L'hypermobilité articulaire chez les sportifs est associée aux blessures à l'épaule : une revue systématique avec méta-analyse

Kinesport
Les blessures traumatiques de l'épaule liées au sport et les douleurs de l'épaule sont fréquemment signalées chez les sportifs. L'incidence des blessures à l'épaule dans les sports overhead atteint jusqu'à 3,3 pour 1000 heures d'exposition, et l'incidence des luxations de l'épaule se situe entre 0,12 (blessures à l'entraînement) et 0,31 (blessures en match) pour 1000 heures d'exposition, avec un taux d'incidence plus élevé chez les jeunes hommes par rapport aux hommes plus âgés et aux femmes en général. Il existe un risque accru d'instabilité récurrente, puis chronique, après une luxation primaire de l'épaule. Par conséquent, l'identification des facteurs de risque et le développement de stratégies pour prévenir les luxations d'épaule et l'instabilité ultérieure sont des éléments clés de la prévention des blessures de l'épaule.
L'hypermobilité articulaire, caractérisée par une capacité à déplacer les articulations au-delà de l'amplitude physiologique, peut potentiellement être un facteur de risque de blessures à l'épaule. Diverses définitions ont été décrites, notamment l'hypermobilité articulaire congénitale, la laxité acquise à la suite d'une blessure traumatique et l'hypermobilité due à une adaptation à un sport et/ou une activité physique spécifique. Alors que des études antérieures ont trouvé une association entre l'hypermobilité articulaire et un risque accru de blessures du genou, notamment les blessures du ligament croisé antérieur, le rôle de l'hypermobilité articulaire dans les blessures de l'épaule n'a pas été examiné. Par conséquent, l’objectif de cette étude est de synthétiser les preuves de l'association entre l'hypermobilité articulaire et les blessures de l'épaule chez les sportifs.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette revue systématique et critique de la littérature est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.

Méthode

Cette étude est une revue systématique avec méta-analyse.

 Critères d’éligibilité 

  • Etudes de cohorte, études transversales et études cas-témoins, publiées en texte intégral en anglais, évaluant l'association entre l'hypermobilité articulaire et les blessures à l'épaule 
  •       Exclusion des résumés de conférence
  • Etudes portant sur des sportifs (y compris militaires) d'un âge moyen ≥ 16 ans participant à tout type et niveau de sport ou d'activités militaires.
  •       Exclusion des études si leurs participants souffraient de maladies rhumatismales inflammatoires systémiques, de maladies du tissu conjonctif ou de maladies neurologiques) 
  • Une définition large de l'hypermobilité articulaire a été acceptée (c'est-à-dire l'hypermobilité articulaire généralisée (generalised joint hypermobility - GJH) et l'hypermobilité de l'épaule). En l'absence de consensus sur la définition exacte de l'hypermobilité de l'articulation de l'épaule, l'instabilité et la laxité de l'épaule ont été acceptées comme définitions pertinentes, sans exclure les études sur la base de leur outil de mesure ou de leur seuil, ni faire la distinction entre hypermobilité articulaire innée ou acquise. 
  •       Exclusion des études qui n'utilisaient pas de seuil pour distinguer les participants avec ou sans hypermobilité articulaire.
  • Données sur les blessures à l'épaule d'apparition aigue ou progressive. Les définitions de blessures acceptées étaient la luxation, l'instabilité et la subluxation traumatiques, soit autodéclarées, soit mesurées objectivement (par exemple, dossier médical ou diagnostic vérifié par un professionnel de la santé). Les plaintes concernant l'épaule (par exemple, la douleur) ont été acceptées comme indicateur des blessures de l'épaule.

 Recherche documentaire

Des recherches systématiques de la littérature ont été effectuées dans MEDLINE, CINAHL, EMBASE et SPORTDiscus de leur date de création au 12 mai 2020 et mises à jour le 27 février 2021. Les listes de références des études incluses ont été passées au crible pour identifier des études supplémentaires et un suivi des citations des études incluses a été effectué dans Web of Science.

 Les données extraites

Les données extraites des études sont les suivantes : le premier auteur, l'année de publication, le pays, le design de l'étude, le nombre de participants avec et sans hypermobilité articulaire, le nombre de participants avec et sans blessure ou douleur, la durée du suivi, la mesure et la définition de l'hypermobilité articulaire, la définition de la blessure, l'âge, le sexe, le pourcentage de femmes, l'IMC, le type d'activité, le temps de participation sportive hebdomadaire, le niveau de participation sportive et les résultats de l’évaluation de la blessure. 

 Évaluation du risque de biais des études incluses

Le risque de biais a été évalué à l'aide de l'échelle de Newcastle-Ottawa (NOS) pour les études de cohorte et les études cas-témoins et de l'échelle de Newcastle-Ottawa modifiée pour les études transversales.

Résultats

 Sélection des études 

6207 titres et résumés d’articles ont été examinés et 48 ont été retenus. Après examen des articles complets, 42 études ont été exclues et 6 études ont été incluses dans la méta-analyse.

 Caractéristiques des études

  • Les six études comprenaient au total 2335 (de 118 à 718) participants (34,1% de femmes)
  • L'âge moyen dans quatre des études individuelles variait de 18,8 à 23,9 ans, tandis qu'une étude incluait des athlètes âgés de 17 à 37 ans et qu'une autre incluait des athlètes universitaires sans que l'âge ne soit précisé
  • Parmi les études incluses, deux étaient des études de cohorte prospectives avec des durées de trois mois et quatre ans, une était une étude cas-témoin et trois des études transversales 
  • Une étude portait sur des handballeurs, une sur des gymnastes, deux sur des athlètes pratiquant plusieurs sports et deux sur des militaires
  • Quatre études ont utilisé l’hypermobilité articulaire généralisée (GJH) comme exposition (score de Beighton, critères de l'Hospital Del Mar ou questions propres à l'étude), et deux études ont utilisé l'hypermobilité de l'articulation de l'épaule comme exposition (vérifiée cliniquement ou autodéclarée). 
  • Les blessures de l'épaule ont été définies à l'aide d'une variété de paramètres, notamment la blessure de l'épaule aiguë ou traumatique, l'instabilité aiguë, la luxation et la douleur
Association entre hypermobilité articulaire et blessures à l'épaule
Les athlètes présentant une hypermobilité articulaire étaient plus susceptibles (risque 3x plus élevé) de souffrir de blessures à l'épaule que les athlètes sans hypermobilité articulaire (OR = 3,25, IC 95 % 1,64, 6,43, I2 = 75,3 % ; p = 0,001) (Fig. 1).
Fig. 1 : graphique en forêt montrant l'association (Odds Ratio (OR) et intervalle de confiance (CI) à 95 %) entre l'hypermobilité articulaire et les blessures de l'épaule (c'est-à-dire les blessures aiguës de l'épaule ou les douleurs liées à l'activité) pour les six études incluses.
Dans les analyses de sous-groupes (Fig. 2) : 
  • L'utilisation des différentes définitions de la GJH issues des études individuelles a donné lieu à une association significativement plus faible que l'utilisation de l'hypermobilité articulaire localisée de l'épaule comme exposition (GJH, OR = 1,97, IC 95% 1,32, 2,94 ; hypermobilité de l'articulation de l'épaule, OR = 8,23, IC 95% 3,63, 18,66 ; p = 0,002).
  • Les études présentant un faible risque de biais ont montré des associations significativement plus fortes que celles présentant un risque élevé de biais (faible, OR = 5,25, IC 95% 2,56, 10,8; élevé, OR = 1,6, IC 95% 0,78 à 3,29 ; p = 0,024) 
  • Aucune différence significative n'a été constatée dans les autres analyses de sous-groupes (type d'activité, type d'étude, niveau sportif et sexe)
  • La définition de l'exposition était la principale cause de l'importante hétérogénéité observée (90,6 % d'explication). En outre, une analyse de sensibilité excluant deux études présentant des associations extrêmes a permis de réduire l'hétérogénéité sans modifier de manière substantielle l'association (OR = 3,17, IC 95 % 1,82, 5,53, I2 = 50,6 %, p < 0,001) 
  • Une étude a utilisé plus d'une définition de l'hypermobilité articulaire comme exposition, et une analyse de sensibilité utilisant l'autre définition de l'exposition (rotation externe de l'épaule au lieu des critères de l'Hospital Del Mar) a donné lieu à une association plus faible (OR = 3,08, IC à 95 % 1,55, 6,11, I2 = 76,1 %, p = 0,001)
  • Une étude a rapporté cinq résultats différents liés aux blessures de l'épaule, parmi lesquels les "blessures aiguës de l'épaule", y compris les fractures, ont été retenues pour cette analyse. Une analyse de sensibilité excluant les fractures a augmenté l'association (OR = 3,54, IC 95 % 1,92, 6,53, I2 = 67,5 %, p = 0,009) et a réduit l'hétérogénéité de 8,5 points supplémentaires.
Fig. 2 : Analyse de sous-groupes montrant l'association (Odds Ratio (OR) et intervalle de confiance (CI) à 95 %) entre l'hypermobilité articulaire et les blessures à l'épaule (c'est-à-dire les blessures aiguës à l'épaule ou les douleurs à l'épaule liées à l'activité). Hétérogénéité expliquée (%) : une valeur positive indique une moindre hétérogénéité, et une valeur négative une plus grande hétérogénéité par rapport à l'analyse primaire.

 Évaluation du risque de biais

  • Quatre études présentaient un faible risque de biais
  • Deux études présentaient un risque élevé de biais

Pour les études présentant un risque élevé de biais, les principales raisons étaient le manque de justification de la taille de l'échantillon et l'absence de rapport sur la comparabilité des participants dans les différents groupes de résultat.

 Qualité globale des preuves

Le niveau de preuve était faible au départ car seules des études observationnelles ont été incluses. Le niveau de preuve a baissé d'un niveau en raison de l'hétérogénéité importante et augmenté d'un niveau en raison d'une association forte. La qualité des preuves n’a pas été baissée sur la base de l'évaluation du risque de biais, car les études présentant un faible risque de biais ont montré l'association la plus forte. La qualité globale des preuves pour l'estimation a donc été jugée faible.

Discussion

La qualité globale des preuves ayant été jugée faible, les estimations d'une association accrue de blessures à l'épaule chez les patients présentant une hypermobilité articulaire doivent être interprétées avec prudence.

Les résultats de cette étude sont comparables aux associations précédemment rapportées entre l'hypermobilité articulaire générale (GJH) et les blessures au genou chez les sportifs et dans la population générale. En revanche, une étude n’a pas trouvé d'association entre l'hypermobilité articulaire et les blessures de la cheville, ce qui suggère que l'association pourrait être spécifique à l'articulation. Une étude qui a été exclue de cette revue en raison de la faible moyenne d'âge des participants a rapporté que des nageurs adolescents ayant une amplitude de mouvement de rotation externe supérieure à 100° avaient également un risque plus élevé de développer une blessure à l'épaule, ce qui soutient également les résultats.

Différentes définitions de l'hypermobilité articulaire ont été utilisées pour étudier son association avec les blessures de l'épaule. Le score de Beighton est actuellement utilisé dans la plupart des études épidémiologiques et consiste en neuf tests dichotomiques d'hypermobilité articulaire, où une articulation testée est soit hypermobile (score = 1), soit non hypermobile (score = 0), les scores allant de 0 à 9, les scores les plus élevés indiquant un plus grand nombre d'articulations présentant une hypermobilité/hyperlaxité articulaire. Le score de Beighton avec un seuil ≥ 4/9, tel que précédemment recommandé pour classer la GJH chez les adultes, a été utilisé par deux études. Une limitation générale de l'utilisation du score de Beighton dans les études sur l'épaule est que l'articulation de l'épaule n'est pas incluse dans la batterie de tests. Cependant, la classification de la GJH par le score de Beighton repose sur l'hypothèse que toutes les articulations, y compris l'épaule, sont hypermobiles. En revanche, les critères de l'Hospital Del Mar (seuil de 4 pour les hommes ou 5 pour les femmes sur 10), tels qu'utilisés par une étude, incluent le test de rotation externe de l'épaule >85° en position neutre pour classer la GJH. L'association pour une blessure à l'épaule varie significativement avec la définition de l'exposition entre la GJH (OR = 1,97) et l'hypermobilité localisée de l'articulation de l'épaule (OR = 8,23). Il semble donc important d'inclure des mesures de l'hypermobilité articulaire spécifiques à l'épaule, telles qu'un test d'appréhension positif pour l'instabilité antérieure, un test de rotation externe de l'épaule > 85° ou un antécédent d’instabilité de l'épaule auto-déclaré, lors de l'évaluation du risque de blessures de l'épaule chez les athlètes présentant une hypermobilité articulaire.
La méta-analyse primaire présentait une hétérogénéité importante, principalement due à la définition de l'exposition et au risque de biais (Fig. 2). De plus, la valeur I2 a été réduite de façon substantielle de 75,3 à 50,6% en excluant deux études avec les estimations les plus extrêmes :
  • Myklebust et al. ont rapporté la plus forte association parmi les études incluses entre la laxité de l'épaule (tests d'instabilité antérieure) et la douleur de l'épaule chez des joueuses de handball de haut niveau. Cela peut s'expliquer par la population (uniquement des athlètes féminines), le résultat (douleurs à l'épaule), la définition de l'exposition et/ou le sport spécifique (par exemple, les douleurs à l'épaule sont très courantes dans le handball). Les handballeurs présentant une hypermobilité articulaire peuvent être plus exposés aux douleurs d'épaule.
  • Saremi et al. ont montré l'association la plus faible avec les blessures à l'épaule : il s’agissait de la seule étude de la méta-analyse à inclure les fractures, qui étaient plus fréquentes chez les athlètes sans hypermobilité articulaire.

Conclusion

  • Le risque de blessures à l'épaule était trois fois plus élevé chez les athlètes présentant une hypermobilité articulaire par rapport à ceux sans hypermobilité articulaire
  • Ce résultat souligne la nécessité de prévenir les blessures à l'épaule chez les athlètes souffrant d'hypermobilité articulaire
  • La qualité globale des preuves étant faible, de futures recherches sont très susceptibles de modifier la force estimée de l'association

L'article

Liaghat B, Pedersen JR, Young JJ, Thorlund JB, Juul-Kristensen B, Juhl CB. Joint hypermobility in athletes is associated with shoulder injuries: a systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskelet Disord. 2021 Apr 26;22(1):389. doi: 10.1186/s12891-021-04249-x.