Forces musculaires et comportement des fascicules pendant trois exercices pour les ischio-jambiers

Arnaud BRUCHARD
La connaissance des forces musculaires et du comportement des fascicules pendant les exercices est essentielle car elle permet aux praticiens et aux chercheurs d'optimiser la prescription d'exercices et de cibler des adaptations spécifiques pour maximiser leur efficacité. En outre, ces informations peuvent également servir à la conception d'études d'entraînement visant à étudier les adaptations chroniques induites par différents exercices, mais les informations sur ces résultats entre différents exercices font défaut. Les exercices populaires de renforcement des ischio-jambiers comprennent le Nordic hamstring curl (NHC), Le single-leg Roman chair (RCH) et le deadlift (DL) à une jambe. Malgré l'intérêt accru pour les exercices de renforcement des ischio-jambiers, il existe actuellement peu de données sur les forces musculaires et le mode de contraction des ischio-jambiers pendant ces exercices.
En effet, bien que le NHC se soit avéré efficace pour réduire les blessures aux ischio-jambiers (lorsque la compliance est adéquate) et pour améliorer les performances de sprint ainsi que la force et la longueur des faisceaux des ischio-jambiers, les forces musculaires des ischio-jambiers et le comportement des faisceaux pendant cet exercice qui peuvent expliquer ces adaptations restent largement inconnus, et il en est de même pour le RCH à une jambe et les exercices à dominante hanche tels que le DL à une jambe. Rappelons que ces exercices sont souvent utilisés pour la prévention des blessures aux ischio-jambiers, dans le processus de rééducation et pour améliorer la performance.

C’est pourquoi, Van Hooren and al (2022) ont réalisé une étude “Muscle forces and fascicle behavior during three hamstring exercises”, dont l’'objectif était de caractériser et de comparer les forces musculaires des ischio-jambiers ainsi que le comportement du fascicule du muscle long du biceps fémoral entre ces trois exercices populaires de renforcement des ischio-jambiers afin de comprendre leur rôle potentiel dans la modification des facteurs de risque de blessure des ischio-jambiers.

Méthode

  • Étude transversale en deux sessions expérimentales. La première session a servi à familiariser les participants avec les exercices et à déterminer la 1RM pour le RCH et le DL. Au cours de la deuxième session, les participants ont effectué les exercices RCH, DL et NHC dans un ordre aléatoire.  
  • Mesure des activations EMG du long biceps femoris. 
  • Mesure de la longueur des fascicules et des forces musculaires des membres inférieurs ont été mesurées/estimées pendant les exercices.  
  • 10 participants masculins (âge moyen ± SD 23,2 ± 2,9 ans, taille 1,80 ± 0,1 m ; masse corporelle 74,4 ± 9,9 kg).  
Figure I. Configuration expérimentale pour le deadlift à une jambe (single-leg deadlift DL).
(A), le Nordic hamstring curl (NHC) (B), et la chaise romaine à une jambe (single-leg Roman chair RCH) (C), et le modèle OpenSim correspondant pour chaque exercice. Notez que les images du haut et du bas sont d'un point de vue légèrement différent. La flèche verte représente le vecteur de force de réaction au sol.

Résultats

  • La longueur du fascicule du Long du biceps fémoral n'a pas changé de façon substantielle jusqu'à la fin de l'exercice pendant le NHC et le RCH. La longueur du fascicule a d'abord augmenté, puis diminué dans le DL.
  • La longueur moyenne du fascicule était la plus élevée pendant la DL, suivie par la RCH et la NHC.
  • La vitesse moyenne d'allongement du fascicule était plus élevée dans le RCH que dans le DL et le NHC. 
  • La magnitude et la vitesse de l'excursion du biceps fémoral sont les plus élevées dans le NHC, suivi du RCH et enfin du DL. (L'excursion du fascicule musculaire a été définie comme le déplacement de la jonction myotendineuse tout au long de l'amplitude du mouvement)
  • Le NHC a nécessité une production de force maximale significativement plus élevée du court Biceps femoris (71% et 89%), du semitendinosus (74% et 82%) et du semimembranosus (22% et 48%) par rapport au RCH et au DL.
  • Le NHC a également exigé une production de force maximale significativement plus élevée du Long Biceps femoris par rapport au DL (35 %), mais il n'y avait pas de différence significative avec le RCH.
  • Le RCH a également montré des forces musculaires maximales significativement plus élevées pour le Court Biceps femoris (62%), le semitendineux (30%) et le semimembraneux (33%) par rapport au DL.
  • Le DL a nécessité des forces musculaires maximales du fessier significativement plus élevées que le NHC et le RCH (43% et 58%).
  • Les forces moyennes des muscles ischio-jambiers étaient généralement significativement plus élevées dans le NHC et le RCH par rapport au DL, mais généralement pas significativement différentes entre le NHC et le RCH.  
Figue II. En haut : Angles articulaires dans le plan sagittal pendant le deadlift sur une jambe (à gauche), le Nordic hamstring curl (au milieu) et le single-leg Roman chair (à droite). Deuxième rangée : Longueur unitaire du muscle biceps femoris et du tendon. Troisième rangée : Longueur du fascicule du Long Biceps femoris. Quatrième rangée : Forces du muscle Long Biceps femoris et du muscle Semi-tendineux. Cinquième ligne : Activation musculaire mesurée expérimentalement pour le Semi-tendineux et le biceps fémoral, moyenne sur l'emplacement proximal et distal de la mesure. 
Figure III. Forces musculaires normalisées pendant le DL (gauche), le NHC (milieu) et le RCH (droite). Chaque panneau affiche la moyenne du groupe (ligne pleine) ± 1 SD (bande ombrée). La zone gris clair reflète la phase d'abaissement des haltères pour le DL (0-66%) et le RCH (83-100%), et le début jusqu'au point de rupture du NHC (0-88%). La zone gris foncé reflète la période après le point de rupture jusqu'à la fin de la NHC (88-100%).

Discussion

L'objectif de cette étude était de caractériser et de comparer les forces musculaires des ischio-jambiers ainsi que le comportement du fascicule du muscle Long Biceps Femoris entre le NHC, le RCH à une jambe et le DL à une jambe. Les résultats les plus importants sont que la magnitude de l'excursion du fascicule était la plus élevée dans le NHC, tandis que la longueur moyenne du fascicule était la plus élevée dans le DL. Pendant toute la phase excentrique, la vitesse d'allongement du fascicule était la plus élevée dans le RCH, alors qu'elle était la plus élevée dans le NHC lorsqu'elle était mesurée uniquement après le point de rupture. Les forces maximales des muscles ischio-jambiers étaient généralement les plus élevées dans le NHC, tandis que les forces moyennes des muscles ischio-jambiers pendant la phase excentrique étaient généralement plus élevées pour le NHC et le RCH par rapport au DL, avec pratiquement aucune différence significative entre le NHC et le RCH.

 Comportement de l'unité muscle-tendon et du fascicule

L'augmentation de la longueur des unités muscle-tendon était la plus importante dans le NHC, suivi du DL et enfin du RCH. Cela reflète probablement l'augmentation relativement importante de l'angle du genou pendant le NHC, combinée à une légère augmentation de la flexion de la hanche, tandis que la flexion de la hanche dans le DL était également combinée à la flexion du genou, réduisant ainsi l'excursion totale de l'unité muscle-tendon. La quasi-totalité de la modification de la longueur du fascicule pendant le NHC s'est produite après le point de rupture (~82 %), où la vitesse et la force du fascicule du Long Biceps fémoral ont rapidement augmenté, tandis que l'activation musculaire mesurée expérimentalement a rapidement diminué. De même, pendant le RCH, l'allongement du fascicule était également associé à une activation musculaire réduite. En revanche, l'allongement du fascicule pendant la DL s'est produit avec une activation musculaire constante plus élevée et à une longueur absolue du fascicule plus élevée, mais aussi à une vitesse plus lente par rapport à la NHC.
 Force musculaire

Les forces musculaires maximales des ischio-jambiers étaient généralement plus élevées chez le NHC que chez le RCH et le DL. Les forces musculaires moyennes pendant la phase excentrique étaient généralement aussi plus élevées pendant le NHC et le RCH par rapport au DL, mais généralement pas significativement différentes entre le NHC et le RCH. Comme tous les exercices sont effectués avec une charge (presque) maximale (DL et RCH) ou supra-maximale (NHC), les différences de forces musculaires (maximales) entre les exercices peuvent être partiellement expliquées par les propriétés force-longueur-vitesse des fibres musculaires. Plus précisément, les individus commencent généralement le NHC avec une hanche neutre et une flexion du genou de 90 ̊, et descendent après environ 155 ̊ de flexion du genou, ce qui correspond aux résultats de cette étude, où l'angle du genou au point de rupture était de ~72 ̊. La force musculaire maximale plus élevée pour la plupart des ischio-jambiers dans le NHC par rapport au RCH est probablement due à l'augmentation rapide de la longueur des fascicules, qui produit des forces élevées basées sur la relation force-vitesse des fibres musculaires, malgré une longueur opérationnelle potentiellement sous-optimale. De même, les forces maximales et les forces moyennes plus faibles pendant la phase excentrique du DL par rapport au NHC et au RCH peuvent refléter le potentiel de force plus faible au niveau du membre descendant de la courbe force-longueur, qui n'est pas non plus augmenté de manière substantielle selon les propriétés force-vitesse en raison d'une vitesse d'allongement du fascicule lente.

Alors que le NHC, dominé par le genou, impliquait principalement une charge relativement élevée du Semi-tendineux, le DL, dominé par la hanche, présentait une production de force relativement faible du Semi-tendineux et relativement plus importante du Long Biceps fémoral.

Cette contribution différentielle est (largement) cohérente avec les preuves fournies par les expériences EMG et les temps de relaxation transversale (T2) de l'imagerie par résonance magnétique. Plus précisément, le Long Biceps fémoral et le Semi-tendineux ont un bras de levier relativement similaire au niveau de la hanche, tandis que le Semi-tendineux a un bras de levier plus important au niveau du genou. Les exercices qui impliquent principalement un mouvement du genou et qui créent ainsi un moment plus important au niveau du genou peuvent donc entraîner une charge plus importante du Semi-tendineux, tandis que les exercices qui impliquent principalement un mouvement de la hanche et qui créent ainsi un moment plus important au niveau de la hanche entraînent une charge plus importante du Long Biceps fémoral. Inversement, les exercices qui n'impliquent pas de mouvement articulaire substantiel et qui sont exécutés avec une légère flexion du genou et de la hanche, comme le pont ischio-jambier en décubitus dorsal - qui ressemble le plus au RCH sur une jambe - entraînent généralement une activation à peu près égale des ischio-jambiers latéraux et médiaux, ce qui correspond aussi largement aux forces musculaires observées pendant le RCH.

Il est intéressant de noter qu'après le point de rupture de la NHC, les forces musculaires du Court Biceps femoris et du Semitendineux ont diminué, tandis que les forces musculaires du Long Biceps femoris et du Semimembraneux ont rapidement augmenté. Cette contribution différentielle de ces muscles est également cohérente avec les résultats des expériences d’EMG de surface et partiellement cohérente avec les suggestions d'une production de force plus élevée par le Long Biceps femoris et du Semimembraneux à des longueurs intermédiaires d'ischio-jambiers, sur la base de leur architecture. Plus précisément, bien que les fibres longues du Semi-tendineux suggèrent que ce muscle est mieux adapté à la production de force à des longueurs d'unités muscle-tendon plus importantes que le Long Biceps femoris et le Semi-membraneux aux fibres plus courtes, la vitesse d'allongement plus élevée des fibres plus courtes peut entraîner une production de force plus importante dans les muscles aux fibres plus courtes selon la relation force-vitesse, ce qui pourrait donc signifier qu'il est bénéfique de recruter préférentiellement ces muscles.

  Limites

  • L'optimisation dynamique a été résolue pour un à deux degrés de liberté par articulation, ce qui a probablement entraîné une légère sous-estimation des forces musculaires réelles.
  • Le RCH et le DL ont été effectués avec une charge de 1-RM, alors que des charges de 70-90% sont généralement utilisées à l'entraînement. Les différences dans les moments articulaires maximaux et les forces musculaires sont donc probablement plus importantes lorsque des charges plus faibles sont utilisées dans ces exercices par rapport au NHC.
  • Les changements d'orientation de la sonde et du muscle pendant les exercices peuvent avoir affecté les mesures de la longueur des fascicules.
  • Possibilité que les signaux sEMG contiennent de la diaphonie provenant de muscles voisins en raison de la distance inter-électrodes relativement importante, et l'activation musculaire sélective doit donc être interprétée avec prudence.

Perspectives

Perspectives

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Les résultats de cette étude ont plusieurs applications pour la prévention des blessures aux ischio-jambiers, la rééducation et l'amélioration de la performance. 
Tout d'abord, l'excursion du fascicule plus importante (et la vitesse d'allongement du fascicule plus élevée lorsqu'elle est mesurée uniquement après le point de rupture), combinée aux forces musculaires maximales et moyennes élevées des ischio-jambiers dans le NHC, peut favoriser plus efficacement l'augmentation de la longueur des sarcomères et du fascicule que dans le DL et le RCH. En particulier, l'amplitude de l'excursion du fascicule est un prédicteur important de l'augmentation de la longueur du fascicule ou de l'augmentation du nombre de sarcomères en série en raison de l'entraînement. De plus, étant donné que presque tout l'allongement des fascicules et les vitesses élevées d'allongement des fascicules se sont produits après le point de rupture, le NHC pourrait devoir être supramaximal pour promouvoir plus efficacement les adaptations architecturales.

Perspectives

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Deuxièmement, une combinaison d'exercices peut être nécessaire pour entraîner de manière optimale la force des ischio-jambiers car les exercices étudiés ciblent différents muscles. Plus précisément, bien que les forces maximales des muscles ischio-jambiers aient été généralement plus élevées dans le NHC par rapport au RCH et au DL, les forces maximales pour le Long Biceps femoris et le Semi-membraneux dans le NHC n'ont duré que très peu de temps par rapport aux forces maximales dans le DL et ont également été associées à une forte réduction de l'activation musculaire. Ceci peut à son tour refléter un recrutement moindre des unités motrices pendant la phase excentrique. Par conséquent, ces brèves forces maximales élevées peuvent ne pas fournir un stimulus efficace pour les adaptations de force à long terme. 

A l'appui de cette hypothèse, la surface de la section transversale anatomique du Semi-tendineux et du Court Biceps fémoral a augmenté de manière significative après 5 semaines d'entraînement NHC, mais il y a eu une augmentation non significative beaucoup plus faible de la surface de la section transversale du Long Biceps fémoral et du Semi-membraneux. Néanmoins, la force maximale de tous les muscles ischio-jambiers, à l'exception du long Biceps, était plus élevée dans le NHC par rapport à la course à grande vitesse chez des coureurs expérimentés jusqu'à environ 9,5 m∙s-1.53,54 Pendant le RCH, seule la force maximale du Semi-membraneux était plus élevée par rapport au sprint, les autres ischio-jambiers n'étant que légèrement inférieurs. Collectivement, le NHC et le RCH peuvent donc présenter un exercice supplémentaire efficace pour renforcer les ischio-jambiers pour les forces élevées subies pendant la course à grande vitesse. De plus, le DL a nécessité des forces musculaires fessières significativement plus élevées, la force musculaire maximale étant plus élevée que celle rapportée pendant la course à grande vitesse. Alors que les résultats d'une activation musculaire plus élevée pendant le sprint par rapport aux exercices (lourds) d'entraînement en résistance sont souvent utilisés pour impliquer que les exercices d'entraînement en résistance ne peuvent pas atteindre la même charge que le sprint, les résultats de l'étude actuelle suggèrent donc que certains exercices lourds d'entraînement en résistance peuvent obtenir des forces musculaires plus élevées ou approximativement comparables à celles du sprint et donc être utilisés comme un stimulus d'entraînement efficace pour augmenter la production de force maximale à des vitesses lentes. Par exemple, les charges élevées et donc les forces musculaires sont efficaces pour améliorer l'activation volontaire et peuvent également améliorer le taux de développement de la force uni-articulaire, deux éléments qui peuvent être bénéfiques pour améliorer les performances de sprint.

Conclusion

  • Les résultats de cette étude indiquent que le NHC a généralement les forces maximales les plus élevées des muscles ischio-jambiers et entraîne un allongement excentrique des faisceaux plus important ainsi qu'une vitesse plus élevée pendant la phase de freinage spécifique par rapport au DL et au RCH. 
  • Collectivement, ces résultats suggèrent que le NHC pourrait être le plus efficace pour favoriser l'augmentation de la longueur du faisceau, bien que le DL et le RCH puissent également être efficaces pour favoriser l'augmentation de la longueur du faisceau. 
  • De plus, alors que le NHC peut être un exercice efficace pour promouvoir les adaptations de force pour le Court Biceps et le Semi-tendineux, le RCH et le DL peuvent être plus efficaces pour promouvoir les augmentations de force dans le Long Biceps et le Semimembraneux. 
  • Des études à long terme sont nécessaires pour confirmer ces implications suggérées.

L'article

Scandinavian Med Sci Sports - 2022 - Van Hooren - Muscle forces and fascicle behavior during three hamstring exercises. https://doi.org/10.1111/sms.14158

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