La psychologie de l’affutage athlétique dans le sport : étude de portée

Jan 30 / Kinesport

Introduction

L’affutage correspond à une réduction progressive de la charge d’entrainement avant une compétition dans l’objectif de réduire la fatigue tout en maintenant les adaptations à l’entrainement ; les performances athlétiques sont alors généralement augmentées de 2 à 3%. Bien que ces changements semblent marginaux, ils font souvent la différence dans le sport d’élite. Par conséquent, la compréhension et l'optimisation de la phase d’affutage sont essentielles à la réussite athlétique et ont fait l'objet d'une attention considérable de la part des chercheurs.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette revue de portée (scoping review) est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
Les recherches sur cette période de réduction de la charge se sont principalement concentrées sur l'identification de la stratégie de récupération optimale ou sur l'identification des variables qui pourraient expliquer les effets de l’affutage sur l'amélioration de la performance. Un grand nombre de variables physiologiques ont donc été étudiées, notamment des facteurs cardiorespiratoires, métaboliques, biochimiques, hormonaux, neuromusculaires et immunologiques. En plus de ces variables physiologiques, les variables psychologiques ont également été proposées comme étant essentielles à la compréhension de l’affutage. En effet, les chercheurs ont examiné l'humeur, la perception de l'effort, le stress lié à la récupération et la qualité du sommeil, et les résultats de ces recherches montrent généralement que ces variables s'améliorent après la réduction de la charge d'entraînement. Il est essentiel de mieux comprendre les changements psychologiques associés à la réduction progressive de l'activité physique afin de garantir une mise en œuvre optimale de la réduction progressive de l'activité physique et de maximiser les performances.

Dans l'ensemble, il n'existe pas de revue systématique et actualisée qui résume la recherche psychologique sur l'affutage et identifie les besoins futurs en matière de recherche. Il s'agit d'une lacune importante dans les connaissances, car il est difficile pour les chercheurs d'étudier de manière optimale la psychologie de l’affutage, ce qui limite la mise en place efficace de cette pratique. C'est pourquoi cette revue de portée a été menée avec trois objectifs. Premièrement, déterminer les caractéristiques (par exemple, les modèles, les participants) de la recherche psychologique portant sur la réduction de la charge d’entrainement. Deuxièmement, résumer les recherches psychologiques sur l’affutage menées auprès d'athlètes et d'entraîneurs adultes. Troisièmement, identifier les lacunes dans la recherche psychologique sur l'affutage et suggérer des domaines de recherche future.

Méthode

La méthode utilisée pour cette revue de portée comprend cinq phases : identification de la question de recherche, identification des études pertinentes, sélection des études, représentation graphique des données, et rassemblement, résumé et communication des résultats. Cet examen a été guidé par les questions suivantes : 
  • Quels types de recherches psychologiques portant sur l’affutage ont été menées dans le sport adulte, avec qui et avec quelles mesures ? 
  • Quelles sont les conclusions de la recherche sur la psychologie de la réduction de la pratique sportive ? 
  • Quelles sont les lacunes dans les connaissances et comment peut-on les combler ?
Les recherches d’articles dans les bases de données électroniques ont été effectuées une première fois le 27 mars 2021, puis une seconde fois le 5 novembre 2021 sur Scopus, Web of Science, PsycArticles, PsycInfo, SportDiscuss et PubMed. Des recherches manuelles dans les revues ont été effectuées pour la première fois le 29 mars 2021, puis à nouveau le 5 novembre 2021, en utilisant la fonction de recherche en ligne sur les sites web des revues.
Les critères d’inclusion pour les études étaient les suivants :
  • Être rédigé en anglais
  • Être des articles originaux évalués par des pairs
  • Examiner les facteurs psychologiques (de façon qualitative ou quantitative)
  • Être mené pendant une période d’affutage ou présenter des résultats faisant référence à l’affutage
  • Avoir des participants athlètes ou coachs de plus de 18 ans
Aucune restriction n'a été imposée quant au type de sport, à la conception de l'étude, à la méthodologie ou à la date de publication.

Les données extraites des études étaient l’auteur, la date de publication, le titre de la revue, l’objectif de l’étude, la conception de l’étude, le nombre de participants (en identifiant les nombre de participants homme et femme), le sport, la durée de l’affutage, la méthode de collecte des données psychologiques, les résultats psychologiques, la conclusion, les points forts et les limites.

Résultats

Un total de 48 articles a été inclu dans cette étude. Ces articles ont été publiés entre 1989 et 2020, avec plus de 75% d’entre eux publiés après 2005. Sur les 1588 participants compris dans ces études, 1548 étaient des athlètes et 40 étaient des entraineurs. Les périodes d’affutage duraient de 2 à 70 jours, mais les durées les plus fréquentes étaient 7, 14 et 21 jours.

8 thèmes ont été développés via l’analyse des articles : l’humeur, la perception de l’effort, la fatigue perçue et le bien-être, la balance récupération-stress, l’affutage comme facteur de stress, la tolérance au stress, la préparation psychologique et la fonction cognitive.

 Humeur

La plupart des recherches (85 %) ont montré que l'humeur s'améliore ou revient à son niveau de base après l'affutage. Cet effet est constant dans tous les modèles de recherche, dans tous les sports et dans tous les niveaux de compétition. Cette amélioration de l’humeur est principalement due à une amélioration de la récupération ainsi que de la fatigue physique et psychologique. Les articles n’ayant pas observé d’amélioration de l’humeur l’expliquent par une période d’affutage trop longue, un surentrainement avant cette période d’affutage, un manque d’exercice aérobie ou encore une évaluation négative de leur performance par les athlètes eux-mêmes. Contrairement aux échelles d’humeur et de la fatigue, l’échelle de tension peut rester élevée pendant et après l’affutage, ce qui peut être expliqué par l’anxiété d’une compétition à venir pour les athlètes. Une autre explication possible est que les différences de niveau sportif influencent l'évaluation des symptômes ; les athlètes moins expérimentés peuvent ne pas avoir les capacités de régulation émotionnelle nécessaires pour évaluer positivement les symptômes physiologiques. Enfin, certaines recherches suggèrent que les différences individuelles comme le sexe influencent les réactions de l'humeur pendant la période d’affutage ; les femmes obtiennent généralement des scores plus élevés sur l’échelle de tension. 

 Perception de l’effort 

Les recherches suggèrent que la perception de l'effort, mesurée par le RPE (Rate of Perceived Exertion), reste inchangée (62%) ou s'améliore (38%) après une réduction de l’entrainement. Cela a été attribué à la récupération physiologique et à une tolérance accrue à un entraînement d'intensité plus élevée. Un RPE inchangé après la réduction progressive des activités pourrait être dû à de faibles niveaux de fatigue avant l’affutage, à une fatigue persistante pendant celui-ci ou à une motivation accrue due à des évaluations positives de la récupération, ce qui entraînerait une augmentation de l'effort (et par conséquent du RPE) pendant l'entraînement. En plus des changements dans le RPE, les études montrent des améliorations significatives de la forme perçue, de l’énergie, de l’éveil cognitif et de la sensation musculaire chez les athlètes pendant et après les périodes d’affutage. Cependant, à cause du nombre restreint de recherches dans ce domaine, de futures études devront confirmer ces résultats. 

 Fatigue perçue et bien-être 

La plupart des articles (78%) ont montré que la fatigue perçue et le bien-être s’améliorent après une période d’affutage. Une faible taille des cohortes ainsi que la présence d’une période de surcharge avant la réduction de l’activité ont pu influencer les résultats des deux études qui n’ont pas rapporté de changements. Les recherches ont aussi montré que la fatigue et le bien-être étaient liées aux variables physiologiques ; l’amélioration de ces deux facteurs lors des périodes d’affutage est corrélée à une augmentation de l’influence du système parasympathique ainsi qu’une diminution des marqueurs physiologiques du stress. 

 Balance récupération – stress 

La plupart des recherches (88%) ont montré que lors de l’affutage, le stress diminue et la récupération s’améliore. Seulement une étude a montré une augmentation du stress et une diminution de la récupération après une réduction partielle de l’activité, mais elle n’a pas proposé d’explications sur la nature de cette différence comparé aux autres études. Ces résultats négatifs pourraient être expliqués par une période d’affutage de 10 semaines (ce qui est supérieur à la majorité des études) qui peut avoir des conséquences psychologiques néfastes et entrainer un burnout. 

 L’affutage comme facteur de stress 

Six études de haute qualité ont indiqué que l’affutage pouvait être une source de stress pour les athlètes, particulièrement dans la transition vers la reprise de l’entrainement. De plus, Hanton et al ont interrogé des athlètes qui pensent qu’un bon départ sur une compétition est un indicateur d’affutage réussit. Ces résultats suggèrent que les athlètes considèrent l’affutage comme un indicateur de performance important pour les compétitions à venir, mais qu’il peut être perçu comme un facteur de stress s’il est mal mené. Ces observations sont aussi partagées par les entraineurs, pour qui la période d’affutage est un moment clé dans la gestion psychologique de l’athlète. Des études supplémentaires ont montré que le comportement des athlètes et des entraineurs change pendant l’affutage, probablement à cause du stress qu’il peut provoquer. Les résultats suggèrent que les athlètes peuvent être sujets à des pensées négatives liées à la performance et que des mécanismes d'adaptation, tels que l’auto-compréhension, peuvent être bénéfiques pour gérer ces pensées.

 Tolérance au stress 

75% des études ont montré que les sources de stress demeurent inchangées bien que les symptômes du stress diminuent. Durant l’affutage, les athlètes font face aux mêmes facteurs de stress mais à une intensité moins importante ou arrivent mieux à s’adapter et donc à diminuer leurs symptômes. En revanche, les recherches ayant examiné la relation entre la tolérance au stress et les variables physiologiques ont montré des résultats variés, et de futures études devraient être menées sur le sujet. 

 Préparation psychologique 

Les résultats suggèrent que l’affutage permet de préparer psychologiquement les athlètes à une compétition. Il permettrait d’amener l’athlète dans un état psychologique optimal, même si cet état n’a pas été clairement défini et qu’il peut varier selon les sports et les individualités. Une étude a identifié la confiance, l'honnêteté de l'entraîneur, les compliments appropriés, la présence pour l'athlète et la confiance mutuelle comme des facteurs importants pour s'assurer que les athlètes sont psychologiquement préparés pendant la période d'affutage. 

 Fonction cognitive 

Le seul article ayant étudié la fonction cognitive a montré que celle-ci s’était améliorée après 1 semaine d’affutage. Cependant, la nature expérimentale de l'étude combinée à la petite taille de l'échantillon et au niveau de compétition relativement bas des participants entraine une faible validité des résultats.

Discussion

Les recherches sur les 8 thèmes détaillés précédemment suggèrent que l'affutage est associé à des améliorations de l'humeur, de la perception de l'effort, de la fatigue et du bien-être perçus, de la balance récupération-stress, des symptômes de stress et du fonctionnement cognitif. Cependant, les résultats suggèrent également que les différences contextuelles et individuelles peuvent influencer de façon significative les résultats psychologiques pendant la période d'arrêt. Par exemple, le sexe et l'anxiété peuvent influencer les réponses de l'humeur, la tension peut rester élevée pendant la période d'affutage (ce qui peut indiquer une anxiété de performance) et les changements dans la perception de l'effort peuvent varier d'un sport à l'autre. Dans l'ensemble, cette revue suggère que l’affutage a des effets psychologiques variés sur les athlètes et les entraîneurs, qui sont influencés par des variables contextuelles et individuelles. Cependant, bien que cette revue mette en évidence l'étendue et la profondeur de la recherche psychologique sur l’affutage, il existe plusieurs limites associées à la base de données actuelle et, par conséquent, de nombreuses questions restent sans réponse.

Les résultats de l'étude actuelle suggèrent que, bien qu'elle soit étudiée depuis 30 ans, la psychologie de la réduction progressive de l’entrainement n'a pas fait l'objet de recherches suffisantes. Le développement de connaissances psychologiques n'a souvent pas été l'objectif principal des chercheurs, ce qui est confirmé par le choix des mesures utilisées, qui sont généralement cohérentes avec le suivi de l'entraînement plutôt qu'avec la psychologie. Les chercheurs pourraient mener des recherches exploratoires sur la psychologie de l'affutage dans deux domaines clés. Premièrement, ils pourraient développer une compréhension inductive de la psychologie de l'arrêt de la compétition en utilisant des entretiens semi-structurés pour explorer l'expérience psychologique des athlètes et des entraîneurs. Deuxièmement, ils pourraient s'appuyer sur les nouveaux résultats existants synthétisés par cette revue. Par exemple, les chercheurs pourraient identifier les sources de confiance ou de stress pendant la période d'arrêt chez les athlètes et les entraîneurs à l'aide d'entretiens semi-structurés ou de groupes de discussion. De plus, ils pourraient examiner longitudinalement comment la confiance, l'anxiété et les fluctuations de la performance avant et pendant la phase d'affutage influencent celle-ci avant une compétition réelle.

De nombreuses questions restent sans réponse, comme la manière dont les variables psychologiques fluctuent pendant la période d'affutage, la manière dont les variables psychologiques interagissent et s'influencent mutuellement pendant la période d'arrêt, et la manière dont les états psychologiques avant l’affutage influencent les états psychologiques pendant la période d'arrêt. De même, on sait peu de choses sur la manière dont la surveillance de la fatigue perçue peut être utilisée pour affiner en temps réel la réduction progressive de l'effort, et l'impact que cela a sur la performance et les états psychologiques optimaux des athlètes. La recherche pourrait donc développer et tester un protocole qui utilise la fatigue perçue pour modifier la charge d'entraînement et examiner l'impact que cela a sur les variables psychologiques (par exemple, la confiance) et la performance.

Les recherches psychologiques identifiées dans le cadre de cette étude se sont principalement concentrées sur les athlètes masculins, une seule étude ayant été menée auprès d'entraîneurs et aucune auprès d'athlètes handicapés. Cela représente une lacune importante dans les connaissances, car il a été démontré que le sexe influence les variables psychologiques pendant la réduction progressive de l'entraînement, que les entraîneurs peuvent être sensibles au stress pendant la réduction progressive de l'entraînement, et que la réduction progressive de l'entraînement est importante dans les sports pour handicapés, car les athlètes peuvent être susceptibles de se surentraîner ou de s'entraîner de manière incohérente. Par conséquent, il est nécessaire d'inclure des populations plus diversifiées dans ce domaine de recherche.

Enfin, aucune recherche interventionnelle n'a été identifiée dans le cadre de cette étude. Par conséquent, l'efficacité et l'efficience des stratégies visant à améliorer les performances et les résultats psychologiques des athlètes adultes au cours de la période d'arrêt restent inconnues. L'absence de recherche sur les interventions est probablement due à un manque de compréhension des variables psychologiques qui sont importantes pendant la période d'arrêt. Les recherches futures devraient commencer à examiner l'impact des interventions psychologiques pendant la période d'arrêt, en utilisant potentiellement les résultats de recherche futurs susmentionnés comme base théorique. Plus précisément, les chercheurs pourraient explorer l'impact de l'auto-évaluation ou des interventions basées sur le biofeedback sur la performance et l'état psychologique des athlètes avant ou pendant l'arrêt de la compétition.

Conclusion

Cette étude représente le premier examen rigoureux et transparent de la recherche psychologique portant sur l'affutage et apporte une contribution significative à la littérature de trois façons. Tout d'abord, il s'agit de la première étude à mettre en évidence les principales caractéristiques de la recherche psychologique sur l’affutage, offrant ainsi un nouvel aperçu des types de recherches menées et des personnes avec lesquelles elles sont menées. Deuxièmement, cette étude s'appuie sur la compréhension actuelle de la recherche psychologique sur l'affutage et l'élargit en fournissant un résumé actualisé et critique de la recherche psychologique actuelle et émergente. Troisièmement, il s'agit de la première étude à considérer la littérature dans son ensemble et à proposer des orientations de recherche futures pour faire avancer le domaine. Dans l'ensemble, cette revue de la littérature a mis en évidence le manque de recherches sur la psychologie de l'affutage et la nécessité d'une recherche ciblée qui pose des questions plus complexes à des populations diverses.

Référence article

Stone MJ, Knight CJ, Hall R, Shearer C, Nicholas R, Shearer DA. The Psychology of Athletic Tapering in Sport: A Scoping Review. Sports Med. 2023 Apr;53(4):777-801. doi: 10.1007/s40279-022-01798-6. Epub 2023 Jan 25. Erratum in: Sports Med. 2023 Feb 18;: PMID: 36696042; PMCID: PMC10036416.