Renversement de situation de l’épidémiologie en football d’élite et types de facteurs de risque "alternatifs".

ARNAUD BRUCHARD
Une nouvelle étude de cohorte prospective de l’UEFA vient de sortir et ces résultats ont attiré toute notre attention. En 1999, l'UEFA a lancé un projet de recherche visant à suivre les taux de blessures, leur gravité et les schémas de blessures dans le temps, afin d’en avoir une meilleure connaissance afin de tenter d’agir et de réduire le nombre et la gravité des blessures. Une étude de surveillance des blessures a donc été lancée en 2001. Cette étude, intitulée "Elite Club Injury Study" (ECIS), a jusqu'à présent impliqué 69 équipes européennes de haut niveau de 20 pays européens différents sur 18 saisons. La physiologie du football a beaucoup changé depuis le lancement de l'ECIS avec par exemple plus de matchs par année civile et les données objectives montrent que les joueurs ont des efforts à grande vitesse plus fréquents. Un avantage d'une étude à long terme, telle que l'ECIS, est qu'elle peut révéler des tendances. Les suivis ECIS publiés précédemment sur 7 et 11 ans n'ont toutefois pas permis d'identifier de changements significatifs dans l'incidence des blessures à l'entraînement ou lors des matchs au fil du temps. Mais l’UEFA constate une toute autre version dès lors que l’étude est poussée en longitudinale sur cette fois-ci 18 saisons, de 2001/2002 à 2018/2019.

Les données de l'étude actuelle ont été collectées entre juillet 2001 et mai 2019 auprès des équipes professionnelles ayant participé à la Champions League (UCL) soit, 49 équipes de 19 pays européens, soit un total de 3302 joueurs inclus.

RAPPELS


  • On appelle exposition, le temps de jeu qu’il soit en entraînement ou en match. L’exposition a été relevé par le responsable médical de chaque équipe pour chaque joueur sur un registre de présence, sur lequel était noté également l'absence des joueurs pour cause de blessure, de maladie, de sélection en équipe nationale ou pour d'autres raisons.  
  • On appelle incidence le nombre de blessures pour 1000 heures de jeu ((Σ blessures /Σ h. d'exposition) ×1000). 
  • On appelle burden, le nombre de jours d’absence du fait d’une blessure pour 1000 heures d’exposition ((Σ lay-off days /Σ heures d'exposition) ×1000). 

Quatre mesures de blessures ont été analysées pour toutes les blessures :

  1. l'incidence des blessures à l'entraînement,  
  2. l'incidence des blessures en match,  
  3. le burden des blessures survenues à l'entraînement 
  4. le burden des blessures survenues en match.   

Des analyses spécifiques des blessures musculaires et ligamentaires ont été effectuées, car ce sont les deux types de blessures les plus courantes dans le football professionnel. L’ECIS a également relevé la disponibilité de l'équipe, l'absence pour cause de blessure et l'incidence des rechutes.

Qu’ont-ils constaté ?

  • Un total de 11 820 blessures ont été signalées pendant 1 784 281 heures d'exposition, ce qui représente une incidence totale de blessures de 6,6/1000 heures (IC 95% 6,5 à 6,7).
  • La majorité des blessures signalées sont survenues pendant le match (6785 blessures de match et 5035 blessures d'entraînement), ce qui représente une incidence de 23,8/1000 heures de match.
  • L'incidence des blessures à l'entraînement était de 3,4/1000 heures.
  • Les blessures musculaires (n=4763) et les blessures ligamentaires (n=1971) représentaient respectivement 40% et 17% de toutes les blessures signalées.


Statistiques sur les équipes

  • La taille moyenne des équipes était de 25 joueurs (95 % IC 22 à 28).
  • Les équipes avaient en moyenne 215 séances d'entraînement (IC 95% 177 à 253) et jouaient 60 matchs (IC 95% 52 à 68) de première équipe par saison, ce qui correspond à une moyenne de 3,6 séances d'entraînement pour chaque match joué (IC 95% 3,0 à 4,2).

Tendances temporelles de l'incidence des blessures
Les analyses des tendances temporelles ont montré une diminution de l'incidence des blessures, de 3 % par saison au cours des 18 années de la période d'étude, tant à l'entraînement que lors des matchs. L'incidence des blessures ligamentaires a également diminué au cours de la période d'étude, avec 5 % par saison à l'entraînement et 4 % par saison en match. L'incidence des blessures musculaires n'a pas changé au fil du temps.

Tendances temporelles pour la gravité des blessures
Il n'y a pas eu de tendances significatives dans la gravité (nombre moyen de jours perdus-day loss) de toutes les blessures à l'entraînement. Cependant, la gravité des blessures ligamentaires à l'entraînement a augmenté de 4 % par saison. La gravité des blessures lors des matchs a également augmenté, de 1% par saison, tandis qu'aucune tendance significative n'a été observée pour les blessures ligamentaires ou musculaires survenues lors des matchs.

Évolution dans le temps du burden
Le burden des blessures en match a diminué de 2 % par saison, tandis qu'aucune évolution statistiquement significative du burden des blessures d'entraînement n'a été observée. En outre, aucune tendance significative n'a été détectée pour le burden des blessures ligamentaires ou musculaires, que ce soit à l'entraînement ou en match.

Tendances temporelles pour l'incidence des rechutes
L'incidence des rechutes a diminué de 5 % par saison, tant à l'entraînement qu'en match. Des tendances similaires ont été observées pour les lésions ligamentaires, avec une diminution de 6 % à l'entraînement et de 7 % en match. L'incidence des lésions musculaires a diminué de 4 % en matchs, mais il n'y a pas eu de diminution significative à l'entraînement.

Tendances temporelles pour l'absence de blessure et la disponibilité de l'équipe
La disponibilité de l'équipe pour les séances d'entraînement et les matchs a augmenté au cours de la période d'étude, avec 0,7 % par saison pour les séances d'entraînement et 0,2 % par saison pour les matchs. Des changements inverses ont été observés pour l'absence moyenne des équipes pour cause de blessure.

DISCUSSION

Cet ensemble unique de données ECIS permet d'explorer les tendances sur 18 ans pour les données épidémiologiques clés sur les blessures du football. Par rapport au suivi sur 7 ans, les données sur 18 ans indiquent une diminution de 13 % et de 17 % de l'incidence des blessures lors des matchs et des entraînements, respectivement. Les données du tableau 3, combinées aux données longitudinales sur 18 ans dans la section Résultats, permettent de tirer six grandes conclusions :

► Le taux global de blessures a diminué à l'entraînement et lors des matchs.
► Le taux de blessures ligamentaires a diminué lors des entraînements et des matchs.
► Le taux de blessures musculaires n'a pas diminué, ni à l'entraînement ni en match.
► Le burden des blessures est resté stable.
► Le taux de rechute a diminué.
► Le taux d'absence des joueurs à l'entraînement et aux matchs a diminué.

Peut-on expliquer pourquoi le burden a changé ?
Il s'agit d'une étude épidémiologique prospective révélant des associations significatives. Les facteurs causaux ne peuvent pas être évalués à l'aide de ce plan d'étude. Cependant, après 18 ans de contacts mensuels avec ces équipes d'élite, les auteurs émettent quelques hypothèses. L’UEFA organise également une réunion annuelle avec tous les médecins en chef des clubs participant à l'EICS pour discuter des moyens de réduire les blessures, de maintenir la disponibilité des joueurs et d'accroître les performances des équipes. Lors d'une telle réunion à Porto 2013, l'avis des médecins en chef sur les quatres principaux facteurs de risque contribuant aux blessures ont été énumérés :

(1) le style de leadership de l'entraîneur-chef,
(2) la qualité de la communication interne,
(3) la charge de travail imposée aux joueurs,
(4) le bien-être des joueurs.

Cela suggère SELON LES AUTEURS, que les stratégies préventives ciblant les facteurs de risque liés aux joueurs peuvent ne pas être suffisantes, en soi, pour réduire de manière significative les taux de blessures au niveau du football l'élite. Par conséquent, d'autres facteurs de risque doivent être étudiés pour déterminer s'il existe une corrélation avec les taux de blessures et pour fournir des conseils sur les mesures préventives les plus appropriées à adopter.

Que proposent les auteurs ?

Ils ont déjà étudié certains de ces facteurs et constaté des associations entre les taux de blessures et le style de management de l'entraîneur en chef ainsi que la qualité de la communication interne au sein d'une équipe à travers une étude publiée en 2019, « Communication quality between the medical team and the head coach/manager is associated with injury burden and player availability in elite football clubs ». Bien que spéculatif, il est plausible qu'une meilleure compréhension de la façon dont ces types de facteurs de risque "alternatifs" peuvent être associés aux blessures ait contribué à la diminution des taux de blessures qui a été observée dans la présente étude.
 

Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?
La diminution de l'incidence des blessures de 3 % par saison à l'entraînement et de 3 % par saison lors des matchs observée dans la présente étude est encourageante - une réussite dans le monde de la médecine du football. En outre, le taux de rechute, 10 % de toutes les blessures, est faible dans cette cohorte de clubs d'élite masculins et il a diminué de 3 à 7 % au cours de la période de 18 ans. Le taux de rechute plus faible est peut-être la conclusion la plus importante de l'étude. Par rapport à l'époque du lancement de l'ECIS, les staffs médicaux disposent maintenant de meilleures capacités de diagnostic (analyse vidéo des mécanismes sous plusieurs angles, tests cliniques mieux corrélés, scanners IRM à plus haute résolution, nouvelles méthodes de classement) et d'une meilleure appréciation des blessures qui nécessitent une rééducation plus longue ou plus complète (par exemple, blessures par syndesmose, temps de rééducation du LCA, implication du tendon central dans les blessures musculaires).
Cette amélioration de la capacité de diagnostic et de l'appréciation des blessures peut également expliquer la tendance à l'augmentation de la gravité des blessures à mesure que les délais de réadaptation sont allongés pour certaines d'entre elles. Cela va de pair avec une philosophie de retour au jeu davantage basée sur des critères, car il est mieux compris les mesures des qualités physiques associées aux blessures et aux rééducations (par exemple, les marqueurs de force, la force excentrique des ischio-jambiers). Les absences à l'entraînement et aux matchs ont également diminué. L'absence pour cause de blessure et la disponibilité totale de l'équipe (qui dépend dans une large mesure du nombre de joueurs absents pour cause de blessure) sont les variables les plus importantes à communiquer aux parties prenantes non médicales, car une faible absence pour cause de blessure a été associée à une meilleure performance de l'équipe.

Comment ces conclusions peuvent-elles avoir une valeur pratique pour les joueurs, les cliniciens et les clubs ?
Selon les déclarations faites lors des récentes réunions d'après-saison, de nombreuses équipes ECIS ont amélioré leur communication et leurs stratégies de prévention des blessures et, de ce fait, ont amélioré leurs résultats. Le personnel médical des équipes a sensibilisé à la prévention des blessures, en soulignant la nécessité de communiquer et de coopérer avec le personnel d'encadrement, de performance et administratif. Ces efforts doivent être étendus, en collaboration avec le personnel médical, les entraîneurs et les directeurs, afin d'analyser l'évolution du jeu et de trouver des solutions pour assurer la sécurité des joueurs et réduire les risques. La plupart des médecins d'équipe actuels peuvent être considérés comme des médecins spécialisés dans le football en raison de leur expérience, de leur engagement dans la médecine du football et de leur investissement dans les compétences et les connaissances. Le personnel médical a progressé, et les exigences pour entraîner au plus haut niveau du football professionnel ont augmenté. Il est plausible d'affirmer que les entraîneurs en chef de 2020 sont mieux formés et mieux préparés à leur travail que leurs collègues depuis le lancement de l'ECIS en 2001.

L’UEFA estime avoir montré que le style de leadership de l'entraîneur peut avoir un impact sur les variables des blessures et que des entraîneurs mieux formés peuvent donc avoir influencé positivement le nombre de blessures. Cependant, dans quelles mesures le membre de l'équipe médicale peut influencer et changer ? Probablement pas le leadership de l'entraîneur-chef et probablement pas la charge de travail des joueurs, mais certainement la communication interne entre les médecins, les physiothérapeutes et les entraîneurs, et le bien-être des joueurs. L'équipe médicale pourrait se concentrer sur ces questions.

L’UEFA préconise toutefois de continuer à adopter toutes les stratégies utiles pour prévenir les blessures, par exemple, l'entraînement neuromusculaire. Même au niveau de l'élite, la mise en œuvre d'exercices préventifs et le respect de ces exercices par les joueurs peuvent encore être améliorés, même si le niveau est déjà élevé dans de nombreux clubs. Pour que les entraîneurs et les joueurs adhèrent davantage aux exercices préventifs, il peut être important que ces exercices contribuent également à l'objectif principal des séances d'entraînement. Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des exercices préventifs et le maintien de la conformité des joueurs (observance) peuvent expliquer pourquoi les blessures musculaires n'ont pas diminué au cours des 18 dernières années.

Quels sont les résultats ? 

  • Le taux global de blessures a diminué à l'entraînement et dans les matchs. 
  • Le taux de blessures ligamentaires a diminué lors des entraînements et des matchs
  • Le taux de blessures musculaires n'a pas diminué, ni à l'entraînement ni en match. 
  • La charge des blessures est restée stable. 
  • Le taux de réintégration a diminué. 
  • Le taux d'absence des joueurs à l'entraînement et aux matchs a diminué. 

Quel impact cela pourrait-il avoir sur la pratique clinique à l'avenir ? 

  • La diminution de l'incidence des blessures observée entre 2001 et 2019 pourrait être le signe que la prévention des blessures est devenue de plus en plus efficace et devrait encourager le personnel médical des clubs de football professionnels à continuer à mettre en œuvre et à contrôler les programmes de prévention en fonction des nouvelles données.
 
  • Le fait que l'absence de blessures ait également diminué pourrait être utilisé comme un outil pour traduire ce message aux autres parties prenantes du football professionnel (par exemple, il devrait être attrayant pour les managers et les directeurs de club). Cela peut être utile lorsque les professionnels de la santé négocient pour améliorer les services médicaux aux joueurs et pour allouer des ressources à la prévention des blessures.

L'AVIS DE KINESPORT

  • Le groupe ECIS a publié beaucoup d’études épidémiologiques. Cependant, on constate des résultats hétérogènes inhérents aux filtres sélectionnés des études (nombre d’équipes, niveau, objet et pathologies, nombre de saisons…) Ainsi, selon les filtres on constate des résultats totalement différents. Cette publication propose des résultats qui sont ceux de 49 équipes de football participant à la Champions League et ne peuvent être à ce jour répercutés sur l’ensemble du football et encore plus sur les autres sports.
  • Cette étude manque également de précision et marque surtout des tendances dans le football d’élite à travers un niveau sélectionné. Il faut attendre les versions plus concentrées issues de cette cohorte pendant ces 18 saisons sur les sujets tels que le les lésions du LCA, les lésions des ischio-jambiers, la syndesmose comme cela a pourtant déjà été fait jusqu‘en 2018 avec des résultats tout autre. Ainsi, en 2020, Ekstrand et al. ont publié une étude sur les RTP en énonçant des taux de rechute éloignés de cette étude, pour les atteintes musculaires fonctionnelles et structurelles des ischio-jambiers de 16,1 et 17,5% , 13,8 et 15,6% pour le quadriceps et 15,3 et 14,4% pour le mollet. Dans cette même étude, le taux de rechute de groin pain était de 32,4% alors que dans l’étude publiée en 2018 par le même groupe, constate sur 47 équipes de 2001 à 2016, un nombre de 12736 blessures, un burden constant et un taux de rechute de 11 à 24% des hip and groin pain. N’oublions pas qu’en 2015, l’ECIS constatait une augmentation des lésions musculaires des ischio-jambiers de 4 %, avec un filtre sur le suivi 2001 à 2014, auprès de 36 équipes cette fois-ci. Une autre étude du même groupe portant sur la syndesmose tibio-fibulaire lors d’un suivi de 2001 à 2016 auprès de 61 équipes de 17 pays différents, montre un nombre de 14653 lésions, un burden constant et une incidence non pas diminuée au fil des saisons mais augmentée.
  • L’ECIS publie en 2020 une étude en rebondissant sur la même cohorte de 2001 à 2018, constatant non pas 11820 lésions mais 17322 avec pour filtres les lésions LCL et PCL et 68 équipes professionnelles, de niveaux européens (et non uniquement champions league) et les auteurs montrent même des résultats différents y compris selon le mode d’analyse.
  • Parallèlement, il existe des dossiers reports saisons par saison tenus par l’ECIS sur les équipes européennes. Les résultats du report de la saison 2018-19 restent éloignés ce cette étude de cohorte, y compris dans les comparaisons avec les années antérieures (https://www.uefa.com/MultimediaFiles/Download/uefaorg/Medical/02/61/67/86/2616786_DOWNLOAD.pdf). Par exemple ce report cite que 16% (5-25%) des lésions sont des rechutes et non 10% en comparaison avec leur publication de 2021, et 9% (0-28%) comme le report de la saison 2015-16 et 9,6% (0-24%) pour la saison 2012-13, ce qui nous amènerait à une conclusion totalement inverse de la présente étude.
  • Nous conseillons donc de ne pas en tirer de conclusions hâtives, et d’attendre plus de précisions dans les mois à venir tout en intégrant les propositions de facteurs de risques alternatifs.

L'ARTICLE

Injury rates decreased in men’s professional football: an 18-year prospective cohort study of almost 12 000 injuries sustained during 1.8 million hours of play. Ekstrand J, Spreco A, Bengtsson H, et al. Br J Sports Med Epub doi:10.1136/bjsports-2020-103159