Douleur antérieure chronique du pubis chez des joueurs en centre de formation professionnel : une étude de cohorte prospective sur des possibles facteurs de risque, réhabilitation et Return to Play

Arnaud BRUCHARD
Les pubalgies sont parmi les blessures les plus fréquentes chez les jeunes footballeurs professionnels et les récentes données épidémiologiques suggèrent qu’environ 10% de tous les jeunes joueurs de football subissent une blessure au pubis chaque saison.
La pubalgie chronique est une pathologie caractérisée par un historique typique, des constatations cliniques ainsi que des signes particuliers à l’imagerie. Il s’agit d’une affection chronique inflammatoire, non infectieuse impliquant la symphyse, les branches pubiennes et les tissus mous avoisinants, résultant d’un overuse chronique.
L’apparence clinique est caractérisée par une douleur typique au pubis pendant l’activité et une sensibilité locale sur la symphyse et en regard de l’os pubien. A l’IRM on peut apercevoir un oedème de la moelle osseuse juste en dehors de la symphyse et possiblement une irrégularité des berges de cette symphyse. Un oedème des muscles environnants peut également être observé.
La plupart du temps, cela affecte les athlètes de haut niveau, en particulier ceux qui participent à des sports impliquant des frappes, des pivots, des changements de direction, des sprints, des accélérations et décélérations brutales.
Le stress intense qui s’applique sur les muscles adducteurs (en particulier le long adducteur) ou le muscle droit de l’abdomen, qui sont intimement liés à l’os pubien et stabilisent la partie antérieure du pelvis conduit à des microtraumatismes répétés dans la zone de la jonction tendino-périostée sur l’os pubien.
Les jeunes joueurs de football, particulièrement au moment du pic de la croissance ont un risque augmenté pour les pathologies d’overuse dans cette région. La diminution de la flexibilité ainsi que de la densité osseuse à cette période résulte en une plus grande vulnérabilité du système musculo squelettique. Cette vulnérabilité combinée à l’augmentation de la charge de l’entrainement et des matchs peut mener à des douleurs chroniques de type pubalgie.

L’objectif de cette étude est d’évaluer l’effet de l’âge, du poste occupé et du score fonctionnel de mouvement (FMS) sur les douleurs chroniques du pubis chez des joueurs de football en centre de formation. Un programme thérapeutique standardisé conservateur sera mis en place et une évaluation prospective des résultats sera effectué.

Méthodes

Patients

Tous les jeunes athlètes inclus dans cette étude prospective sont membres d’un centre de formation d’un club allemand de première division (de 11 à 22 ans) pendant la saison 2017/2018.
Les critères d’inclusion pour le groupe étudié sont les suivants : anamnèse d’une douleur au pubis atraumatique exacerbée à l’entrainement ou dans le quotidien, signes cliniques positifs de pubalgie et au moins la présence à l’IRM d’un œdème de moelle osseuse au niveau de l’os pubien para symphysaire.

Les critères d’exclusion étaient un âge supérieur à 22 ans, et d’autres pathologies amenant à la même symptomatologie, en particulier la présence d’une hernie, inguinale ou fémorale, la présence d’une pathologie prostatique ou urinaire chronique, une douleur vertébrale de T10 à L5, incluant les articulaires postérieures, les douleurs aux articulations sacro-iliaques, présence d’une pathologie tumorale, signes cliniques d’un enclavement d’un nerf ilioinguinal, génitofémoral, iliohypogastrique ou du nerf cutané latéral de la cuisse, la preuve clinique ou radiologique de pathologies de hanches, bursites de hanches ou de la région pubienne.

Le groupe contrôle est constitué par tous les joueurs ne présentant pas de symptômes chroniques de cette région pendant la saison en question.

Critère de diagnostic

A l’examen clinique, les jeunes joueurs souffrant de douleurs chroniques de la région pubienne présentent typiquement une douleur diffuse au-dessus de l’os pubien ou sur la symphyse. La douleur peut être uni ou bilatérale et elle est typiquement exacerbée par la course, la frappe de balle, l’adduction ou la flexion de hanche et les charges excentriques sur le muscle droit de l’abdomen et/ou sur les adducteurs.
Une douleur à type de pression au-dessus de l’os pubien, qu’elle soit le résultat d’une palpation profonde ou même au repos, est le signe clinique principal. Du fait de l’origine proximale des muscles adducteurs, le squeeze test à 0, 45 et 90° de flexion de hanche est aussi fréquemment positif. Tous les athlètes ont été soumis à l’imagerie par le biais d’une IRM 1,5 Tesla.
L’œdème de la moelle osseuse a été gradué de cette façon
  • Grade 1 : œdème sur l’os pubien, uni ou bilatéral
  • Grade 2 : œdème sur l’os pubien, uni ou bilatéral, avec implication du périoste et/ou des muscles
  • Grade 3 : œdème sur l’os pubien, liquide dans l’interligne symphysaire et/ou les muscles péri osseux
Toutes les IRM sont lues par 2 orthopédistes expérimentés qui n’ont pas eu accès aux données cliniques ni à l’historique des patients.
En résumé, le critère minimum d’inclusion dans le groupe étudié est une douleur dans la région antérieure du pubis de plus de 6 mois avec exacerbation sous la charge, une douleur à type de pression sur l’os pubien, un œdème osseux à l’IRM et l’absence d’autres pathologies symptomatiques dans la région.

Analyse des facteurs de risques

Pour déterminer les facteurs de risque, l’âge, l’équipe (de U12 à U23), le groupe d’âge dans l’équipe, le poste occupé et le score FMS existant effectué en présaison ont été enregistrés et comparés à ceux des joueurs sains.

Programme de réhabilitation

Tous les athlètes du groupe pubalgie chronique ont participé à un programme intensif sur 6 niveaux. Il a été développé selon les preuves disponibles pour les joueurs adultes, résultant dans un processus de RTP progressif et ce pour chaque joueur individuellement.
Excepté pour la première phase, il n’y avait pas de recommandation de temps pour compléter les niveaux de réhabilitation. La progression du joueur sur les niveaux était au contraire basée sur des critères spécifiques réunis. La progression au niveau suivant dans le programme était possible dès que le test d’évaluation en fin de phase était réussi et le score de douleur pendant l’activité thérapeutique et sur les squeeze tests des adducteurs était inférieur à 3/10 sur une EVA.
La décision finale du RTP était prise à la fin du niveau 6 par le joueur et par le staff après que le joueur ait passé les tests finaux (test de lactate et évaluation médicale). Lors de l’examen médical final, le muscle droit de l’abdomen et les adducteurs devaient être non douloureux à la palpation, l’adduction isométrique maximale à 0/45/90° et l’étirement des adducteurs également. Le joueur ne devait pas rapporter de douleur lors de la passe ou la frappe du ballon.

Critère de résultat clinique

Le principal critère de résultat pour évaluer le bénéfice du programme dans cette étude est le temps consécutif au RTP, à compter du début de la réhabilitation. Le RTP est défini comme le retour à la participation totale à l’entrainement collectif et la disponibilité pour la sélection pour un match. Le second paramètre de résultat est la récurrence des symptômes pendant le follow up et le résultat clinique final à deux ans post RTP.
Les mesures des résultats cliniques au moment du follow up de 2 ans étaient
  • Douleur des insertions du muscle droit de l’abdomen et des adducteurs sur l’os du pubis
  • Douleur à l’adduction active lors des squeeze tests
  • Douleur pubienne pendant ou après la pratique du football
  • Réduction du niveau d’activité sur l’échelle de Tegner à cause des douleurs pubiennes
Si les 4 mesures étaient négatives, le résultat était considéré comme excellent, si 3 mesures étaient négatives le résultat était considéré comme bon, si 2 mesures étaient négatives, le résultat était juste, si 1 mesure seulement était négative le résultat était pauvre.

Résultats

Durant la période étudiée, 14 jeunes joueurs sur 189 (incidence de 7,4%) ont montré des signes cliniques et radiologiques en lien avec une pubalgie chronique et ont nécessité un recours au programme de réhabilitation. Tous les joueurs sont allés au bout du follow up, aucune donnée n’était manquante.

La moyenne d’âge des joueurs au moment de la blessure était de 16,1 +/-1,9 ans.

Deux joueurs blessés jouaient en U14, un jouait en U15, deux en U16, quatre en U17, trois en U19 et deux en U23.
Neuf des quatorze joueurs (64,3%) ont contracté leur blessure dans la première moitié de la saison.

Un total de 35,7% des joueurs avait une IRM grade 1, 50% avaient une IRM grade 2, et 14,3% avaient une IRM grade 3 selon la classification de Krueger utilisée pour l’étude.

L’analyse des facteurs de risque a montré une influence significative du groupe d’âge à l’intérieur de l’équipe. Seuls les joueurs dans le groupe d’âge le plus jeune ont été touchés.

Aucun effet significatif n’a été observé pour l’âge, l’équipe, le poste ou encore le score FMS avant blessure.
Le temps moyen de RTP de tous les joueurs était de 135,3 +/- 83,9 jours. Le temps de RTP était significativement influencé par la sévérité de l’œdème osseux à l’IRM.
71.6 +/- 24.1 jours
Grade 1
147.9 +/- 81.9 jours
Grade 2
250.5 +/- 30.4 jours
Grade 3
Aucun impact significatif sur le RTP n’a été retrouvé pour l’âge et le score FMS avant blessure.
Seul un joueur a souffert de la récurrence de symptômes non spécifiques (7,1%) durant la période de follow up sans douleur pressante sur la symphyse ou d’oedème de la moelle osseuse à l’IRM. C’était également un des plus jeunes joueurs de son équipe. La thérapie conservatrice a été prolongée et a résulté en un RTP sans douleur deux semaines plus tard. Par conséquent, le résultat clinique suivant le traitement conservateur selon le programme présenté avec un follow up à 2 ans était excellent pour les 14 cas.
Aucun joueur n’a dû réduire son activité à cause des douleurs liés au pubis au moment du follow up.

Discussions

La découverte la plus importante de cette étude est qu’un RTP durable avec un risque minimal de rechute peut être attendu après un traitement conservateur par l’emploi d’un programme criteria-based, standardisé et supervisé, dans le cadre des douleurs pubiennes chroniques chez de jeunes joueurs de football professionnels. Après une moyenne de 4,5 mois, les joueurs sont retournés à une participation totale à l’entrainement collectif et étaient disponibles pour la compétition.
L’incidence des douleurs chroniques de cette région est de 7,4%. En comparaison, les études incluant des athlètes adultes reportent des taux d’incidence de 0,5% à 8%. Cette variance peut être attribué à l’absence de critère de diagnostic standardisé dans le cadre des douleurs chroniques du pubis, autant qu’à la grande variabilité selon les sports.

Facteurs de risque

Une récente revue systématique sur les facteurs de risque aussi bien chez l’adulte que chez l’enfant a trouvé des preuves de niveau 1 et 2 et montre qu’en sport, plus le niveau de jeu est élevé plus le risque de blessure au pubis augmente. En adéquation avec cette découverte, nous avons trouvé une influence significative du groupe d’âge dans l’équipe lors de l’analyse des facteurs de risque dans cette étude. Seuls les joueurs dans le groupe d’âge plus jeune étaient touchés. Ce risque doit résulter d’une intensité à l’entrainement plus importante et lors des matchs joués, ainsi que du nombre croissant d’heures d’entrainement.

Le fait que ces blessures arrivent pour la plupart dans la première moitié de saison conforte cette supposition. Des recherches antérieures ont montré que l’âge en lui-même n’est pas un facteur de risque significatif chez les joueurs de football.
Ni le poste occupé, ni le score FMS avant blessure n’ont montré d’influence significative sur le développement des symptômes spécifiques de la pubalgie, ce que d’autres études confirment. En plus des facteurs de risque analysées dans cette étude, d’autres travaux montrent que les antécédents de blessures à l’aine, une force réduite des abducteurs et des adducteurs de hanche ainsi que des moins bons niveaux d’entrainement spécifiques au sport sont des facteurs de risque pertinents pour les douleurs pubiennes dans le sport.
De plus dans cette étude, nous avons analysé les facteurs pronostiques potentiels à l’IRM associés à un RTP retardé. Bien qu’un œdème de la moelle osseuse de l’os pubien soit relativement fréquent à la fois chez les joueurs symptomatiques et non symptomatiques, des œdèmes de haut grade sur la classification de Krueger sont significativement plus présents chez les joueurs symptomatiques que chez les asymptomatiques.
Dans cette étude, une association significative entre le grade à l’IRM et le RTP était notée. Selon les résultats de cette étude, les symptômes de pubalgie chronique chez les joueurs avec un grade 1 dureront 3 mois, quand 6 et 12 mois peuvent être attendus pour les grades 2 et 3 respectivement.
Ces constatations devraient aider les cliniciens à conseiller les athlètes footballeurs touchés sur le temps perdu auquel il faudra s’attendre à cause de la blessure.

Réhabilitation

Poursuivre un programme de réhabilitation étendu dans le temps constitue un vrai challenge surtout pour des jeunes athlètes professionnels et ceux qui les accompagnent, c’est-à-dire les entraineurs, les soignants, les agents ou les membres de la famille. Pour cette raison, un diagnostic exact et précoce ainsi qu’une approche thérapeutique efficace sont nécessaires
Jusque-là, les preuves existantes actuelles étaient limitées aux athlètes adultes. Différentes approches thérapeutiques ont été décrites mais peu d’études de niveau 1 ont été publiées récemment, la plupart des articles scientifiques étant des séries rétrospectives, cela rend difficile l’établissement d’une conclusion.

Néanmoins, certains auteurs ont montré la supériorité d’une thérapie conservatrice intensive sur l’arrêt total de la pratique du sport dans une étude de grade 1. De récentes études ont souligné l’importance d’un programme de réhabilitation individualisé, multimodal et progressif, ce qui est le cas dans cette étude.

Il est admis que le renforcement des adducteurs de hanche joue un rôle important dans la réduction de la prévalence et le taux de douleurs au pubis dans le football, un programme de renforcement par niveaux a donc été réalisé ici incluant les Copenahgen Adduction Exercises.

En ce qui concerne les autres voies thérapeutiques, la thérapie par ondes de choc peut être envisagée en plus de l’exercice physique. Cependant, cette voie n’a pas été empruntée dans notre étude pour la sécurité des patients étant donné que les cartilages de croissance peuvent continuer de grandir à l’âge de 16 ans.

Peu d’articles ont été publiés sur l’utilisation d’injections de stéroïdes, avec des niveaux de preuves insuffisants concernant l’efficacité à court et long terme. En effet notre plus grande préoccupation, qui nous garde bien d’utiliser cette thérapie chez des jeunes footballeurs, est le risque de dégénération du tendon voire de rupture qui a été précédemment décrit dans des études de haut grade.

Une autre approche qui ne semble pas porter autant de préjudice au tendon est l’utilisation de PRP par voie écho-guidée, mais cette technique souffre du manque de validité scientifique. Actuellement, seul un rapport de cas est disponible et montre des résultats prometteurs suite à l’injection de PRP pour une tendinopathie distale du muscle droit de l’abdomen et une douleur chronique au pubis.

Quant à la chirurgie, elle devrait être réservée pour un sous-groupe limité de patients qui n’ont pas réussi à progresser grâce à un management conservateur d’au moins 12 mois avec un programme bien mené de réhabilitation. Plusieurs techniques chirurgicales ont été décrites, mais la majorité des études publiées ont un faible niveau de preuve et aucun essai randomisé contrôlé n’a été réalisé.

Return To Play

Les temps de RTP dans le cas de stratégies conservatrices concernant les pubalgies chroniques sont très variables à cause des différences entre les types de sports, les niveaux dans le sport pratiqué, les sévérités cliniques et les méthodes de traitement analysées dans les études. De plus, les données disponibles sont limitées aux athlètes adultes.

Limitations

Le fait que la cohorte de patients soit relativement faible est une des limites de cette étude. Également, d’autres facteurs de risque potentiels comme le body mass index (BMI), le gain de taille ou la quantité d’exposition aux entrainements et aux matchs n’ont pas été explorés dans l’étude. De futures études prospectives incluant des cohortes plus larges et des périodes de follow up plus longues sont nécessaires.

Conclusion

La douleur chronique au pubis est une pathologie d’overuse chez les jeunes footballeurs qui résulte en un temps sans entrainement ni match conséquent.
Faire partie du groupe d’âge plus jeune au sein de son équipe est un facteur de risque significatif. Pour éviter l’overuse, la charge d’entrainement devrait être monitorée de façon précise chez ces joueurs.
Quasiment tous les joueurs blessés sont retournés au jeu sans symptômes récurrents après avoir participé à un programme de réhabilitation conservateur criteria-based. Les temps de RTP sont relativement similaires à ceux décrits pour les adultes, le taux de rechute est faible et les résultats ont été excellents lors du follow up de 24 mois.

L'article

« Long-standing pubic-related groin pain in professional academy soccer players: a prospective cohort study on possible risk factors, rehabilitation and return to play »
Helge Eberbach1*, David Fürst‐Meroth1, Ferdinand Kloos1, Magnus Leible2, Valentin Bohsung2, Lisa Bode1, Markus Wenning1, Schmal Hagen1,3 and Gerrit Bode4 BMC Musculoskeletal Disorders (2021) 22:958 https://doi.org/10.1186/s12891-021-04837-x