2018 du gouvernement américain, qui servent de référence en matière d’activité physique hebdomadaire recommandée.

Résultats principaux : une majorité active, mais pas sans difficultés

82 % des professionnels atteignent les recommandations officielles

Une donnée très encourageante : plus de 8 professionnels sur 10 remplissent ou dépassent les normes pour l’activité aérobie et le renforcement musculaire. Concrètement, cela signifie au moins :

  • 150 minutes d’activité modérée (ou 75 min d’intensité élevée) par semaine
  • 2 séances de renforcement musculaire hebdomadaires

En moyenne, les répondants déclaraient 13,5 heures d’exercice par semaine, avec une pratique régulière maintenue depuis 23 ans (âge adulte pris comme référence). Ces chiffres dépassent nettement ceux observés dans la population générale.

Une diversité de pratiques

Outre le cardio et la musculation, les kinés et entraîneurs interrogés pratiquent :

  • du core training (47 %)
  • des exercices d’équilibre (29 %)
  • du yoga (24 %)
  • des formes plus spécifiques comme le CrossFit, la danse, les circuits fonctionnels ou encore le Pilates

L’approche est donc souvent intégrée et variée, fidèle aux recommandations modernes sur l’entraînement santé/performance.

Le domicile, lieu de prédilection

Fait marquant : 65 % des répondants s’entraînent principalement chez eux, contre 30 % en salle. Ce choix peut s’expliquer par :

  • la flexibilité des horaires
  • l’économie de temps et d’argent
  • la possibilité d’adapter l’environnement à ses propres contraintes
  • Les plateformes en ligne, les applications ou les programmes auto-guidés prennent ici tout leur 

Motivation, autonomie, et auto-évaluation : des profils contrastés

Des professionnels motivés…
Parmi les raisons les plus souvent évoquées pour justifier leur pratique régulière, on retrouve :

  • le maintien de la santé générale (89 %)
  • l’amélioration de la qualité de vie (85 %)
  • le renforcement musculaire (73 %)
  • la prévention des pathologies chroniques (65 %)
  • la perte de masse grasse (60 %)
  • la prévention des blessures (44 %)

Ces motivations démontrent une vision santé durable, bien intégrée à leur rôle de soignant ou de coach.


… mais peu d’évaluation objective

Surprise : plus de 60 % des professionnels ne suivent pas leurs progrès via des tests standardisés (ni cardio, ni force, ni mobilité). Les seuls outils partiellement utilisés sont :

  • l’échelle de perception de l’effort (RPE) (≈ 25 %)
  • les zones de fréquence cardiaque (≈ 39 %)

Malgré leur maîtrise des outils d’évaluation pour leurs patients, ces pros semblent négliger leur propre suivi. Paradoxal, et probablement révélateur d’un manque de temps ou de structure pour soi.


Les obstacles qui freinent l’engagement physique

Même si la majorité reste active, un tiers des professionnels n’est pas satisfait de sa forme physique. Les principales barrières évoquées sont :

  • un emploi du temps surchargé (76 %)
  • le manque de temps (47 %)
  • les obligations familiales (45 %)
  • une baisse de motivation intrinsèque (35 %)
  • la fatigue physique ou mentale (32 %)

Ces freins sont très similaires à ceux rencontrés par leurs patients. Ils montrent que la réalité professionnelle empêche parfois d’incarner pleinement le rôle de modèle actif.

Technologie, auto-surveillance et digitalisation

Plus de la moitié des répondants utilisent un objet connecté (montre, capteur d’activité, etc.) pour suivre leur santé globale. C’est un levier intéressant, car il permet de maintenir un minimum de surveillance malgré un emploi du temps dense.

En revanche, peu utilisent ces données dans une logique de progression structurée (tests, planification, feedback). L’usage reste souvent passif ou gén

CONCLUSION

Analyse : entre exemplarité, fatigue et équilibre fragile
Ce que révèle cette étude, au-delà des chiffres, c’est la tension permanente entre rôle prescripteur et réalité personnelle. Les kinés, entraîneurs et autres pros du sport sont globalement actifs, motivés, autonomes… mais confrontés aux mêmes obstacles que ceux qu’ils accompagnent.

Cela interroge notre rapport à l’exemplarité : peut-on être un modèle de santé tout en s’autorisant des phases de relâchement ? Doit-on viser la cohérence totale, ou simplement tendre vers une pratique “suffisante” pour être crédible et durable dans notre métier ?

Ces résultats appellent aussi à réfléchir à de nouvelles formes de soutien professionnel, pour que les soignants puissent continuer à prendre soin d’eux. Cela passe sans doute par :

  • une meilleure organisation du temps personnel
  • une culture de la santé intégrée à la pratique
  • et une reconnaissance des limites humaines dans les environnements exigeants.


L'ARTICLE

Cheatham SW, Sutton B, Ambler-Wright T, Cheatham CJ, Ludwig CM.
How Do Physical Therapists and Athletic Trainers Maintain Their Physical Fitness? A Descriptive Survey Study.
International Journal of Sports Physical Therapy. 2025;20(4):618-631.
https://doi.org/10.26603/001c.132493