Altérations de l’activité corticale chez des joueurs de football avec instabilité chronique de cheville pendant un drop jump landing : une étude préliminaire

Kinesport
L’entorse de la cheville est la blessure la plus commune du membre inférieur, comptant pour 9,4% à 18% de toutes les blessures sportives. 73% des individus qui ont subi une entorse de cheville décrivent des symptômes résiduels, parmi lesquels l’instabilité chronique (CAI) apparait comme la séquelle la plus fréquente. Elle se manifeste par des entorses à répétition, des douleurs persistantes, une sensation d’instabilité et une altération de la fonction de la cheville. La littérature montre que dans la première année post-entorse, 40% des patients ont développé une CAI, menant chez un tiers d’entre eux à l’arrêt de l’exercice.
Lors de la pratique du football, l’articulation de la cheville est soumise à un stress important dû aux changements posturaux soudains, aux arrêts, aux sauts et aux tacles.
Ainsi la lutte pour le ballon peut amener à des situations d’éversion ou d’inversion rotation de la cheville, augmentant le risque d’entorse, ce qui a pour conséquence d’altérer non seulement la performance athlétique mais également d’augmenter le risque d’usure articulaire et d’arthrose prématurée.
La prévalence de l’arthrose de cheville étant plus importante chez ces joueurs, en particulier ceux qui sont sujets à la CAI, il apparait important de comprendre parfaitement le mécanisme d’instabilité chronique dans cette population, et ce afin de pouvoir mettre en place une stratégie de réhabilitation et de prévention efficace.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
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Cette étude préliminaire et rétrospective est un article à risque de biais modéré. Une étude préliminaire est une première étude faite à amont d’une étude à grande échelle pour observer la tendance des résultats sur un faible échantillon. Ce type d’étude permet d’élaborer des hypothèses de résultats pour l’étude à grande échelle qui suivra. Les critères méthodologiques importants de cette étude préliminaire ont été respectés. Cependant, même si l’estimation de la taille d’échantillon a été calculée, elle n’a pas pu être respectée dans le groupe contrôle en raison des conditions sanitaires liées à la pandémie de Covid. Par conséquent, les résultats sont vraiment à prendre avec précautions, comme des hypothèses préliminaires, qu’il faudra confirmer avec des études à plus grande échelle.
Malgré l’évolution de certaines théories, il n’existe actuellement toujours aucun consensus sur le mécanisme de cette pathologie. Les modèles les plus traditionnels sont orientés vers une problématique davantage périphérique que cérébrale tandis que de récents travaux montrent que des changements dans le système nerveux central (SNC) sont bien présents chez ces patients instables chroniques, par exemple au niveau du cortex moteur ou du cortex somato-sensoriel. L'intégration sensorimotrice altérée à travers des réseaux neuronaux complexes contribuerait au développement de la CAI, par l’intermédiaire d’afférences ligamentaires et d’un sens proprioceptif déficient.
Grâce aux travaux effectués sur le genou, et notamment sur le LCA, l’utilisation de l’électroencéphalographie (EEG) a permis de lever le voile sur ces modifications corticales et cette réorganisation du SNC. Malheureusement la littérature est manquante sur les modifications cérébrales observées chez les patients en instabilité chronique ou fonctionnelle de cheville, surtout chez les athlètes.
L’objectif de cette étude est donc d’analyser les caractéristiques de l’activation corticale de joueurs de football CAI pendant une tâche de drop jump landing, l’hypothèse étant que ce mouvement constitue un challenge plus important pour ces sportifs et donc qu’il occasionne une plus grande activation corticale que chez des participants témoins en bonne santé.

Méthodes

 Design d’étude

Dans le but d’examiner les caractéristiques de l’activation centrale dans une population CAI, le design de cette étude se présente sous la forme GROUPES (CAI vs CONTROLE) X JAMBES (BLESSÉE vs SAINE).
Tous les tests ont donc été réalisé à la fois sur la jambe saine et la jambe blessée, et des comparaisons ont été faites entre les groupes et les jambes.

 Participants

Un total de 24 volontaires a été inclus dans l’analyse et il n’existait aucune différence démographique à l’exception du CAIT Score, utilisé pour évaluer la sévérité de l’instabilité fonctionnelle de la cheville. 
Les critères d’inclusion pour les participants CAI étaient les suivants : 
  • Être un joueur de football (soccer) universitaire
  • Être âgé entre 18 et 24 ans
  • L’atteinte doit être unilatérale
  • Un antécédent d’au moins une entorse latérale de cheville significative, avec symptômes inflammatoires et arrêt du sport
  • L’entorse initiale et l’atteinte la plus récente devait avoir eu lieu respectivement plus de 12 mois et 3 mois avant l’étude. 
  • Un historique d’au moins deux épisodes de « torsion » et/ou entorse récidivante et/ou sensations d’instabilité dans les 6 mois avant l’étude
  • Un score CAIT ≤ 24
Les critères d’inclusion pour les patients contrôle étaient les suivants : 
  • Être un joueur de football (soccer) universitaire
  • Être âgé entre 18 et 24 ans
  • Aucun antécédent d’entorse de cheville
  • Un score CAIT ≥ 28
Les volontaires étaient exclus si : 
  • Ils avaient eu recours à une chirurgie ou avaient subi une fracture
  • Ils avaient une blessure aigue sur des structures musculo squelettiques d’autres articulations du membre inférieur dans les 3 mois précédents l’étude
  • Ils avaient des antécédents de troubles vestibulaires ou d’équilibre
  • Ils avaient n’importe quel problème de santé qui affectaient leurs capacités d’équilibre
  • Ils avaient un Talar tilt test et/ou un Anterior ankle drawer test positif

 Protocole du test d’électroencéphalographie (EEG)

Les données EEG ont été récupérées par électrodes et l’activité corticale a été mesurée pendant que les sujets réalisaient la tâche de drop jump landing sur une plateforme de force. Tous les participants portaient les mêmes chaussures et l’ordre de test des jambes était randomisé.
Les joueurs sautaient à deux pieds et se réceptionnaient sur la jambe testée depuis un step d’une hauteur de 20 cm. Il leur était demandé de rester en équilibre pendant 10s avec les mains sur les hanches, la hanche opposée fléchie à 30°, le genou à 45° en fixant une cible sur un mur.
Les deux jambes étaient testées par 3 essais réussis séparés par 30s de repos. Aucune instruction n’était donnée sur la hauteur de saut. Toute erreur dans le maintien des paramètres d’équilibre sur les 10s post-réception entrainait l’échec du test.

La moyenne du signal électrique d’activité cérébrale émis par les électrodes était enregistrée pour chaque essai, chez chaque sujet, et réparti en différentes fréquences : thêta (entre 4 et 7Hz), alpha-1 (entre 7 et 10 Hz) et alpha-2 (10-12Hz).
Au final les activités thêta et alpha (1 et 2) dans le lobe frontal (Fz) et pariétal (Pz) était analysées, respectivement.

Résultats

L’activité cérébrale a montré un signal thêta dans le lobe frontal (Fz) plus important pour le groupe CAI que pour le groupe CONTROLE, indiquant une activation corticale augmentée pendant le drop jump landing chez les patients CAI.
Il n’y avait pas de différence dans le signal alpha-1 et alpha-2 dans le cortex pariétal (Pz) entre les groupes CAI et CONTROLE.
Également, il n’a pas été trouvé de différences significatives dans les signaux thêta, alpha-1 et alpha-2 entre les jambes saines et pathologiques chez les patients CAI.

Discussion

La principale découverte de cette étude est que le signal thêta dans le cortex frontal (Fz) a montré une différence significative entre des footballeurs CAI et CONTROLE sans qu’il n’ait été retrouvé de différence concernant les jambes, blessées ou saines dans le groupe CAI pendant le drop jump landing.
Étant donné que le signal thêta augmente dans une grande variété de tâches, il est supposé que l’importance de ce signal reflète la difficulté de la tâche, les exigences attentionnelles et la charge cognitive.
Dans l’étude, les joueurs de football CAI montrent un signal thêta plus important sur l’électrode Fz, indiquant un focus attentionnel plus fort comparé au groupe CONTROLE.
Un drop jump landing effectué depuis la même hauteur constitue donc une tâche plus complexe pour les patients CAI et requiert un niveau de concentration supérieur pour sélectionner les informations pertinentes et assurer la stabilité.
Ceci est retrouvé dans les travaux sur le LCA ou l’on observe des hausses de signal thêta sur des tâches comme la reproduction de l’angle du genou, des tâches de marche, de course ou d’atterrissage. En effet, la blessure articulaire peut résulter en une perte de communication entre le ligament et le cortex somato-sensoriel, ce qui affecte fortement la perception somato-sensorielle, notamment chez ces sujets CAI.
Ainsi l’augmentation de l’attention neuro cognitive a été interprétée comme une stratégie d’adaptation du SNC pour pallier à la désafférentation sensorielle provoquée par le traumatisme, dans le but de maintenir les performances de tâches motrices.

En revanche, il n’a pas été retrouvé de différences entre les groupes (CAI ou CONTROLE), ou entre les jambes (BLESSEE ou SAINE) concernant le signal alpha (1 et 2) au niveau du lobe pariétal (Pz) pendant le drop jump landing.
L'activité alpha est décrite comme une forme d'inactivité corticale, son amplitude étant inversement proportionnelle aux ressources corticales allouées pour l'exécution de la tâche, témoignant d’une désynchronisation relativement importante en rapport avec l'événement du point de vue de la perception, du jugement, et de la mémorisation.
En considérant que le rythme alpha a tendance à diminuer en amplitude à mesure que les tâches deviennent plus difficiles et plus exigeantes, il aurait été logique qu’un signal alpha plus faible soit visible chez les patients CAI lors du drop jump landing.
Or aucune différence sur la puissance du signal alpha-1 et alpha-2 pariétale n'a été retrouvée dans l'étude, ce qui n’est pas en accord avec les recherches équivalentes sur le LCA.
Ceci peut s’expliquer dans un premier temps par un effet plafond chez les sujets de l’étude. En effet, le SNC des footballeurs s'est fortement adapté en raison de l’entraînement effectué à long terme et de la concurrence. Par conséquent, ils peuvent avoir développé des stratégies de résolution de tâches pour performer, telles que l'attention focalisée et une sorte d’économie dans le traitement de l'information sensorielle.
Dans un second temps cela peut être le fait de la faible taille de l’échantillon ou du faible nombre de répétitions (habituellement pour les études EEG, 40 essais sont nécessaires pour avoir un signal constant, sans artefact ni bruit excessif).

Il convient également de noter qu’il n’a été trouvé aucune différence dans les puissances alpha (1 et 2) et thêta entre le côté sain et pathologique chez les patients CAI, ce qui signifie qu’il existe, même du côté sain, des modifications de l'EEG lors du drop-jump landing chez les patients CAI.
Ceci est corroboré par d’autres travaux qui ont montré que chez des patients CAI, le seuil moteur de repos bilatéral du long fibulaire était plus élevé et que les amplitudes des potentiels évoqués moteurs bilatéraux du même muscle étaient plus faibles par rapport a des témoins sains. Ceci montre une diminution de l'excitabilité cortico-motrice descendante des muscles longs fibulaires bilatéraux dont la fonction est de stabiliser l'articulation de la cheville.
De la même façon, la reconstruction du LCA, suite à une rupture ligamentaire, influence également le côté non atteint. Ces modifications bilatérales de l'excitabilité corticale motrice après une atteinte articulaire unilatérale suggèrent que la réorganisation fonctionnelle du SNC l'emporte sur les déficits mécaniques.
Ainsi, l'idée d'utiliser le côté sain comme référence doit être sérieusement reconsidérée dans ces atteintes-là.

Conclusion

La puissance du signal thêta au niveau du cortex frontal était plus élevée chez des footballeurs atteints de CAI que chez des témoins sains lors du drop jump landing. Cependant, aucune différence n’a été retrouvée sur la puissance des signaux alpha-1 et alpha-2 au niveau du cortex pariétal entre les deux groupes.
Enfin, il n’a pas été retrouvé non plus de différences sur la puissance du signal alpha et thêta entre le côté blessé et le côté sain chez ces footballeurs atteints de CAI.

Référence article

Zhang X, Su W, Ruan B, Zang Y. Alterations in Cortical Activation among Soccer Athletes with Chronic Ankle Instability during Drop-Jump Landing: A Preliminary Study. Brain Sci. 2022 May 19;12(5):664. doi: 10.3390/brainsci12050664. PMID: 35625050; PMCID: PMC9139920.