L’échographie MSK dans l’évaluation du ligament deltoïde : un outil essentiel (et sous-utilisé) en kinésithérapie du sport

Apr 23 / ARNAUD BRUCHARD -⏱️ 5 MIN -
Quand on parle d'entorses de cheville, les regards se tournent quasi systématiquement vers le compartiment latéral. C’est logique : plus de 80 % des entorses concernent les ligaments latéraux. Mais que fait-on des douleurs persistantes sur le versant médial ? Des sensations d’instabilité inexpliquées ? Des cas qui ne répondent pas à la rééducation classique ?

Dans ces situations, il est urgent de penser au ligament deltoïde, ce stabilisateur clé de la cheville, souvent négligé, et pourtant impliqué dans 10 à 15 % des entorses. Qu’il s’agisse de lésions aiguës ou de séquelles chroniques, l’atteinte du deltoïde peut perturber l’ensemble du contrôle postural et de la proprioception cheville-pied.

L’échographie musculosquelettique : une alternative crédible (et performante) à l’IRM

La revue parue en 2025 dans l’International Journal of Sports Physical Therapy (Manske et al.) offre une synthèse claire et argumentée sur le rôle de l’échographie MSK dans l’évaluation du ligament deltoïde​Contrairement à l’IRM, souvent coûteuse, longue à obtenir, et moins accessible dans les structures de terrain, l’échographie MSK est :

  • portable : utilisable en cabinet, sur le terrain ou en plateau technique
  • temps réel : permet une analyse dynamique et fonctionnelle
  • fiable : les dernières données rapportent une sensibilité de 0,90 pour détecter une lésion du deltoïde, ce qui en fait une modalité de choix pour ce ligament trop peu investigué.

Elle permet également de tester la stabilité ligamentaire sous contrainte, notamment via des manœuvres en éversion ou en dorsiflexion passive, ce que l’IRM, par nature, ne peut pas offrir.
Cette figure illustre la manière optimale de positionner la sonde pour visualiser le ligament tibionaviculaire (TNL), composante antérieure du ligament deltoïde médial. Le patient est allongé sur le dos, jambe tendue et en rotation externe. La sonde est alignée en long axe entre le colliculus antérieur du malléole médiale et le tubercule du naviculaire. L’échographie montre le TNL comme une structure fibrillaire hyperechogène reliant le tibia au naviculaire, stabilisant la cheville contre l’éversion. Cette coupe permet d’identifier clairement une rupture, un épaississement ou une perte de continuité ligamentaire.
Cette figure illustre la visualisation échographique du ligament tibiocalcanéen (TCL) et des fibres antérieures du ligament tibiotalien postérieur profond (aDPTL), deux structures clés de la couche moyenne et profonde du ligament deltoïde. Le patient est en décubitus dorsal, cheville placée en dorsiflexion pour mettre les fibres sous tension. La sonde est positionnée entre le colliculus antérieur de la malléole médiale et le sustentaculum tali. En alignement longitudinal (vue LAX), on distingue le TCL qui s’insère sur le calcanéus, et l’aDPTL qui stabilise le talus. Cette coupe est cruciale pour identifier un épaississement pathologique, une rupture ou une perte de tension ligamentaire.
Cette figure montre comment évaluer en échographie les deux structures postérieures du ligament deltoïde : le ligament tibiotalien postérieur superficiel (SPTL) et le ligament tibiotalien postérieur profond (pDPTL). Le patient est en décubitus, jambe tendue et pied en dorsiflexion passive pour mettre en tension ces fibres profondes. La sonde est placée en long axe entre le colliculus postérieur du malléole médiale et le tubercule postéromédial du talus. Un repère essentiel est le tendon du tibial postérieur, visible en vue courte (SAX), sous lequel on identifie le pDPTL. L’imagerie met en évidence la superposition du SPTL (superficiel) et du pDPTL (capsulaire, profond), tous deux essentiels dans la stabilité postéro-médiale de la cheville.

Ce que vous pouvez voir à l’échographie

L’intérêt de l’échographie dépasse le simple “oui/non” du diagnostic. Elle permet une analyse fine de l’état du tissu ligamentaire, en phase aiguë comme chronique.

Parmi les signes observables :

  • Épaississement hypoéchogène en cas d'entorse aiguë
  • Discontinuité fibrillaire traduisant une rupture partielle ou complète
  • Fibrose, calcifications ou hypoechogénicité chronique, signes de mauvaise cicatrisation
  • Instabilité dynamique révélée par stress test échoguidé

La visualisation en temps réel de l’élongation ou de la rupture sous contrainte mécanique est un vrai atout pour objectiver une instabilité médiale.
Cette image en long axe montre une rupture complète du ligament tibionaviculaire (TNL), identifiable par une discontinuité hypoéchogène (flèches bleues). L’aspect fibrillaire normal est perdu. Une flexion plantaire forcée peut aider à confirmer la lésion en mettant le ligament en tension.
Ces images montrent une lésion partielle du ligament tibiocalcanéen (TCL) et des fibres antérieures du ligament tibiotalien postérieur profond (aDPTL). En 6A, on observe un épaississement hypoéchogène au niveau tibial (flèches bleues). En 6B, des dépôts calciques intra-ligamentaires sont visibles (flèche jaune), signe fréquent d’évolution chronique.
Cette image échographique montre une lésion partielle du pDPTL (flèche jaune) associée à un épaississement chronique du ligament tibiotalien postérieur superficiel (SPTL) (flèche bleue). Le pDPTL apparaît hétérogène et hypoéchogène, suggérant une atteinte fibreuse profonde souvent liée à une instabilité postéro-médiale chronique.

Application concrète pour les kinés du sport

Dans une approche orientée clinique et terrain, l’échographie MSK devient un véritable outil de décision thérapeutique. Elle permet :

  • Un diagnostic rapide et fiable en phase aiguë, quand le patient n’a pas encore eu d’imagerie lourde.
  • Un suivi évolutif de la structure ligamentaire pendant la rééducation.
  • Une adaptation du traitement : on ne rééduque pas un œdème comme une rupture partielle, ni comme une fibrose.
  • Un support de communication pédagogique : montrer en direct au patient l’évolution de son ligament renforce l’adhésion au protocole.

Et pour les thérapeutes formés aux techniques d’injection (PRP, corticoïdes), l’échographie permet des gestes guidés précis, centrés sur la zone lésée.

Aspects techniques à ne pas négliger

L’examen nécessite une certaine rigueur technique :

  • Sonde linéaire 7–15 MHz
  • Position décubitus ou latéral, cheville en légère flexion plantaire
  • Vue longitudinale (LAX) pour les fibres superficielles antérieures et postérieures
  • Vue transversale (SAX) pour affiner les repères, notamment au niveau du tendon tibial postérieur
  • Comparaison systématique avec le côté controlatéral

Le ligament deltoïde étant bi-couche (superficielle et profonde), il est fondamental de balayer l’ensemble de sa structure, de l’avant vers l’arrière, pour éviter les faux négatifs.

Et demain ?

Cette revue souligne une tendance de fond : l’échographie devient un outil central du raisonnement clinique moderne. Elle n’est pas réservée au radiologue. Formé, le kiné du sport peut s’en servir pour affiner ses décisions, objectiver ses tests, et mieux orienter ses prises en charge.

Encore faut-il intégrer cette compétence dans les formations continues, et encourager la diffusion des protocoles d’examen validés.

À retenir

  • Le ligament deltoïde est souvent sous-diagnostiqué mais peut causer une instabilité persistante.
  • L’échographie MSK est une modalité fiable, dynamique et accessible pour évaluer ce ligament, en aigu comme en chronique.
  • Elle permet de confirmer un diagnostic, de suivre une évolution, ou de guider une intervention.
  • Les kinés du sport ont tout intérêt à intégrer cet outil dans leur pratique courante.

CONCLUSION

remettre le ligament deltoïde au centre du raisonnement clinique
Trop longtemps considéré comme secondaire, le ligament deltoïde mérite aujourd’hui une attention bien plus grande dans l’évaluation des instabilités et des douleurs médiales de cheville. Sa complexité anatomique, sa fonction stabilisatrice en rotation externe et contre les forces d’éversion, ainsi que sa capacité à générer des symptômes chroniques quand il est lésé, en font un maillon critique de la biomécanique tibiotarsienne.

La revue de Manske et al. (2025) souligne un point essentiel : nous disposons aujourd’hui d’un outil fiable, rapide et reproductible pour l’examiner en pratique clinique, à savoir l’échographie musculosquelettique dynamique. Loin de remplacer l’IRM dans les cas complexes, elle s’impose en revanche comme une solution de première ligne dans les situations aiguës, les contextes sportifs, ou face à une instabilité persistante sans imagerie probante.

Pour les kinés du sport formés à l’imagerie, c’est une opportunité : affiner son diagnostic, objectiver ses décisions, adapter les temps de reprise ou de rééducation, et offrir au patient une lecture concrète de son état fonctionnel. L’échographie ne doit pas être vue comme un simple “plus”, mais comme un prolongement naturel de l’évaluation clinique moderne.

Il est donc temps de replacer le ligament deltoïde dans nos grilles d’analyse. Et de considérer l’échographie non pas comme un luxe technologique, mais comme un outil pragmatique au service d’une prise en charge plus fine, plus rapide, plus individualisée.

L'ARTICLE

Manske RC, Wolfe C, Page P, Voight M.
Diagnostic Musculoskeletal Ultrasound in the Evaluation of the Deltoid Ligament of the Ankle.
International Journal of Sports Physical Therapy. 2025;20(4):641–647.
https://doi.org/10.26603/001c.132251