Une revue systématique de l’épidémiologie des blessures et des pratiques de surveillance dans les sports d’équipe féminins d’élite sur le terrain

Nov 21 / KINESPORT
La participation des femmes au sport est en augmentation, représentant plus de 45% des athlètes aux Jeux Olympiques d’été de 2016, soit le double par rapport à la compétition de 1984. Malgré la croissance rapide de la participation au sport féminin dans le monde entier, l’étude des athlètes et des blessures les concernant est à la traîne par rapport à ses homologues masculins. Les recommandations pour les femmes sportives sont largement basées sur les recherches effectuées sur les hommes. Les profils et besoins métaboliques, anatomiques et physiologiques uniques suggèrent qu'une compréhension globale de la femme sportive peut progresser grâce à la recherche sur ces athlètes.

L'émergence relativement récente de la femme athlète professionnelle adulte, dont les performances sont liées à l'âge et qui présente des différences biologiques et physiques par rapport aux adolescents du même âge présente un profil de blessure unique qui n’a pas encore fait l’objet d’études rigoureuses.
Avis du pôle scientifique Kinesport
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Cette revue systématique est un article à risque de biais modéré. En effet, la majorité des critères méthodologiques majeurs sont respectés toutefois les étapes de sélection des articles et d’extraction des données n’ont pas été conduites en duplicate. Par conséquent, certains articles peuvent avoir été oubliés.
Afin de développer des stratégies de prévention, l’incidence des blessures doit être décrite à l’aide d’une surveillance continue des blessures. La comparaison des données sur les blessures entre les sports et au sein d’un même sport est de plus en plus difficile en raison du manque concomitant de recherches sur l’épidémiologie des blessures chez les athlètes féminines, des différences dans les définitions des blessures et de l’exposition au sport, et des pratiques de relevé des blessures qui peuvent influer sur les taux de blessures enregistrés. 
Par conséquent, notre objectif était de réaliser une étude systématique afin de décrire :
  • L’incidence des blessures en fonction de l'exposition aux matchs, à l'entraînement et à l'ensemble du sport.
  • L'incidence des blessures par sport.
  • La localisation, la nature, le mécanisme et la gravité des blessures.
  • Les pratiques de surveillance employées dans les sports d'équipe féminins d'élite sur le terrain.

Méthodes

Tout en s’efforçant d’être inclusifs, les auteurs reconnaissent l’importance et la pertinence du terme de genre « femme » et du terme basé sur le sexe « féminin » dans la recherche clinique. C’est pourquoi ces termes seront utilisés pour refléter les documents dont ils sont tirés. 

 Sources de données et stratégie de recherche

Cette étude a été réalisée conformément à la déclaration PRISMA, et les études potentiellement éligibles ont été identifiées par une recherche systématique dans différentes bases de données électroniques (PubMed, MEDLINE, CINAHL, SPORTDiscus Web of Science et Scopus), depuis leur création jusqu’au 30 Juin 2022.

Le cadre CoCoPop (Condition, Contexte, Population), recommandé pour la collecte de données de prévalence ou d’incidence, a été utilisé pour segmenter la question de recherche en concepts clés et pour guider la stratégie de recherche en fonction des critères d’inclusion et d’exclusion.

 Critères d’éligibilité

Les critères d’éligibilité étaient les études qui :
  • Étaient publiées en anglais dans des revues à comité de lecture et dont le texte intégral est disponible.
  • Ont été conçues sur la base d'une cohorte prospective.
  • Ont étudié les blessures subies par des athlètes féminins d'élite pratiquant un sport d'équipe sur le terrain ≥18 ans et évoluant au niveau de l'élite ou lorsque ces données peuvent être facilement extraites de populations mixtes (par exemple, hommes et femmes, adultes et adolescents).
  • Ont rapporté le taux d'incidence des blessures en match, à l'entraînement ou en général.
  • Ont clairement décrit la survenue des blessures.
  • Ont collecté des données sur une période minimale d'une saison. Le niveau d'élite comprend les athlètes qui sont au moins parmi les meilleurs de leur pays dans ce sport et qui concourent au niveau national et/ou international.

Résultats

 Sélection et caractéristiques des études 

La recherche a initialement recensé 8442 études. Après le processus de sélection, 20 études ont été retenues pour cette étude, publiées entre 1989 et 2022 : douze études portaient sur l’incidence des blessures dans le football, une dans le football australien, deux dans le rugby à 7, deux en rugby à XV. Le football américain, le cricket et le hockey sur gazon étaient représentés chacun par une étude. 

 Aperçu de l’incidence des blessures 

Le taux d’incidence des blessures pour 1000 heures d’exposition variait de 1,2 à 132,7 (match), de 1,2 à 42,1 (entraînement) et de 3,6 à 125,1 (total).

Le football australien présentait le taux d’incidence le plus élevé pour les matchs, les entraînements et l’exposition globale. Le taux d’incidence en match le plus bas a été enregistré au football. Une prévalence de 86,9% a été rapportée pour le hockey. L’incidence des blessures était 17 fois plus élevée en match qu’à l’entraînement dans l’équipe de rugby à XV.

 Localisation anatomique, nature et mécanisme de lésion

Au cricket, la proportion la plus élevée de blessures s’est produite dans le membre supérieur, au niveau du poignet et de la main. Dans tous les autres sports, la proportion la plus élevée de blessures a touché le membre inférieur, en particulier le genou et la cuisse.

Dans tous les sports, les types de blessures les plus fréquents étaient les lésions musculaires et/ou tendineuses, ainsi que les atteintes articulaires.

Les lésions du système nerveux central/périphérique (qui comprend les commotions cérébrales) et les lésions osseuses sont les moins fréquentes.

 Aperçu de la gravité des blessures

La gravité des blessures a été rapportée par 17 études. La majorité des études ont classé la gravité en fonction du nombre de jours d’interruption de la participation au sport. On a alors classé la gravité comme suit : 
  • Mineure = d’un jour à une semaine
  • Modérée = sept jours à un mois
  • Sévère = entre supérieur à 2 semaines et supérieur à 28 jours selon les études
Au football, football australien, et le football américain, les blessures minimes ou modérées étaient les plus courantes, tandis que les blessures graves étaient plus fréquentes dans le rugby à XV, rugby à 7 et le cricket.

Discussion 

 Épidémiologie des blessures

Quinze études font état d'un taux d'incidence des blessures plus élevé en match qu'à l'entraînement. Cela peut refléter les exigences accrues et la nature compétitive du match, l'intensité du jeu, l'apparition de la fatigue, l'exécution accrue de manœuvres et de techniques à haut risque, ainsi que l'augmentation des collisions et des contacts corporels pendant le match. Ces résultats sont cohérents avec les études qui ont montré que les joueurs masculins subissaient plus de cinq fois plus de blessures en match qu'à l'entraînement.

Huit études sur les CoD (Change of Direction) dans le football présentent des taux d’incidence plus élevés que d’autres sports tels que le netball ou le beach-volley. Cela peut s’expliquer par l’intensité des gestes techniques, des contacts, des courses à haute intensité, des distances parcourues, qui place les activités sur le terrain dans une position d’urgence permanente et expose les athlètes pratiquant ce sport à un risque accru de blessures.

Dans les CoD de football, la majorité des blessures signalées étaient des blessures aigües à la cuisse/au genou et à la cheville, impliquant les muscles/tendons ou des articulations/ligaments. Ces résultats sont cohérents avec la nature des blessures signalées chez les footballeurs d’élite.

Les lésions aiguës de la cheville et du genou ont été les plus fréquentes dans l'élite féminine du basket-ball, du handball et du netball. Par conséquent, la prévention et la gestion des blessures dans ces sports collectifs devraient se concentrer sur les articulations aiguës des membres inférieurs et les tissus mous associés.

La proportion la plus élevée de blessures à la tête et au cou a été observée dans le rugby à XV et le rugby à 7. Cette constatation est conforme à une récente revue systématique de la littérature, qui a révélé que le taux d'incidence des commotions cérébrales était le plus élevé dans le rugby à XV, tandis que le taux le plus faible était enregistré dans le football.

 Pratiques de surveillance des blessures

Il est recommandé que les études n’utilisent pas une définition mixte des lésions, mais qu’elles mettent en place un régime permettant d’enregistrer les lésions liées à la perte de temps séparément des lésions liées à l’attention médicale, tout en élargissant la définition pour englober toute condition affectant la santé physique et psychologique des athlètes, indépendamment de la perte de temps ou de la prise en charge médicale. Il convient d’envisager à l’avenir l’utilisation systématique de définitions plus inclusives pour enregistrer les blessures, les maladies et les autres problèmes médicaux qui affectent les athlètes féminines des sports collectifs.

Dans cette revue, les définitions de la perte de temps ont varié, incluant l'absence >24 h ou le fait de manquer la prochaine séance d'entraînement ou le prochain match. Cette variation pourrait affecter les taux d'incidence des blessures enregistrés en fonction de la programmation des entraînements/matchs, ou parce que les athlètes blessées peuvent continuer à participer mais avec une technique modifiée. Seize études ont bénéficié du soutien du personnel médical de l'équipe pour enregistrer les données relatives aux blessures, et cinq d'entre eux ont fait preuve d'une qualité de rapport très claire.

La présentation séparée de l’incidence des blessures lors des entraînements et des matchs (n= 15 études) est conforme à la recommandation des déclarations de consensus sur l’épidémiologie des blessures sportives et reflète les résultats de la présente étude. La valeur combinée ne permet pas une évaluation significative, compte tenu de la différence des exigences et des risques liés aux deux activités.

De manière générale, les résultats de cette étude indiquent que les pratiques de surveillance des blessures dans cette cohorte sont insuffisantes et que des améliorations sont nécessaires. Les programmes de surveillance des blessures bien établis ont joué un rôle essentiel en fournissant des données de base pour évaluer les tendances, l’incidence et la gravité des blessures, en guidant les stratégies de prévention des blessures fondées sur les données probantes et visant à réduire l’incidence et la gravité des blessures.

 Implications cliniques et de recherche

La surveillance des blessures et l'étude de l'épidémiologie des blessures sont des éléments clés de la protection de la santé et du bien-être des athlètes. La collecte, la déclaration et la description précises de l'incidence, de la nature, des modèles et des tendances des blessures enrichiront les études épidémiologiques publiées et fourniront aux équipes une base de référence pour examiner et évaluer leurs propres blessures, leurs installations et leurs protocoles de prévention des blessures. Tout ceci facilitera la conception d'interventions sur mesure pour réduire la fréquence des blessures.

Conclusion

Dans tous les sports, l’incidence des blessures est plus élevée en match qu’à l’entraînement, la majorité des blessures touchant les tissus mous des membres inférieurs. Les définitions des blessures, de la gravité, et de l’exposition ainsi que les méthodes de collecte des données varient considérablement. Le nombre limité d’études pour certains sports et le fait que toutes les données ne soient pas collectées/reportées de manière optimale, limitent toutefois la certitude des résultats.

Référence article 

Gilhooly M, Cahalan R, O'Sullivan K, Norton C. A systematic literature review of injury epidemiology and surveillance practices in elite adult female field-based team sport. J Sci Med Sport. 2023 Jun;26(6):301-308. doi: 10.1016/j.jsams.2023.04.010. Epub 2023 May 6. PMID: 37210318.