Comment mieux diagnostiquer et traiter les atteintes du ligament deltoïde dans l’instabilité chronique de cheville ?

May 2 / ARNAUD BRUCHARD - ⏱️ 7 MIN -
Introduction : l’autre versant de l’instabilité chronique de cheville
L’instabilité chronique de cheville (CAI – Chronic Ankle Instability) est une problématique bien connue des cliniciens du sport. On y associe volontiers des lésions des faisceaux latéraux, notamment du ligament talofibulaire antérieur. Pourtant, malgré des protocoles bien conduits, certains patients continuent de se plaindre de douleurs, d’instabilité ou d’une sensation de “cheville molle”, sans amélioration significative.

Et si le problème ne venait pas (ou pas seulement) du compartiment latéral ?

C’est la question que pose — et documente — une revue systématique parue en 2025 dans Foot & Ankle Orthopaedics. Signée Anderson et al., elle propose un tour d’horizon complet des atteintes chroniques du ligament deltoïde, ce stabilisateur médial longtemps resté dans l’ombre des protocoles de traitement​

Comprendre le rôle du ligament deltoïde : un stabilisateur complexe et souvent ignoré

Le ligament deltoïde est une structure composite, composée de deux couches distinctes :

Une couche superficielle, en éventail, stabilisant les articulations tibiotalienne, subtalaire et talo-naviculaire.

Une couche profonde, plus courte, divisée en deux faisceaux (antérieur et postérieur) traversant l’articulation tibiotalienne.

Son rôle ? Limiter le valgus talien, la rotation axiale excessive, et absorber les contraintes rotatoires. En clair : c’est un véritable frein médial, particulièrement actif lors des mouvements de pronation, d’éversion ou de torsion.

Lorsque le deltoïde est lésé — qu’il s’agisse d’un traumatisme isolé ou d’une atteinte secondaire à une instabilité latérale chronique — la stabilité globale de l’articulation est menacée. Le talus peut glisser vers l’avant, pivoter excessivement, et provoquer une instabilité persistante… que l’on attribue souvent à tort à une récidive d’entorse “classique”.

 La revue : méthodologie et objectifs

La revue d’Anderson et al. a analysé 9 études cliniques, représentant 516 patients souffrant d’instabilité chronique de cheville avec suspicion ou preuve d’atteinte du ligament deltoïde. Seuls les cas de plus de 6 mois d’évolution ont été inclus, excluant ainsi les lésions aiguës.

Les objectifs étaient clairs :

  • Identifier les signes cliniques évocateurs.
  • Évaluer la pertinence des examens d’imagerie.
  • Décrire les techniques opératoires utilisées.
  • Analyser les résultats fonctionnels postopératoires.

Présentation clinique : quand faut-il suspecter une atteinte médiale ?

La douleur médiale de cheville est le symptôme le plus fréquemment rapporté. Elle se localise souvent en avant ou en dessous de la malléole médiale, dans la gouttière médiale, et peut être isolée ou associée à une sensation de dérobement. Dans certains cas, une déformation en valgus du talon est observable, révélant une perte de tension ligamentaire médiale.

Mais l’examen clinique reste piégeux. Plusieurs tests peuvent aider :

  • Drawer test + douleur médiale localisée : suggère une atteinte mixte.
  • Tilt test en valgus comparatif : recherche une laxité médiale.
  • Palpation précise du faisceau profond (pDPTL) : souvent douloureux s’il est lésé.

La difficulté vient du fait que ces signes sont souvent interprétés à tort comme résiduels d’une entorse latérale, retardant le bon diagnostic.

Imagerie : ce que montrent (et ce que ne montrent pas) les examens

 Radiographies simples et de stress
Elles restent un point de passage incontournable, notamment pour :

  • Mesurer l’angle de tilt talien
  • Apprécier la translation antérieure du talus

Mais leur valeur diagnostique isolée est limitée. Un tilt ≥ 2° ou une différence > 10° entre les deux chevilles est parfois utilisé comme critère d’instabilité médiale, mais sans consensus fort.

 IRM
L’IRM permet une analyse fine de la structure du ligament deltoïde :

  • Hypersignal en T2
  • Perte de striation
  • Discontinuité ou épaississement

Dans l’étude, 62 % des patients avec CAI présentaient une atteinte du deltoïde sur l’IRM, avec une prédominance du faisceau profond postérieur. Pourtant, de nombreux patients n’avaient pas de symptômes cliniques évidents, ce qui invite à rester prudent dans l’interprétation.

 Arthroscopie
C’est le gold standard diagnostique. Elle permet :

  • Une évaluation directe de la tension ligamentaire
  • La mise en évidence du “drive-through sign” (passage d’un crochet > 2,9 mm dans la gouttière médiale)
  • L’observation de décollements, ruptures ou fibroses

C’est également un temps opératoire fréquent dans la prise en charge.

Traitement chirurgical : de plus en plus codifié

Parmi les patients opérés dans les études analysées :

  • 199 ont eu une réparation du deltoïde
  • 87 % par ancrages ligamentaires
  • 12 % par tunnels osseux
  • Certains cas avec autogreffes (plantaris, semitendinosus)

Une approche combinée (ligaments latéraux + médiaux) est privilégiée dans les cas complexes. Certaines équipes associent même une ostéotomie calcanéenne pour réaligner l’appui.

L’apport d’un Internal Brace™ dans les cas à haute exigence (sportifs, hyperlaxité, récidives) semble améliorer la reprise fonctionnelle rapide.

Résultats post-opératoires : des gains nets de stabilité

Les patients opérés de manière adéquate présentent :

  • Une réduction significative de la douleur (VAS)
  • Une amélioration des scores AOFAS (de 43 à 92 en moyenne)
  • Un retour au sport dans la majorité des cas (jusqu’à 100 % dans certaines séries)

Ces résultats plaident pour une reconnaissance accrue des atteintes médiales, souvent sous-diagnostiquées dans les instabilités chroniques.

CONCLUSION

 repenser notre approche de l’instabilité chronique
Cette revue systématique pose les bases d’une réhabilitation du rôle du ligament deltoïde dans la stabilité de la cheville. Elle montre que :

  • L’instabilité n’est pas que latérale.
  • La douleur médiale doit alerter.
  • L’arthroscopie a une valeur diagnostique essentielle.

Une prise en charge combinée donne de meilleurs résultats fonctionnels.

En tant que kinés du sport, nous devons intégrer cette vision plus globale dans notre raisonnement. Cela implique un dépistage systématique des signes médiaux, une lecture éclairée de l’IRM, et une communication étroite avec les chirurgiens dans les cas complexes.

Une cheville stable est une cheville vue à 360°.

L'ARTICLE

Anderson A, McLellan M, Kim R, Noori N.
Diagnosis and Management of Deltoid Ligament Injuries in Chronic Ankle Instability: A Systematic Review.
Foot & Ankle Orthopaedics. 2025;10(1):1-9.
https://doi.org/10.1177/24730114251323903