Au confin de la santé et de la suspicion de dopage Retour sur le dossier Rafael Nadal

Kinesport
Dans la suite de notre dossier de Mars 2022 sur la nouvelle réglementation de l’AMA dans le cadre des injections de glucocorticoïdes, il nous a paru nécessaire de faire le point de façon factuelle sur le « cas » Rafael Nadal lors de sa victoire à Roland-Garros 2022.
En effet, le légendaire joueur espagnol a eu recours à des injections de produit anesthésiant, qui en supprimant les douleurs au niveau de son pied gauche, lui ont permis de jouer ce tournoi. Dans l’ère actuelle où se déchaine les passions et où la parole se libère très vite via les réseaux sociaux, le temps de la prise de recul sur les situations et la réflexion sont bien trop souvent mis à mal. Récemment, nous avons vu la déferlante de haine qu’ont subit les athlètes lors de Roland-Garros via les réseaux sociaux, entrainant beaucoup de questions sur la santé mentale de ces derniers à court et moyen terme.
Au sujet des injections lors des compétitions, il est nécessaire de faire le point sur ce qui est réglementaire, ce qui différencie les injections en fonctions des produits utilisés, et pourquoi les réglementations peuvent différer en fonction des sports.
Quoiqu’il en soit, ce type d’événement n’est que positif dans la volonté de faire évoluer les réglementations sportives et dans les réflexions que cela engendre. Cela ne remet en aucun cas en cause l’immense athlète qu’est Rafael Nadal.
En tant que professionnel de santé entourant les athlètes de haut niveau, il est de notre devoir de prendre du recul, pour mettre en lumière une information juste et vierge de passion vaine. Nous avons demandé à Gérard Dine, expert sur la problématique du dopage de nous éclairer sur la polémique Rafael Nadal à Roland-Garros 2022, et de nous expliquer comment nous placer en tant que professionnel de santé dans ce type de situation ambiguë.
Bonjour Gérard Dine,
Dans la continuité du dossier sur la réglementation des injections de corticoïdes que nous avions publié en Mars 2022, pouvez-vous nous expliquer la différence entre l'injection de corticoïdes locaux et l'injection d'anesthésiques locaux d'un point de vue médical ?
Les anesthésiques locaux agissent en périphérie et ne sont pas à utiliser par voie générale (IV par exemple). Certains comme la Xylocaïne ont des actions brèves en fonction de la dose injectée et d’autres plus longues comme la Naropéine ou la Chibrocaine. Pour une anesthésie de contact on va utiliser la Xylocaïne en injections tissulaires (peau, gencive par exemple). S’il est souhaité une action plus longue on va employer la Naropéine ou Chirocaine localement ou en bloc au niveau de l’émergence des racines nerveuses de la zone a insensibiliser (péridurale, intervention sur une partie d’un membre).Une infiltration est un mauvais terme qui correspond en fait à une injection locale de corticoïdes qui peuvent avoir une action locale mais aussi générale en particulier antiinflammatoire et métabolique mais non anesthésique. Suivant le type d’infiltrations corticoïdes il existe régulièrement un passage systémique donc possiblement stimulant et donc dopant.Dans les 2 cas de figures : injections anesthésiques ou corticoïdes les produits ne participent pas à réparer le processus lésionnel mais à gommer l’aspect douloureux directement ou indirectement.Dans le dossier Nadal l’anesthésie locale était réalisée en bloc nerveux pour obtenir un résultat efficace et durable. La difficulté est l’équilibre entre l’insensibilité recherchée sans perte trop importante du retour proprioceptif pour contrôler le mouvement. Avec un produit anesthésique il n’y a pas de stimulation métabolique.
Justement, la récente polémique sur le cas Rafael Nadal (vainqueur de Roland-Garros 2022) qui a eu recours à des injections d'anesthésiques locaux est-elle donc justifiée au regard de la réglementation de l'AMA dans le circuit ATP ?
Les injections locales de corticoïdes dénommées improprement infiltrations sont antiinflammatoires localement. Comme les corticoïdes sont des puissants stimulants métaboliques aussi ils sont donc considérés comme des produits dopants. Le passage systémique c’est-à-dire dans la circulation générale d’une infiltration corticoïde est possible.
Dans ces conditions l’AMA interdisait l’utilisation des corticoïdes par voie générale mais elle tolérait jusqu’en 2022 le recours aux infiltrations corticoïdes en compétition sous AUT.
La nouvelle réglementation l’interdit et oblige après infiltration locale d’un corticoïde a une période sans compétition au risque d’être considéré en cas de contrôle positif comme dopé.
Une injection d’un produit anesthésique localement n’a aucune action stimulante possible.
Elle endort la douleur gênante a l’action sportive sans effet d’amélioration mais elle autorise cette action sportive. La liste des produits interdits de l’AMA comprend donc maintenant l’ensemble des corticoïdes locaux ou généraux et leurs conditions d’utilisation en compétitions mais ne concerne pas les anesthésiques locaux. Leurs utilisations aujourd’hui selon l’AMA relèvent de l’éthique médicale et pas de la règlementation anti-dopage.
Dans ces conditions il n’y a pas eu de conduite frauduleuse vis-à-vis des règles de l’ATP même si on peut penser que Nadal avait très peu de chance de gagner le tournoi sans ce traitement considéré comme médical et autorisé.
Comment donner de la clarté dans ce dossier et diminuer les passions qui ont tendance à se déchainer notamment sur les réseaux sociaux ? On a pu remarquer beaucoup d'amertume notamment du monde du cyclisme sur ce sujet, cela peut-il se justifier ?
La création de l’AMA début 2000 a permis la clarté progressive sur les différentes méthodes dopantes dont certaines biotechnologiques sont très sophistiquées. Il faut rappeler que c’est le cyclisme avec les fédérations belges puis françaises qui a mis en place les premiers vrais contrôles anti-dopage au début des années 1960. D’autres fédérations sont restées très timides pendant longtemps et c’est un euphémisme, sans parler du dopage d’État des anciens pays de l’Est peu combattu par le CIO à l’époque. Le cyclisme a pu être gangrené par le dopage comme les autres sports, il a fait office de bouc émissaire régulièrement.
A la suite de l’affaire Amstrong l’UCI a de plus promulgué des positions très rigoureuses au delà des règlements AMA en interdisant ainsi toutes les injections quel qu’elles soient et donc aussi les infiltrations locales en compétition. On peut donc comprendre les prises de position de plusieurs coureurs cyclistes devant ce qui leur apparait comme une injustice face à un état de fait : deux poids deux mesures suivant la discipline sportive pratiquée.
Pour finir, quels conseils pouvons-nous donner aux professionnels de santé pour véhiculer une information factuelle sur ce type de sujet ?
Face aux situations ambigües, il faut revenir à la réalité règlementaire actuelle vis-à-vis du dopage et considérer que la juridiction évolutive chaque année de l’AMA doit être respectée même si elle parait parfois imparfaite en vue de répondre au rationnel des contrôles : équité sportive, artificialisation de la performance et dangerosité des produits ou méthodes.
Avec les avancées de la biotechnologie et de la technologie médicale la frontière peut apparaitre mince parfois entre dopage déclaré et emploi abusif d’une thérapie symptomatique.
Il est probable que le dossier Nadal, grand champion, va participer à l’évolution des idées vis-à-vis de telles situations extrêmes. Les soignants auront leurs places à cote des sportifs eux mêmes en vue de définir les frontières du risque au-delà de l’interdit ou pas.
On peut penser que Nadal n’envisage pas une nouvelle victoire à Roland Garros dans des conditions similaires et qu’il choisira l’abandon aux courts de tennis si aucune solution prospective efficace n’est disponible conformément aux progrès scientifiques mais aussi dans le cadre d’une réflexion protectrice pour sa santé et en phase avec l’éthique de ses soignants expérimentés.
Merci Gérard Dine pour ces éclaircissements importants dans ce type de dossier.