Contexte
L’idée d’intégrer les avancées et faits scientifiques aux connaissances cliniques empiriques a été introduit dans le domaine médical au cours des années 90 (Guyatt, 1991; Sackett et al., 1996). Le fondement de cette médecine basée sur les faits scientifiques (en anglais Evidence-Based Medicine, EBM) est d’utiliser de manière consciencieuse, explicite et judicieuse les faits scientifiques actuels les plus robustes pour guider les décisions de soins tout en prenant en compte l’expérience clinique du praticien et les préférences et besoins du patient (Sackett et al., 1996; Swanson et al., 2010).
Bien loin de révéler une volonté de mal faire, le constat d’un tel écart entre adhésion aux principes de l’EBP et sa mise en pratique a mis en évidence un certain nombre d’obstacles expliquant cette dichotomie (Jette et al., 2003; Paci et al., 2021; Salbach et al., 2007; Scurlock-Evans et al., 2014). Le dénominateur commun de ces obstacles est la difficulté d’accès à la science que ce soit pour des raisons pratiques, essentiellement le manque de temps, ou par le manque de compétences spécifiques servant à consommer la science de manière efficace.
En France, malgré le développement de l’EBP dans les formations initiales et complémentaires de kinésithérapie, aucun état des lieux des pratiques, barrières et facilitateurs (i.e. les déterminants) liés à l’EBP n’a été effectué. Les premières études faisant le lien entre programmes de formation et EBP montrent le rôle bénéfique de l’éducation vis-à-vis de l’EBP tant au niveau de l’acquisition des compétences scientifiques que dans l’organisation du temps et du travail (Scurlock-Evans et al., 2014). En tant qu’organisme de formation français intégrant l’EBP au centre de ses démarches, il apparaissait comme une évidence pour Kinesport de fournir à la communauté scientifique le premier état des lieux des pratiques et perceptions de l’EBP chez les kinésithérapeutes exerçant en France. Cet état des lieux pourra servir de référence à la fois pour Kinesport mais aussi plus largement pour tous les organismes et institutions d’éducation dans la formation et le perfectionnement à l’EBP.
Dérivant de ce succès, les principes de l’EBM ont été repris par les autres professions de la santé - dont les physiothérapeutes - afin de guider leurs pratiques (Herbert et al., 2012). Ainsi l’EBM est devenue l’EBP (Evidence-Based Practice, EBP (Jesus et al., 2020)). Cependant malgré une forte adhésion des kinés aux concepts de l’EBP, les principes de celle-ci sont fréquemment laissés de côté au profit de traitements ancrés dans les pratiques et qui ne reposent pas sur des faits scientifiques (Zadro et al., 2019). Il s’avère que les décisions cliniques des physiothérapeutes résultent davantage de la combinaison entre l’ensemble des techniques apprises au cours de leur formation initiale et empirisme construit à partir de ces dernières plutôt que sur la mise à jour fréquente de leurs pratiques au regard des connaissances scientifiques actuelles (Turner and Whitfield, 1997; Zadro et al., 2019).
Bien loin de révéler une volonté de mal faire, le constat d’un tel écart entre adhésion aux principes de l’EBP et sa mise en pratique a mis en évidence un certain nombre d’obstacles expliquant cette dichotomie (Jette et al., 2003; Paci et al., 2021; Salbach et al., 2007; Scurlock-Evans et al., 2014). Le dénominateur commun de ces obstacles est la difficulté d’accès à la science que ce soit pour des raisons pratiques, essentiellement le manque de temps, ou par le manque de compétences spécifiques servant à consommer la science de manière efficace.
En France, malgré le développement de l’EBP dans les formations initiales et complémentaires de kinésithérapie, aucun état des lieux des pratiques, barrières et facilitateurs (i.e. les déterminants) liés à l’EBP n’a été effectué. Les premières études faisant le lien entre programmes de formation et EBP montrent le rôle bénéfique de l’éducation vis-à-vis de l’EBP tant au niveau de l’acquisition des compétences scientifiques que dans l’organisation du temps et du travail (Scurlock-Evans et al., 2014). En tant qu’organisme de formation français intégrant l’EBP au centre de ses démarches, il apparaissait comme une évidence pour Kinesport de fournir à la communauté scientifique le premier état des lieux des pratiques et perceptions de l’EBP chez les kinésithérapeutes exerçant en France. Cet état des lieux pourra servir de référence à la fois pour Kinesport mais aussi plus largement pour tous les organismes et institutions d’éducation dans la formation et le perfectionnement à l’EBP.
Matériel et méthodes
- Le questionnaire EBP² comme outil d’évaluation pour réaliser l’état des lieux de l’EBP en France
- Les auteurs ont élaboré une version française du questionnaire de profil de pratique fondée sur les preuves (en anglais Evidence-Based Practice profile, EBP², (McEvoy et al., 2010) ; voir article complet pour détails). Le questionnaire EBP² est une auto-évaluation à sections multiples qui a largement été utilisé (Bhatt and Sheth, 2021; Fernández-Domínguez et al., 2014; Hu et al., 2020; McEvoy et al., 2020, 2011, 2010; Panczyk et al., 2017; Snibsøer et al., 2018; Titlestad et al., 2017), validé (validité : r de Pearson = 0.54-0.80, fiabilité test-retest : ICC=0.77-0.94, cohérence interne : alpha de Cronbach =0.96, distinction entre groupes : p<0.05) et dont le design permet de diviser l’EBP en 5 domaines. Cette compartimentation permet de cerner avec davantage de précision les profils des participants.
- Le questionnaire est composé de 74 questions dont 58 relatives aux 5 grands domaines de l’EBP à savoir : 1) pertinence : la valeur, l’emphase et l’importance que les participants attribuent à l’EBP (14 questions) ; 2) terminologie : la compréhension de termes communs de recherche (17 questions) ; 3) confiance : la perception de ses compétences en EBP (11 questions) ; 4) pratique : l’utilisation de l’EBP en situation clinique (9 questions) ; et 5) compatibilité : la perception de la compatibilité entre l’EBP et l’environnement professionnel (7 questions). Le questionnaire comprend 16 autres questions relatives à l’environnement personnel du participant ne correspondant pas à un domaine particulier et classées dans « Autres caractéristiques ». Pour chaque question de l’EBP², les participants s’auto-évaluent sur une échelle ordinale de Likert allant de 1 (minimum) à 5 (maximum) sans avoir connaissance des domaines d’appartenance des questions. L’EBP² est complété de 12 questions socio-démographiques incluant l’âge, le genre, l’année d’obtention du diplôme d’état de masseur-kinésithérapeute (DEMK), le diplôme le plus élevé, le pays de formation initiale, les spécialités, l’historique de formation en EBP, l’emploi, le cadre de travail, le pays et la région d’exercice.
Participants et participation
- L’objectif de l’étude étant de réaliser un état des lieux de l’EBP chez les kinés français, la population cible inclue tous les titulaires du DEMK exerçant en France (DOM-TOM inclus). Les participants furent recrutés en ligne via les réseaux sociaux (compte Kinesport Facebook, Instagram et LinkedIn) et le site web Kinesport. Cette stratégie de recrutement en ligne fut complétée par des invitations délivrées lors de formations Kinesport. Bien que le recrutement ait été effectué via le réseau Kinesport, être inscrit ou avoir été inscrit à Kinesport ne constituait aucunement un prérequis.
- Les participants volontaires purent donner leurs réponses à la version française de l’EBP² directement en ligne via un logiciel de sondage (SurveyMonkey). Le lien du questionnaire était accompagné d’une notice d’information sur l’étude ainsi que le règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD). En conséquence, les participants furent anonymisés et libres de mettre un terme à leur participation à tout moment. Les participants purent compléter le questionnaire à leur guise entre le 26 février et le 31 août 2021.
- Avant inclusion finale, les questionnaires (n=1000) furent filtrés pour éviter les absences de réponses. Pour être cohérent avec les études précédentes utilisant l’EBP², nous avons utilisé le même seuil d’exclusion (Bhatt and Sheth, 2021; Fernández-Domínguez et al., 2014; Hu et al., 2020; McEvoy et al., 2020, 2011, 2010; Panczyk et al., 2017; Snibsøer et al., 2018; Titlestad et al., 2017). Ainsi les participants n’ayant pas répondu à plus de 25% des questions EBP² (n=344, 34.4%) et/ou aux questions socio-démographiques furent retirés de l’étude (n=20, 2%, Figure 1). Nous avons également exclu les participations en-dehors des dates de l’étude (n=25, 2.5%) ainsi que les doublons supposés (même adresse IP et données socio-démographiques, n=14, 1.4%). Enfin comme l’objectif de l’étude était de réaliser l’état des lieux de l’EBP chez les kinés exerçant en France, nous avons exclus les participants n’ayant pas le DEMK (n=4, 0.4%) ou n’exerçant pas en France (n=51, 5.1%). Sur les 1000 volontaires, 542 participants furent inclus dans l’échantillon finalement analysé (54.2%).

Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel R (R Core Team, 2020). Les méthodes sont brièvement décrites dans cet article et détaillées dans l’article original.
Résultats
Caractéristiques socio-démographiques des participants
- La majorité des participants furent des hommes (67.16%) d’âge médian 30 (Quartile1-Quartile3 : 26-36 ans). L’année médiane d’obtention du DEMK fut 2015 (Q1-Q3 :2009-2018) et 71% des participants l’obtinrent en France. Dix pourcents des participants sont également titulaire d’un Master. Quarante-et-un pourcents des participants n’ont jamais reçu de formation à l’EBP. L’immense majorité (92%) des kinés inclus exercent en libéral. La répartition géographique de notre échantillon est représentative de celles des kinés en France avec la plupart des participants provenant d’Auvergne-Rhône-Alpes (17%), d’Occitanie (14%) et de Provence-Alpes-Côte d’Azur (10%). L’ensemble des caractéristiques socio-démographiques des participants finalement inclus est détaillé dans l’article complet.
Etat des lieux des 5 grands domaines de l’EBP chez les kinés français
- Pour chaque participant, un score fut calculé pour chaque domaine de l’EBP² comme la somme des réponses données aux questions dudit domaine. Parce que les domaines ne sont pas composés du même nombre de questions, ces scores furent normalisés entre 0 et 100 (normalisation minmax) afin de pouvoir les comparer plus facilement. Les participants ont attribué en moyenne des scores élevés au domaine de la pertinence (79.98/100) et faibles à la pratique (41.93/100). Les scores des autres domaines étant intermédiaires entre 52.50 et 59.64/100. Les scores moyens par domaine et leurs écart-types sont présentés dans la Figure 2.
Afin de mesurer une potentielle relation inter-domaine, nous avons calculé les corrélations de Pearson entre tous les domaines pris deux-à-deux. Les scores de tous les domaines sauf autres caractéristiques et compatibilité furent tous positivement corrélés les uns avec les autres (toutes les p-valeurs <1e-6).

- Les participants ont complété le questionnaire EBP² qui est composé de questions relatives aux 5 grands domaines de l’EBP (cercles). Les scores de chaque domaine ont été normalisés entre 0 et 100 pour chaque participant. Les scores moyens (± écart-type) à travers les participants sont indiqués en-dessous des domaines auxquels ils se rapportent.
Profil EBP des kinés français
- Afin de mieux cerner les différents profils EBP des kinés français, nous nous sommes basés sur les réponses au questionnaire intégral et non plus sur les scores par domaine. Ainsi nous avons réalisé une analyse en composante principale (ACP) dans l’optique de mettre en évidence les différents profils EBP possibles dans notre échantillon (voir article original pour plus de détails).
- Cette analyse révèle en particulier deux groupes opposés (Figure 3), l’un (n=170, 31%, en orange sur la Figure 3) exprimant beaucoup de barrières à l’EBP et de difficultés à la mettre en pratique et l’autre percevant peu de barrières et ayant une bonne compréhension scientifique (n=113, 21%, en bleu sur la Figure 3). La majorité des participants (n=259, 48%, en jaune sur la Figure 3) se trouvant regroupés dans un 3e groupe intermédiaire à ceux-ci.
- Les profils socio-démographiques furent hétérogènes entre ces 3 groupes. En particulier les participants du groupe reportant des lacunes scientifiques et beaucoup de barrières (en orange sur la Figure 3) furent plus âgés, moins diplômés, diplômés il y a plus longtemps et moins formés à l’EBP. La composition des groupes fut homogène en termes de cadre de travail ou du fait d’être spécialisé en kinésithérapie du sport.
