Quelles adaptations du fascicule et du sarcomère entrainons-nous réellement a court terme lors d’un exercice excentrique.

Arnaud BRUCHARD
Le travail excentrique est aujourd’hui largement soutenu dans son efficacité dans les domaines de prévention et en réhabilitation après lésions musculaires, notamment des ischio-jambiers. Il peut entraîner une adaptation, notamment architecturale, des muscles qui les protège des lésions musculaires. Par exemple, les programmes d'entraînement qui chargent suffisamment la phase excentrique d'un mouvement induisent des modifications de la longueur des fascicules musculaires qui sont efficaces dans la prévention des lésions liées à la tension. Bien que ces modifications musculaires induites par la contraction excentrique aient été largement étudiées, les mécanismes qui sous-tendent les modifications de la longueur des faisceaux et le rôle des adaptations de l'architecture musculaire dans la prévention des blessures sont encore largement discutés. Il a été montré que les adaptations à long terme reposaient sur une sarcomérogenèse, par l’addition de sarcomères en série dans les fibres musculaires, sans toutefois réellement le prouver. La question qui se pose également est l’adaptation à court terme, celle qui correspond finalement aux périodes par exemple de pré-saison avant la compétition (3 à 6 semaines généralement dans les sports collectifs). Les changements macroscopiques et microscopiques qui contribuent à la réponse d'allongement des muscles ischio-jambiers induite par la charge mécanique restent finalement peu compris et nécessitent plus d’expérimentations, notamment par des mesures in vivo simultanées des changements de fascicules et de sarcomères chez les sujets humains.
Même si Les exercices nordiques (NHE) ne sont pas spécifiques de la longue portion du Biceps fémoris (BFlh), ils demeurent l'un de ces exercices excentriques les plus prisés, qui provoquent des modifications substantielles de la longueur des fascicules, protégeant ainsi les muscles ischio-jambiers dont le BFlh contre des dommages ou des blessures musculaires ultérieurs.
Comme les processus de remodelage musculaire semblent être liés à la quantité de stress et de tension appliquée au muscle, il est également possible que la tension musculaire soit hétérogène dans différentes régions du même muscle (tout comme son activation) ce qui implique que les adaptations morphologiques, structurelles et même moléculaires dues à un entraînement excentrique soient non uniformes dans le muscle. Par exemple, des mesures in vivo de la longueur des sarcomères dans le muscle tibial antérieur humain ont montré que les sarcomères sont plus longs dans la région distale que dans la région proximale, malgré des fibres de longueur similaire. Cela implique que la capacité de génération de force des différentes régions d'un muscle peut être différente, et donc que des répartitions différentes des contraintes et des déformations peuvent exister. Des études animales suggèrent également que les différentes architectures musculaires et longueurs de fibres peuvent influencer selon les adaptations sarcomériques en série qui se produisent. Cela souligne la nécessité d'utiliser des mesures à plusieurs échelles, de la micro à la macro-organisation, pour comprendre la nature des adaptations spécifiques aux régions dues à un exercice excentrique.

Alors que la mesure in vivo de la longueur des sarcomères et des fascicules a toujours été impossible aupravant, de nouvelles méthodes prometteuses ont vu le jour pour examiner à la fois la longueur des fascicules et le nombre de sarcomères individuels chez des sujets vivants. L'échographie 3D Free hand (3DUS) combine l'échographie 2D et l'analyse de mouvement 3D pour fournir des mesures in vivo directes de la longueur des fascicules dans une large zone de la structure tissulaire. Ainsi, il est possible de mesurer la longueur fasciculaire plus précisément que le champ de vision de l'imagerie conventionnelle. La microendoscopie optique mini-invasive permet de visualiser in vivo des sarcomères individuels et les variations dynamiques de longueur. La combinaison de l'échographie 3D et de la microendoscopie optique peut fournir une preuve directe de l'adaptation du nombre de sarcomères (sarcomérogenèse) dans un muscle humain vivant, induite par un exercice excentrique.

Pincheira et al. (2020) ont réalisé une étude (attention encore au stade de preprint) dont l'objectif était de mesurer les adaptations multi-échelles de la longue portion du Biceps femoris (BFlh) en réponse au NHE, en mesure in vivo simultanée, de la longueur fasciculaires et des sarcomères (nombre et longueurs) dans plusieurs régions du muscle avant et après une intervention d'entraînement excentrique. Même si l’exercice n’est pas le plus adapté, nous avons choisi de vous sélectionner cette publication, suffisamment pertinente pour nous amener à réfléchir et mieux sélectionner nos exercices en fonction de leurs différents effets. Une meilleure compréhension de la manière dont différentes régions du muscle humain s'adaptent à un exercice excentrique pourrait aider aussi à mieux comprendre les mécanismes des lésions dues à la tension et à développer de meilleures stratégies de prévention des blessures.

MÉTHODES

  • Dix volontaires actifs dans le domaine des loisirs (trois femmes et sept hommes) ont participé à l'étude. Les participants ont été exclus s'ils avaient subi des blessures aux membres inférieurs, au tronc ou aux poignets au cours des 18 derniers mois ou s'ils avaient effectué une NHE au cours des 6 derniers mois.
  • La pratique du NHE a duré trois semaines.
  • Le premier jour, des mesures de base des longueurs des fascicules BFlh et des sarcomères ont été effectuées et ils ont subi une évaluation de base de la force de flexion excentrique du genou sur la jambe dominante.
  • Le deuxième jour, la longueur des faisceaux a été mesurée à nouveau, avant la première session de NHE. Les participants ont suivi un total de neuf sessions de NHE au cours des trois semaines suivantes. Pour minimiser la charge concentrique, une fois que les mains des participants ont touché le sol, ils se sont repoussés vers la position de départ avec leurs bras et leur tronc.
  • Après la période de 3 semaines, les longueurs des faisceaux BFlh et des sarcomères ont été mesurées un jour après la dernière session.
Source @Melissabosswell_
Figure 1. Dispositif expérimental pour la mesure du faisceau de la longue portion du Biceps femoris (BFlh) et du sarcomère. A) La zone de balayage ultrasonore a défini entre 40 % et 80 % de la distance mesurée entre la tubérosité ischiatique et le sommet de la patella. La longueur du sarcomère a été estimée à 50 et 70 % de la même distance. B) Images échographiques 2D en mode B du BFlh provenant de l'échographie 3D. C) Un plan 2D extrait des images. D) Une image du BFlh extraite du plan 2D avec les régions distales et centrales indiquées par la ligne en pointillés. Un fascicule musculaire est représenté par la ligne jaune continue, définie ici avec 6 points. La sonde pour l'imagerie du sarcomère est représentée aux endroits d'insertion.

RÉSULTATS 

  • La force de flexion excentrique du genou était plus importante à la fin des trois semaines d'entraînement au NHE.
  • La longueur du fascicule a augmenté dans la région distale, mais pas dans la région centrale du muscle BFlh.
  • De même, la longueur du sarcomère a augmenté dans la région distale mais pas dans la région centrale.
  • Le nombre estimé de sarcomères en série n'a pas changé dans la région distale ni dans la région centrale.
Figure 2. Adaptations architecturales de la longue portion du biceps femoris. Les longueurs de fascicule (A), les longueurs de sarcomère (B) et le nombre de sarcomère (C) sont présentés pour les parties centrale et distale du muscle à la ligne de base (cercles remplis) et après 9 séances d'entraînement aux exercices NHE (Fin, cercles ouverts). Chaque couleur représente un participant individuel. La moyenne de toutes les moyennes des participants est présentée en noir. *Différence significative lors de la comparaison des points de départ et d'arrivée (P < 0,05).
Figure 3. Images des adaptations architecturales du BFlh pour un sujet représentatif. Des images de sarcomères au départ (A) et à la fin de l'entraînement (B) sont présentées pour la partie distale du muscle. Les cases représentent la région où la longueur du sarcomère a été estimée pour chaque fibre musculaire (Ligne de base, case bleue : 2,9 μm ; Fin, case orange : 3,6 μm). Des images sagittales 2D à la ligne de base (C) et à la fin (D) créées à partir d'US 3D sont présentées pour le BFlh. Les lignes superposées représentent une estimation de la longueur du fascicule, avec des points séparant cinq segments de longueur égale. Le dernier segment de la ligne d'estimation du fascicule est dessiné avec une ligne pointillée pour mettre en évidence le changement de longueur du fascicule (ligne de base : 93 mm ; extrémité : 101 meme ).
Fig 4 Mesures de la longueur du sarcomère pour la ligne de base et la fin de l'entraînement pour les régions centrale et distale. Les mesures individuelles sont représentées par un point et les participants individuels (N = 10) sont représentés par des couleurs différentes

DISCUSSION 

Dans cette étude, ont été mesurés in vivo les longueurs de fascicule et de sarcomère du BFlh avant et après un travail en excentrique type NHE (neuf séances d'entraînement réparties sur trois semaines). Trois semaines de NHE ont conduit à une augmentation des longueurs de fascicules et de sarcomères dans la partie distale du BFlh. Cependant, aucun changement dans le nombre de sarcomères en série n'a été constaté.

Ces résultats fournissent de nouvelles informations sur les premières adaptations des muscles ischio-jambiers en réponse à l'entraînement excentrique à court terme.
Les estimations n'ont révélé aucune addition de sarcomères en série dans l'une ou l'autre des régions du muscle. Des études antérieures ont suggéré que la sarcomérogenèse est à la base des changements in vivo des longueurs de faisceaux des muscles ischio-jambiers après un entraînement excentrique. Cependant, ces affirmations ont été soutenues indirectement, sur la base des changements de longueur des faisceaux estimés par échographie 2D ou des changements dans la relation angle-couple, et de plus sur des adaptations à long termes. Si l'ajout de sarcomères en série peut jouer un rôle dans l'entraînement à long terme, il n’a pas été détecté ces changements au début du processus d'adaptation.Il est probable qu'il y ait peu de protection contre les blessures musculaires dues à la sarcomérogenèse à ce stade précoce de l'entraînement.
Ainsi, cette étude récente au stade de preview que nous vous avons sélectionné, serait la première à montrer qu'un entraînement excentrique n'induit pas à court terme l'addition de sarcomères en série chez l'homme, malgré des augmentations évidentes de la longueur des faisceaux spécifiques au site. Bien que ce résultat puisse être inattendu, les études sur les animaux montrent que si certains muscles subissent une sarcomérisation en réponse à un exercice excentrique, d'autres n'en subissent pas. Par conséquent, les résultats de cette étude peuvent remettre en question la théorie prédominante sur la façon dont la sarcomérisation pourrait protéger les muscles des blessures.

Interprétation des résultats : Mécanismes potentiels d'adaptation du NHE
L'adaptation hétérogène à la longueur des faisceaux dans différentes régions musculaires ici observée peut être importante pour comprendre comment un stimulus d'entraînement est lié à l'adaptation musculaire. Une distribution hétérogène des tensions dans les fibres et de l'activité musculaire vers la partie distale du BFlh peut avoir influencé les adaptations de cette région. Comme la position de la hanche reste constante pendant la NHE, les changements dans l'excursion du fascicule et la tension des tissus pourraient être plus importants dans la partie distale (plus courte) du muscle BFlh. De telles différences de tension pourraient stimuler (par exemple, la mécanotransduction) des adaptations différentielles de la longueur des faisceaux dans différentes régions musculaires. D'autres études sont nécessaires pour mieux comprendre la répartition des contraintes et des déformations dans le muscle pendant un exercice excentrique, comme le NHE, et comment cela est lié à l'adaptation musculaire.
Ainsi, après les études expérimentales sur les niveaux d’activation musculaire et les topographies de leurs effets selon les exercices pratiqués, voici une nouvelle ère de publication à venir sur les effets topographiques micro et macroscopiques de ces mêmes exercices. Certainement d’ici quelques années nous saurons exactement le type d’exercice à faire pratiquer selon la zone de faiblesse décelée, selon la zone lésée ou encore les besoins évalués pour un sport ou une gestuelle précise. Enfin la temporalité (court ou long terme) des adaptations, nous orientera également dans la progression des exercices avec beaucoup plus de précisions.

CONCLUSION

L'entraînement NHE (soit un total de 9 séances en 3 semaines) a entraîné une augmentation de la longueur des fascicules et des sarcomères dans la région distale du muscle BFlh, mais pas dans la région centrale. Ces résultats suggèrent une distribution hétérogène de la tension et de l'adaptation au sein du muscle à court terme. L'ajout de sarcomères en série n'a pas accompagné les adaptations observées dans l'une ou l'autre région

BIBLIOGRAPHIE 

Patricio A. Pincheira, Melissa A. Boswell, Martino V. Franchi, Scott L. Delp, Glen A. Lichtwark.  Biceps femoris long head sarcomere and fascicle length adaptations after three weeks of eccentric exercise training.
doi: https://doi.org/10.1101/2021.01.18.427202