La réhabilitation basée sur l’exercice réduit la récidive après un épisode aigu d’entorse latérale de cheville : Une revue systématique mise à jour avec méta analyse

Kinesport
Les entorses de cheville (LAS) font partie des blessures musculo squelettiques les plus courantes dans le sport. Les données actuelles provenant d’études prospectives reportent une incidence cumulée de 11,5 entorses de cheville/1000 expositions et une prévalence de 11,8%. Le ligament talo-fibulaire antérieur (ATFL) est le ligament du complexe articulaire de la cheville le moins tolérant à la charge et est le plus fréquemment atteint.
Le temps moyen de RTP après LAS est compris entre 16 et 24 jours, mais une grande proportion d’athlètes subit des récidives ou d’autres soucis sur le long terme. Les données épidémiologiques sur les LAS récidivantes chez les athlètes montrent un taux entre 12% et 47%, les taux les plus élevés étant retrouvés pour les jeunes joueurs de basketball (47%), volleyball (46%) et football américain (43%).
L’instabilité chronique de cheville (CAI) se caractérise par des LAS récidivantes, des sensations de dérobement et une instabilité perceptible. Il est estimé que plus de 40% des gens développent une CAI, conduisant à terme au développement d’une arthrose précoce.
Une précédente revue systématique de 2017, incluant 7 essais contrôlés randomisés (RCTs) a montré une réduction du risque de récidive sur une période de 12 mois après une thérapie basée sur l’exercice mais sans pouvoir faire de recommandations sur un contenu et un volume d’exercices optimaux. L’amplitude de l’effet concernant les études les plus qualitatives étant également réduit dans cette revue.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette méta-analyse est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
Depuis 2017, de nouvelles études ont été publiées, les guidelines montrant l’importance de quantifier à la fois les déficits mécaniques et sensorimoteurs.
Il apparait important de proposer une mise à jour sur le management des LAS aigues ainsi que sur les résultats cliniques et auto déclarés du patient, en mesurant objectivement la qualité des interventions et en analysant de façon quantitative l’effet du volume d’entrainement sur la récidive, grâce à l’utilisation du i-CONTENT tool (international Consensus On Therapeutic Exercise aNd Training tool).

Les questions de recherche sont les suivantes :
  1. La rééducation basée sur l'exercice réduit-elle la récidive suite à une entorse latérale aiguë de la cheville ?
  2. L'efficacité de la rééducation est-elle influencée par la qualité thérapeutique, le contenu et le volume de l'exercice ?

Méthode

 Sélection et stratégie de recherche

Les articles inclus dans cette revue systématique proviennent de multiples bases de données : CINAHL, Web of science, SPORTDiscus, Cochrane Central Register of Controlled trials, PEDro et Google Scholar. Pour être introduits dans l’étude, les articles devaient remplir prélablement les critères d’éligibilité suivants : 
Les données extraites des articles étaient des données liées à la méthodologie des articles (auteurs, année de publication, langue, design de l’étude, données démographiques sur les participants, critères d’inclusion/exclusion, site et heure du recrutement, temps passé depuis la blessure au moment du recrutement, diagnostic, antécédents de blessures à la cheville, temps de follow-up, contenu de l’intervention basée sur l’exercice et comparaison de l’intervention) ainsi que le détail des interventions (durée de l’intervention, nombre de séances, temps de la séance de rééducation). Il a été également calculé le temps total de rééducation afin d’estimer le volume d’entrainement. Ce calcul était basé sur la durée d’une seule session (minutes), la durée entière du programme (semaines) et le nombre de séances incluses dans le programme. 

 Qualité de l’intervention

L’outil i-CONTENT, publié en 2020 évalue 7 items : sélection du patient, dosage du programme d’exercice, le type de programme d’exercice, la qualification du superviseur, le type et le timing d’évaluation des résultats, la sécurité du programme d’exercice et l’adhésion au programme. Tous ces items sont alors notés comme à « faible risque », « haut risque » d’inefficacité de l’intervention. En cas de doute, l’item pouvait aussi être évalué comme « probablement fait » ou « probablement pas fait ».

Résultats

 Résultats de la recherche et déroulement de l'étude

Parmi les 7241 études qui sont sorties des bases de données, 14 étaient éligibles et ont été incluses pour une synthèse qualitative, parmi lesquelles 11 ont été incluses pour la méta analyse.

 Caractéristiques de l’étude

14 études ont été incluses pour un total de 2184 participants (52% d’hommes et 48% de femmes). La taille des échantillons de patients variait de 20 à 522 participants. Le temps de follow-up était de 1,5 mois à 12 mois. Le temps écoulé depuis la blessure allait de J-0 à 11 semaines post-entorse.
3 études spécifiaient qu’un antécédent de LAS dans les deux années précédentes était considéré comme un critère d’exclusion, et seulement 2 spécifiaient qu’une lésion de syndesmose était considéré comme critère d’exclusion. 6 études n’ont pas rapporté les antécédents de LAS ; dans les autres, le taux était de 42,5% à 71%. Les programmes comprenaient des exercices d’équilibre postural dans toutes les études sauf deux. La majorité des études utilisait un contenu rééducatif qui était basé exclusivement (3 études) ou principalement (7 études) sur le travail de l’équilibre postural. 9 études utilisaient des exercices de single leg stance, avec variantes.

 Évaluation de la qualité thérapeutique des programmes d’exercice

Concernant les items du i-CONTENT, il y avait un faible risque de biais pour la sélection des patients, la sécurité et l'observance de l'exercice. Dans tous les cas, le type d'exercice a été jugé approprié et, le cas échéant, un superviseur qualifié a été embauché. Le type et le timing de l'évaluation des résultats étaient les plus incohérents, trois des programmes d'intervention inclus présentant un risque élevé de biais et un jugé comme probablement non fait en raison d'informations insuffisantes.

 Effet des interventions

11 des études incluses ont comparé une non-intervention (ou un traitement habituel) à une intervention basée sur l’exercice. 4 études ont comparé différentes modalités d’interventions basées sur l’exercice.

Traitement habituel vs. Intervention basée sur l’exercice

 Récidive

Les données regroupées provenant de 9 études, comprenant 10 comparaisons d’intervention montrent une réduction de la récidive en faveur de l’intervention basée sur l’exercice. Les analyses basées sur le temps de follow-up n’ont pas montré de différences significatives en faveur du groupe d’intervention basée sur l’exercice a ≤6 mois tandis que l’effet entre 7 et 12 mois de follow-up était statistiquement significatif, en faveur du groupe d’intervention basée sur l’exercice.
Deux études se sont intéressées aux taux d’incidence de récidive pour 1000 heures d’exposition et les données montrent des effets inconsistants. Statistiquement, les effets étaient non significatifs concernant l’incidence de la récidive auto rapportée par les patients, du time-loss dû à la récidive et des coûts engendrés.

 Volume d’entrainement

La majorité des études incluses reporte une durée de 30 min par session de réhabilitation, les études restantes oscillant entre 10 min et 60 min de séance. Le nombre de séances de rééducation allait de 5 à 84 sessions et la durée de la rééducation allait de 1 à 12 semaines. En termes de temps total de rééducation, la moyenne était de 12 heures. Une méta analyse effectuée avec les données regroupées du temps total de rééducation, provenant d’études comparant un traitement habituel à un traitement basé sur l’exercice, n’a montré aucune association entre la récidive et l’augmentation du volume d’entrainement.

 Résultats auto-rapportés par les patients

Il a été noté les différences et les tailles d’effet entre les groupes pour toutes les mesures auto-rapportés par les patients, dans les études comparant un traitement habituel et un traitement basé sur l’exercice à 1 mois, entre 3 et 6 mois et enfin entre 7 et 9 mois de follow-up. 
  • Instabilité perçue
Deux études ont évalué la sensation d’instabilité améliorée par la thérapie par l’exercice mais seule une des deux était statistiquement significative.
  • Fonction auto rapportée
Trois études ont enregistré la fonction auto rapportée et les résultats sont contradictoires entre les différents points de temps. Seule une étude montre une différence significative en faveur du traitement habituel à 1 mois après l’entorse.
  • Douleur
Trois études ont mesuré la douleur à 1 mois, 3-6 mois et 7-12 mois de follow-up et seule une étude a trouvé des différences significatives entre les groupes, en faveur du groupe d’intervention basée sur l’exercice après 3-6 mois de follow-up sur les différents index de douleur.

 Résultats cliniques

Cette fois ci, ce sont les résultats cliniques qui ont été mesurés entre les deux groupes d’intervention, toujours à 1 mois, 3-6 mois et 7-12 mois de follow-up.
  • Gonflement
3 études s’y sont intéressées dont 2 utilisant la même méthode de mesure et les résultats sont contradictoires.
  • Force musculaire
3 études ont évalué la force musculaire dont 2 montrant des résultats inconsistants tandis que la dernière étude a montré des tailles d’effet significatifs en faveur de la thérapie par l’exercice sur la force de flexion plantaire à 120°/s et la force d’éversion à 30°/s à 3-6 mois de follow-up.

 Amplitude articulaire

Le ROM de dorsiflexion a été évalué dans 3 études avec des résultats inconsistants à la fois pour la flexion dorsale et pour la flexion plantaire que ce soit à 1 mois ou entre 3-6 mois de follow-up.
  • Proprioception
Deux études ont évalué la proprioception et ont trouvé des résultats en faveur de l’intervention basée sur l’exercice ; cependant les effets les plus larges étaient pour le sens positionnel de la flexion plantaire à 15°.
  • Contrôle sensori-moteur
3 études ont évalué différents composants du contrôle sensori-moteur (oscillation posturale, équilibre, Single leg hop for distance, single leg hop for time, stabilité fonctionnelle) à 3-6 mois de follow-up avec des effets en faveur de l’intervention basée sur l’exercice, sauf pour la performance d’équilibre. La seule différence significative entre les groupes était pour le Single leg hop for distance.
  • Fonction de la cheville
2 études ont évalué la fonction de la cheville, la première à 1 mois de follow-up en utilisant le sports ankle rating scale, la seconde à 3-6 mois de follow-up. Les résultats des deux études convergent en faveur de l’intervention basée sur l’exercice, bien que les résultats de la seconde soient statistiquement non significatifs.

Comparaison entre interventions basées sur l’exercice

Une étude a comparé une intervention basée sur l’exercice, à raison de 2 visites ou 4 visites supervisées par un kinésithérapeute. Les patients qui ont reçu 4 visites ont montré une réduction de la récidive statistiquement non significative ainsi qu’une fonction auto-rapportée statistiquement meilleure et une douleur moins importante à 3-6 mois de follow-up. Il n’y avait pas de différences entre les groupes pour le ROM en flexion plantaire/dorsale, la stabilité fonctionnelle de la cheville et la fonction de la cheville.

Une autre étude a comparé un programme de rééducation basé sur l’exercice donné via une application sur smartphone au même programme donné sur livret imprimé. Il a été montré une petite réduction de la récidive en faveur du groupe avec livret mais non significative statistiquement. Si l’on prend les récidives auto rapportées pour 1000 heures d’exposition, l’incidence est en faveur du groupe smartphone mais sans être statistiquement significatif. Le time loss dû à la blessure était similaire et les résultats de la fonction auto-rapportée à 1 mois, 3-6 mois et 7-12 mois de follow up étaient contradictoires.

Discussion

Cette étude a proposé une mise à jour d’une précédente revue systématique en doublant le nombre d’essais inclus, avec des données cumulées provenant de 2184 participants (48% de femmes) à travers 14 essais contrôlés randomisés. Il a été trouvé d'autres preuves que la rééducation basée sur l'exercice réduit le risque de récidive d’entorse de la cheville par rapport aux soins habituels minimaux.
L’outil i-CONTENT a permis d’évaluer formellement la qualité thérapeutique des interventions par l’exercice. Le contenu et le volume des interventions d'exercice continuent de varier, et il y aurait une tendance faible et non significative selon laquelle les volumes d'entraînement plus élevés seraient les plus efficaces. En ce qui concerne les résultats cliniques et rapportés par les patients, les conclusions étaient généralement contradictoires sur la plupart des points de temps étudiés pour le follow-up.

 Récidive

Les données regroupées de neuf études ont révélé des réductions statistiquement significatives de la récidive en faveur du groupe de rééducation basée sur l'exercice. La prévalence des entorses récidivantes de la cheville était de 22 % dans le groupe de soins habituels. En comparaison, la prévalence regroupée des entorses récidivantes dans le groupe d'exercice était de 16 %, ce qui équivaut à une réduction du risque absolu de 6 %. Cette ampleur de l'effet est importante sur le plan clinique et ces résultats doivent être diffusés aussi bien aux professionnels de santé qu’aux patients.
L'ampleur de la réduction du risque de nouvelle blessure variait parmi les études incluses dans la revue systématique.
L'effet du traitement peut être modéré par de nombreux facteurs cliniques, tels que les antécédents de blessure, la gravité et la méthode de diagnostic.

 Intervention basée sur l’exercice

Il a été montré une légère diminution des risques de nouvelle blessure avec un volume d'entraînement accru, bien que cela ne soit pas statistiquement significatif. Également, une étude a démontré que quatre séances d'entraînement supervisé sont supérieures à deux séances supervisées.
Le volume d'entraînement a été calculé en fonction de la fréquence, de la durée et du timing, mais aucune donnée liée à l'intensité n'a été prise en compte, ce qui constitue pourtant une des variables clés influençant le volume d’entrainement. Cela peut expliquer pourquoi il n’a pas été trouvé d'association significative entre le volume d'entraînement et les risques de nouvelle blessure.
Le consensus concernant le volume d'entraînement optimal et l'effet du volume d'entraînement sur les entorses récidivantes de la cheville fait encore défaut dans la littérature actuelle.

 Résultats cliniques et auto-rapportés

Bien que les résultats aient montré une réduction globale des récidives, les effets de la rééducation sur les résultats cliniques et sur les mesures des résultats rapportés par les patients sont inconsistants.
Le cinquième item de l'outil i-CONTENT, le type et le timing de l’évaluation des résultats, a également montré des résultats incohérents. Cela peut également expliquer pourquoi les conclusions concernant la réduction des récidives sont contradictoires avec les résultats des critères de jugement secondaires.
Seule une étude a appliqué une progression criteria-based dans leur programme de rééducation, traitant des déficits spécifiques, alors que toutes les autres études ont appliqué un programme d'intervention plus généraliste, indépendant des progrès réalisés par les participants à l'étude. La progression de la réadaptation des affections musculo-squelettiques courantes, telles que la reconstruction du ligament croisé antérieur ou les lésions myo aponévrotiques aux ischio-jambiers par exemple, sont guidées par des critères fondés sur des données probantes. Il n'existe actuellement aucun critère de progression concernant la rééducation après une entorse aiguë de la cheville.

Conclusion

La rééducation réduit de 40% le risque d'entorse récidivante de la cheville par rapport aux soins habituels ou à l'inactivité. L'effet de la réhabilitation sur les PROMs et les résultats cliniques est contradictoire.
 Les interventions d'exercice sont généralement bien décrites, mais il n'existe aucune preuve suggérant un protocole de rééducation ou un volume d'entraînement optimal. Une meilleure compréhension de l'effet de la rééducation pourrait être obtenue grâce à des méthodes de mesure cohérentes, en mettant l'accent sur la prévalence de l'instabilité chronique de cheville et un follow-up minimal de 12 mois. Les recherches futures devraient examiner quelles variables (durée, contenu de l'exercice, intensité) ont le plus grand effet modérateur sur les résultats de la réhabilitation.

L'article

Wagemans J, Bleakley C, Taeymans J, Schurz AP, Kuppens K, Baur H, Vissers D. Exercise-based rehabilitation reduces reinjury following acute lateral ankle sprain: A systematic review update with meta-analysis. PLoS One. 2022 Feb 8;17(2):e0262023. doi: 10.1371/journal.pone.0262023. PMID: 35134061; PMCID: PMC8824326.