Chirurgie en première intention versus rééducation en première intention pour le traitement des blessures du ligament croisé antérieur : revue systématique et méta-analyse

Jan 17 / Kinesport
L’atteinte du ligament croisé antérieur (LCA) est la blessure la plus courante et sévère du genou, son incidence est de 0,03% dans la population générale et atteint jusqu’à 3,67% chez les athlètes professionnels. Cette atteinte est associée à un burden socio-économique élevé et il est primordial que le patient et le praticien se mettent d’accord sur les points importants de la rééducation ; prévention de l’arthrose du genou, amélioration de la qualité de vie, retour au sport le plus rapide possible...

Il y a actuellement un débat pour savoir si la meilleure prise en charge est la chirurgie en première intention ou la rééducation (avec possibilité de chirurgie de reconstruction si échec du traitement) et les essais contrôlés randomisés n’arrivent pas à montrer la supériorité d’une approche par rapport à l’autre.

L’objectif de cette revue systématique sera donc de comparer les effets de la chirurgie en première intention versus la rééducation en première intention après une rupture du ligament croisé antérieur. Les mesures choisies seront les résultats auto-rapportés par les patients ainsi que d’autres mesures individuelles, économiques et sociales afin de comprendre de façon exhaustive les facettes multidimensionnelles de cette atteinte.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette méta-analyse est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.

Méthode

Cette revue se trouve sur le site Allemand de l’Université des Sciences Appliquées (Hochschule für Gesundheit) pendant au minimum 6 ans et sera mise à jour tous les ans après une revue de littérature des études les plus récentes.

Les études incluses dans cette revue systématique proviennent de Medline, Embase, Cinahl, Web of Science Core Collection, SPORTDiscus, Cochrane et GoogleScholar, et l’étude la plus récente date de juin 2022. Elles ont été analysées par 2 experts et un troisième était appelé en cas de désaccord.

 Critères d’inclusion et d’exclusion

Ces critères portaient sur les participants, le type d’intervention, les mesures, les résultats et le format des études. 

Critères d'inclusion

Rupture du LCA (patients de tous âges)
Chirurgie de reconstruction du LCA peu importe la technique utilisée
Tout type de rééducation avec ou sans option de chirurgie plus tard
Format des études : essais contrôlés randomisés
Mesures primaires : fonction auto-rapportée du genou, critères radiographiques d’arthrose du genou et atteinte des ménisques, à court, moyen et long terme
Mesures secondaires : évènement indésirable, qualité de vie, retour à l’activité ou au sport, stabilité du genou et force musculaire

Critères d'exclusion

Patients avec arthropathie inflammatoire ou arthrose à un stade avancé (grade 4 de Kellgren et Lawrence)
Format des études : toute étude qui n’est pas un essai contrôlé randomisé
Lésions longitudinales instables des ménisques
Le court terme a été défini comme inférieur à 1an, le moyen terme entre 1 an et 3 ans, et le long terme supérieur à 3 ans, avec une étude allant jusqu’à un suivi sur 10 ans.

Le risque de biais a été déterminé grâce au Cochrane Risk of Bias Tool V.2.0 et appliqué sur les mesures subjectives (fonction auto-rapportée par le patient) et objectives (chirurgie méniscale ou arthrose de genou confirmé par radiographie).
Pour l’analyse statistique, deux groupes ont été créés : chirurgie primaire vs rééducation primaire (avec possibilité de chirurgie en seconde intention).
Pour la fonction auto-rapportée par le patient, le questionnaire IKDC (International Knee Documentation Committee) a été utilisé afin d’obtenir la MCID (Minimally Clinically Important Difference). Cette dernière devait être de 16,7 points à court terme et 17 points à moyen et long terme pour être significative.

Résultats

Au total, 104 études sont ressorties de la recherche et seulement 3 études avec 9 rapports d’études ont été incluses dans cette revue. La taille de l’échantillon des études variait de 32 à 167 participants de tout âge. 93% des ruptures du LCA sont survenues pendant l’activité sportive. Les trois essais utilisaient une rééducation active ; un essai employait une rééducation progressive fondée sur les preuves, un suivait le protocole néerlandais et le dernier utilisait un programme de réhabilitation progressif.

 Fonction auto-rapportée du genou

Trois études avec 4 rapports ont été incluses. Aucune différence n’a été mise en évidence entre les deux traitements à court et moyen terme, mais avec un faible niveau de preuve. Pour le long terme, il n’y avait pas non plus de différence significative entre la chirurgie et la rééducation, avec un très faible niveau de preuve. 

 Atteinte des ménisques

Une seule étude était incluse. La chirurgie en première intention ne semble pas meilleure que la rééducation à long terme, avec un faible niveau de preuve

 Critères radiographiques d’arthrose du genou

Deux études étaient incluses. Il n’a pas été trouvé de différence à long terme entre le groupe chirurgie primaire et le groupe rééducation primaire, avec un très faible niveau de preuve. Une précédente étude de Frobell et al en 2013 utilisant une analyse de sensibilité a obtenu les mêmes conclusions. 

 Qualité de vie et santé

Deux études étaient incluses et il n’en ressort pas de différence significative entre les deux groupes dans le suivi à moyen terme, avec un faible niveau de preuve. Une de ces études a étudié le suivi à long terme, et n’a pas trouvé de différence significative entre les groupes chirurgie et rééducation, toujours avec un faible niveau de preuve.

 Retour à l’activité auto-rapportée

Quatre rapports de trois études ont été inclus et une méta-analyse a pu être faite. Il ne ressort de cette méta-analyse aucun effet supérieur d’un traitement comparé à l’autre, ni à moyen ni à long terme, avec un très faible degré de preuve. Une étude supplémentaire ne rapporte pas de différence pour le retour au sport entre les groupes ,à court terme, avec un niveau de preuve modéré. 

 Chirurgie méniscale

Une étude a rapporté le nombre de patients ayant subi une chirurgie méniscale, que ce soit en début d’étude pendant la reconstruction du LCA ou dans les 5 ans de suivi. La chirurgie en première intention n’a pas montré d’effet supérieur à la rééducation en première intention, avec un faible niveau de preuve.

Pour toutes les autres mesures qualifiées de secondaires (rupture du greffon, stabilité du genou, épaisseur du cartilage fémoro-patellaire, index de symétrie de saut par jambe), aucune différence significative n’a été trouvée entre les groupes chirurgie et rééducation.
Il est important de noter que le critère « échec du traitement », notamment par rupture du greffon, a été retiré de l’analyse car c’est un évènement indésirable et inattendu, contrairement à la reconstruction secondaire du LCA dans le groupe rééducation, qui est un évènement potentiellement attendu et planifié comme une stratégie de traitement.

Discussion

Cette analyse a montré qu’il n’y avait pas de différences cliniques significatives dans la plupart des mesures relevées entre le groupe chirurgie en première intention et le groupe rééducation en première intention après rupture du LCA. L’arthrose du genou aurait tendance à être légèrement améliorée avec la rééducation alors que les atteintes des ménisques seraient moindres dans le groupe chirurgie, mais ces deux constats sont à des niveaux de preuves faibles.

Concernant l’amélioration de la fonction, les scores IKDC et KOOS (Knee Injury and Osteoarthrosis Outcome Score) sont hautement améliorés par les deux traitements, avec des scores considérés comme optimaux pour 90% des patients après 2 ans. En revanche, la chirurgie en première intention ne semble pas améliorer plus rapidement la fonction que le traitement conservateur, avec un faible niveau de preuve.

Concernant l’arthrose secondaire du genou, il semblerait que la rééducation et/ou la chirurgie en seconde intention amène à moins de perte de cartilage et obtienne donc de meilleurs résultats, avec une différence non significative. Cela a été confirmé par un registre suédois sur le LCA qui a évalué 64,614 patients avec rupture du LCA. La prévention de l’arthrose du genou est un sujet débattu, et les croyances actuelles sont qu’une instabilité de genou doit être traitée chirurgicalement car c’est l’instabilité qui amène l’arthrose prématurée. 
Or, cette revue systématique ne montre pas de différence entre le traitement chirurgical en première intention versus la rééducation, ce qui peut s’expliquer par 4 points :
  • Augmentation de l’inflammation suite à la procédure chirurgicale
  • Échec dans la restauration du point de contact initial entre le tibia et le fémur
  • Différences de cinématique des patients après reconstruction du LCA, pouvant être interprétées comme un comportement d’évitement 
  • Retour au sport trop rapide dans les groupes chirurgie comparé aux groupes rééducation
Tous ces mécanismes montrent que l’arthrose post-traumatique du genou est un phénomène complexe et qu’il n’est pas possible de faire de pronostics quant à son apparition, que ce soit suite à une approche chirurgicale ou conservatrice.

Concernant les ménisques, l’analyse n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes avec des résultats légèrement inférieurs suite à une reconstruction chirurgicale tardive du LCA (rééducation en première intention). L’instabilité du genou pourrait être la cause à long terme des atteintes méniscales, et même s’il n’y a actuellement pas de preuves directes, il semblerait que les patients avec des instabilités fonctionnelles du genou devraient subir une reconstruction chirurgicale précoce pour prévenir les lésions méniscales.

Concernant le retour au sport, les différences ne sont pas significatives à moyen et long terme, mais l’expertise générale suggère que les athlètes avec une demande fonctionnelle élevée sur le genou devraient subir un traitement chirurgical. Toutefois, le niveau de preuve est faible selon les résultats de cette revue systématique, et des retours à des sports qui chargent le genou ainsi qu’à des sports avec de hautes contraintes en rotation ont été décrits après des traitements conservateurs du LCA. De plus, malgré le haut taux de retour au jeu chez les athlètes en compétition après une chirurgie du LCA, beaucoup ne retrouvent pas leur niveau d’avant la blessure. D’autres essais contrôlés randomisés devraient être menés afin d’apporter plus de preuves quant à l’intérêt de la chirurgie précoce du LCA dans des populations d’athlètes.

Concernant les soins et approches centrés sur le patient, il ne semble pas y avoir de traitement supérieur à un autre. La stratégie de traitement devra dépendre de la situation médicale du patient, des lésions concomitantes à celle du LCA, des particularités anatomiques ou encore de l’exigence du sport pratiqué. Les patients avec des lésions du LCA sans lésions concomitantes graves semblent bien répondre au traitement conservateur, alors que la chirurgie est recommandée chez ceux présentant des instabilités fonctionnelles et des lésions graves associées. Les futures recherches devront définir des prédicteurs valides de succès ou d’échec d’un traitement, chirurgical ou conservateur, sur un individu pour permettre un processus de décision clinique fondé sur les preuves.

Conclusion

Cette revue systématique a trouvé des preuves faibles à très faibles de l’absence de différence sur de nombreux facteurs entre les groupes « chirurgie en première intention » et « traitement conservateur avec option de chirurgie secondaire » chez des patients avec rupture du LCA. Les preuves actuelles indiquent que la reconstruction chirurgicale du LCA n’est pas bénéfique pour tous les patients et qu’il faudrait proposer des soins individualisés, centrés sur le patient avec une discussion des options possibles pour lui. Les futures recherches devraient continuer à comparer ces deux approches thérapeutiques car les techniques chirurgicales changent et s’améliorent, tout comme les traitements conservateurs, et des différences entre ces deux types de traitements pourraient être mises en évidence à l’avenir.

Référence article

Saueressig T, Braun T, Steglich N, Diemer F, Zebisch J, Herbst M, Zinser W, Owen PJ, Belavy DL. Primary surgery versus primary rehabilitation for treating anterior cruciate ligament injuries: a living systematic review and meta-analysis. Br J Sports Med. 2022 Nov;56(21):1241-1251. doi: 10.1136/bjsports-2021-105359. Epub 2022 Aug 29. PMID: 36038357.