Obstacles perçus lors de la pratique de l’entrainement sous restriction vasculaire (BFR).

Kinesport
L'entraînement en BFR (Blood Flow Restriction: restriction partielle du flux artériel, et restriction totale du flux veineux) gagne en popularité dans les milieux de la remise en forme et de la réadaptation en raison de son rôle dans l'optimisation de la masse et de la force musculaire ainsi que dans l’optimisation de la capacité et de la fonction cardiovasculaire, notamment. Cependant, malgré l'intérêt pour ce domaine de recherche, les praticiens doivent probablement surmonter certains obstacles pour mettre en œuvre cette modalité de manière efficace dans la pratique. Ces obstacles comprennent la détermination des pressions d'entraînement en BFR, l'accès à des technologies d'entraînement en BFR appropriées pour les groupes démographiques pertinents sur la base des preuves actuelles, une approche complète et systématique du dépistage médical pour une pratique sûre, et aussi des stratégies pour atténuer les exigences perceptives excessives de l'entraînement en BFR afin de favoriser l'observance à long terme.
Ce manuscript, proposé en synthèse traduction, tente de discuter de chacun de ces obstacles et fournit des stratégies fondées sur des preuves et une orientation pour guider la pratique clinique et les recherches futures.

Évaluation des pressions d’entrainement sous BFR

Récemment, Patterson et al.  ont proposé des directives d'application recommandant l'utilisation de la pression d'occlusion artérielle (ou pression d'occlusion des membres, LOP) dans tous les contextes de recherche et de pratique afin de normaliser l'application des pressions d'entraînement au BFR. La LOP est généralement définie comme la pression minimale appliquée nécessaire pour occlure complètement à la fois l'entrée artérielle et le retour veineux pour un brassard donné à un moment donné de la journée dans une position corporelle donnée. La LOP peut être établie rapidement et de manière fiable en utilisant l'échographie Doppler ou des capteurs de pression intégrés dans plusieurs dispositifs disponibles dans le commerce. Des preuves récentes soutiennent également l'utilisation de l'oxymétrie de pouls pour déterminer l'occlusion sanguine complète dans les membres supérieurs, bien que des preuves contradictoires existent pour les membres inférieurs. Il a également été démontré que l'oxymétrie de pouls est influencée par l'ethnie, ce qui limite sa généralisation en dehors des ethnies caucasiennes.

Après avoir déterminé la LOP, l'étape suivante consistera toujours à décider quel pourcentage de la LOP sera utilisé pour l’entrainement BFR du jour.

Les recommandations typiques pour les pressions de BFR par rapport à la LOP sont égales à 40-80% de la LOP pour effectuer un entrainement BFR.
D'un point de vue perceptif, des degrés plus élevés d'inconfort et/ou de douleur musculaire induite par l'exercice ont été associés à des pressions appliquées plus élevées et pendant la période d'application initiale elle-même; par conséquent, bien que des pressions appliquées plus élevées puissent être optimales pour un objectif donné, les praticiens doivent être conscients de ces exigences perceptives, car elles peuvent avoir une incidence sur la conformité à l'intervention. Ainsi, commencer les soins avec des pressions physiologiquement sous-optimales peut être une stratégie utile pour exposer progressivement les client(e)s ou patient(e)s aux exigences perceptuelles nécessaires pour obtenir une adaptation à l'exercice.

Outils pour la pratique du BFR

Il existe actuellement plusieurs technologies de brassards disponibles pour mettre en œuvre le BFR dans la pratique, ce qui peut rendre difficile pour les praticiens de décider non seulement lesquelles sont les plus efficaces pour induire les adaptations d'entraînement souhaitées, mais aussi les caractéristiques de sécurité potentielles pour minimiser le risque d'événements indésirables. Les praticiens pratiquant le BFR peuvent surmonter cet obstacle en comprenant les différentes technologies de BFR actuellement disponibles sur le marché. Celles-ci peuvent être classées de manière générale comme des garrots qui peuvent être définis comme pneumatiques (brassards pneumatiques automatiques autorégulés, automatiques ou manuels) ou non pneumatiques tels que les bandes élastiques. Ces dernières ne sont pas adaptées aux populations cliniques étant donné qu'elles ont la capacité de sous-estimer ou de surestimer les pressions appliquées dans les membres jusqu'à 25% sur une base quotidienne. Cela soulève quelques inquiétudes quant à la fiabilité de cette approche lorsqu'on travaille avec des personnes qui peuvent avoir besoin d'un contrôle plus précis du stimulus du BFR. Les praticiens opérant dans un cadre de soins de santé devraient se tourner vers d'autres approches qui fournissent un stimulus plus objectif et reproductible. Malgré des différences marquées dans les pressions d'interface entre le manchon et le membre, une grande variété de dispositifs de BFR ont montré des gains favorables en termes de taille et de force musculaire. Une méta-analyse récente a rapporté une augmentation de 7 % de la masse musculaire et de 14 % de la force après 4 à 16 semaines d'entraînement au BFR. Lors d'une analyse de sous-groupe, Lixandrão et al. ont constaté que les pressions appliquées, la largeur du brassard et la prescription de la pression (individualisée ou arbitraire) n'influençaient pas les adaptations musculaires après l'entraînement - ce qui soutient l'utilisation de plusieurs dispositifs différents pour induire des gains de masse et de force musculaires pendant l'entraînement au BFR. Cependant, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si tous les dispositifs (brassards pneumatiques automatiques autorégulés, automatiques, manuels ou enveloppes pratiques) entraînent des adaptations à long terme similaires.
Les technologies autorégulées automatiques peuvent être mieux adaptées aux clients postopératoires et fragiles dont les systèmes hémodynamique et cardiovasculaire peuvent être plus compromis, car les preuves montrent des réponses potentiellement exacerbées avec l'exercice ischémique.
Sur la base des preuves actuelles, les brassards pneumatiques manuels sont peut-être mieux adaptés aux populations pour lesquelles les fluctuations potentiellement importantes des réponses hémodynamiques/perceptives ne sont pas aussi préoccupantes compte tenu de la prescription d'exercices d'entraînement de BFR appropriés.

Sécurité lors de l’utilisation de BFR

Les trois principaux sujets de préoccupation liés à l'entraînement BFR identifiés dans la littérature sont les thromboembolismes veineux (VTE), les réponses hémodynamiques/cardiovasculaires potentiellement excessives et les dommages musculaires excessifs.

Comprendre ce que la littérature disponible a démontré concernant ces préoccupations est primordial pour une utilisation sûre du BFR et aidera les praticiens à manipuler des variables telles que la charge, la pression, l'effort et le volume pour améliorer le profil de sécurité.

  • Thromboembolismes veineux (VTE)
La question de savoir si l'exercice avec BFR augmente ou non le risque de formation de VTE est probablement le problème de sécurité le plus étudié à ce jour et une préoccupation majeure pour les personnes se remettant d'une chirurgie orthopédique. Dans les 6 semaines suivant une chirurgie orthopédique, on estime que le risque de VTE est multiplié par 100  en raison de la combinaison de "dommages endothéliaux" et de la "stase" : deux des trois composants de la triade de la triade de Virchow. Cependant, les données actuelles suggèrent que l'utilisation d'un garrot en chirurgie ("stase") ne semble pas amplifier ce risque. Étant donné que pendant une chirurgie orthopédique il peut y avoir une occlusion complète jusqu'à 120 min, ces données prospectives devraient réduire les inquiétudes quant au risque de contracter un VTE pendant ou après l'application d'une pression sub-occlusive brève (5-20min) lors d'un exercice de BFR. À ce jour, aucune étude n'a fourni de preuve que l'exercice BFR amplifie les marqueurs associés au système de coagulation.
  • Hémodynamique
L'exercice de BFR étant de plus en plus utilisé en milieu clinique, les praticiens doivent avoir une connaissance pratique de la façon dont l'intervention influence l'hémodynamique. Le réflexe de pression à l'exercice (EPR) joue un rôle important dans l'élévation de la pression sanguine et de la fréquence cardiaque en réponse à l'exercice. L'entraînement au BFR influence probablement à la fois le côté mécanique et métabolique de l'EPR en raison de la compression du membre par le manchon (mécanique) et de la restriction du retour veineux stimulant les afférences III-IV (métabolique).
Les populations présentant des comorbidités telles que l'hypertension, l'obésité et le diabète peuvent présenter des réponses EPR altérées pendant l'exercice. Des études ont tenté de comparer la réponse hémodynamique à l'exercice BFR à un entraînement de force à charge lourde pour déterminer le profil de sécurité relatif. Les résultats sont quelque peu contradictoires en ce qui concerne la conception des études (c.-à-d, pressions arbitraires vs. LOP), mais ils indiquent que l'exercice de résistance BFR a la capacité d'augmenter la réponse hémodynamique à des niveaux similaires, voire supérieurs, chez des sujets sains et hypertendus. Une revue systématique récente a conclu que malgré ces élévations de l'hémodynamique, les réponses semblent se situer normales et tolérables, même pour les personnes présentant des comorbidités médicales.

De plus, l'atténuation des augmentations excessives de l'hémodynamique induites par l'exercice peut probablement être partiellement atténuée en appliquant le BFR par intermittence (19) plutôt que de manière continue comme dans les recommandations de pratique standard du BFR.

  • Dommage Musculaire / Rhabdomyolyse
Il convient d'indiquer clairement que le simple fait d'utiliser une charge légère et de ne pas provoquer de perturbation mécanique de la myofibre n'élimine pas le risque de dommages musculaires avec l'entraînement BFR. Ceci est corroboré par le fait qu'il y a au moins quatre cas de rhabdomyolyse associés à l'intervention dans la littérature. La rhabdomyolyse est définie comme la libération excessive de créatine kinase et de myoglobine musculaire dans la circulation sanguine à la suite d’un dommage musculaire induit par un exercice excessif mais pas toujours. Ces cas de rhabdomyolyse ont été rapportés en utilisant une variété de brassards et de prescriptions de pression. Il semble qu'un exercice de BFR chez un patient non habitué, les caractéristiques du participant et/ou les prescriptions initiales du praticien sont les principaux facteurs qui influencent les événements indésirables majeurs négatifs pendant l'entraînement de BFR, et pas nécessairement la conception du brassard lui-même.

Une approche universelle qui pourrait être déployée est avec un exercice effectué de façon progressif dans l'effort/intensité, ce qui est probablement la meilleure pratique pour promouvoir une mise en œuvre sûre.
Le suivi des marqueurs indirects des dommages musculaires, tels que les DOMS, la perte d'amplitude de mouvement, la perte de force et l'œdème, devrait également être utilisé pour identifier le moment où il convient de faire progresser l'exercice de manière plus conservatrice. Combiné à un raisonnement clinique solide et à des principes d'intégration, le risque de dommages musculaires excessifs peut probablement être atténué.

Screening médical pour l’entrainement BFR

Dans cette section, les auteurs proposent un nouvel modèle sous la forme d’un “entonnoir” (cf figure 1 ci-dessous) et une procédure de dépistage de l’entrainement BFR pour aider à surmonter les hésitations des praticiens à intégrer cette modalité dans la pratique. Bien que le screening doit être effectué avant chaque séance, les quelques premières expositions au BFR comportent probablement le plus grand risque d'événements indésirables. La réalisation d'un examen subjectif approfondi et d'antécédents médicaux incluant, mais sans s'y limiter, tout antécédent de maladie cardiovasculaire, de caillots, de troubles de la coagulation ou de rhabdomyolyse est pertinente et peut influencer considérablement le processus de décision clinique. En plus de l'examen subjectif, l'examen objectif doit comprendre la mesure de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque au repos et à l'effort, ainsi que tout signe ou symptôme de VTE. Cependant, Les praticiens seront confrontés à des antécédents médicaux et à des des présentations cliniques pour lesquelles il sera impossible de stratifier le risque si l'on se base uniquement sur le corpus actuel de la littérature. Par conséquent, il peut être utile d'avoir un cadre permettant une décision raisonnée et fondée sur des preuves.
  • Étape 1a: Problématique de mise en charge du patient

Il existe 2 portes d’entrées au BFR: une problématique de mise en charge, ou une problématique de douleur. Différentes problématiques qui peuvent empêcher la mise en contrainte du patient via le renforcement musculaire classique: post opératoire, maladies cardio-vasculaires, peur ou inexpérience du patient, manque de matériel. Si, pour quelque raison que ce soit, le praticien se retrouve devant une situation d’impossibilité de mise en contrainte du patient via le renforcement musculaire classique, alors le BFR est une alternative.

  • Étape 1b : Problème de douleur.

La seconde porte d’entrée possible est la douleur. De nombreuses études ont montré par le passé des effets positifs du BFR sur la douleur. L'utilisation de l’entrainement avec BFR dans le but spécifique de réduire la douleur dans une articulation ou un membre douloureux de manière thérapeutique, ou comme moyen de créer une possibilité de résultats presque similaires à la charge lourde, chez des patients douloureux, semble raisonnablement défendable.

  • Étape 2 : Caillot Sanguin.


Pour cette étape indispensable du screening pour la pratique du BFR, la figure ci-dessous résume l’algorithme décisionnel à suivre pour exclure de la pratique du BFR tout patient à risque.
  • Étape 3 : Hémodynamique


Cette section de l'entonnoir repose en partie sur des mesures objective. Les praticiens ne doivent pas mettre en œuvre le BFR sans sans vérifier la tension artérielle afin de s'assurer que leur client/patient est apte à faire de l'exercice. Un certain nombre d’études (25-29) proposent des recommandations pour savoir quand éviter l'entraînement contre résistance ou alors avec des seuil d'arrêt basé sur les réponses hémodynamiques intra-exercice chez les personnes normotendues et hypertendues. Une attention particulière est accordée à Sabbahi et al. (28), et Severin et al. (29), car ces recommandations fournissent un contexte et une nuance supplémentaires à la discussion sur les réponses de la pression sanguine en fonction de l'âge, du sexe et du statut d'hypertension. Les mêmes recommandations devraient être être suivies avec l'exercice BFR. Mesurer la LOP à chaque visite et et enregistrer cette information ainsi que la durée de la pression appliquée à un ou plusieurs membres est également pertinente, bien que la LOP ne change pas de façon significative quotidiennement chez la plupart des individus si l'on fait de l'exercice à un moment similaire de la journée.

  • Étape 4 : Considérations d’activité physique


À cet endroit de l'entonnoir, les praticiens doivent prendre fortement en considération l'historique récent d'activité physique du patient. Il est fréquent que les personnes qui se présentent à la rééducation soient déconditionnées depuis des mois ou même complètement étrangères à toute forme de renforcement musculaire. Les praticiens doivent donc examiner les antécédents récents en matière d'activité physique (en mettant l’accent sur le renforcement) et faire preuve d'une grande prudence lorsqu'ils augmentent l'effort et le volume des exercices si le patient a été sédentaire pendant 6 mois ou plus.
La prise en compte des antécédents en matière d'exercice peut façonner de manière significative les premières semaines d'intégration de l'entraînement BFR tout en minimisant le risque d'événements indésirables.

  • Étape 5 : Histoire médicale supplémentaire liée à l’utilisation de garrot.

Les praticiens sont souvent confrontés à des diagnostics qu'ils ne connaissent pas ou qui soulèvent immédiatement des inquiétudes lorsqu'ils envisagent le BFR. Certaines études ont publié des listes de contre-indications qui peuvent servir de références de qualité (30, 31), même ces listes semblent inclure arbitrairement des diagnostics/conditions qui n'ont pas de support empirique, ou qui, en raison de la nature de l'affection, n'offrent que peu ou pas de probabilité que des données empiriques soient recueillies pour les soutenir ou les réfuter. Quoi qu’il en soit, les praticiens BFR doivent prendre en considération tous les aspects de la condition, ainsi que les preuves disponibles dans la littérature, pour arriver à prendre une décision raisonnée.

  • Étape 6 : Consulter un médecin / un spécialiste

Il est recommandé de consulter le prescripteur pour toujours valider l’autorisation de la pratique du BFR avec le patient. La nouveauté du BFR se prête à des questions de sécurité, et les praticiens doivent toujours faire preuve de prudence. En fin de compte, la décision d'utiliser le BFR devrait être un processus partagé qui accorde la plus haute priorité aux objectifs et aux souhaits du patient. Il incombe au praticien d'identifier les risques à présenter aux patients de façon impartiale, et, le cas échéant, de demander conseil à des sources de référence et à ceux qui qui ont plus d'expérience de la pratique du BFR.

Comprendre l’importance de l’effort lors de la pratique du BFR

Une fois que le praticien a décidé que le BFR peut être une intervention valable et qu'un examen médical adéquat et un processus de prise de décision ont été entrepris pour estimer que le patient est sûr pour effectuer le BFR, il est aussi important de comprendre comment les demandes perceptuelles sont élevées lors de l'entraînement au BFR afin d'augmenter l'adhésion à long terme à l’entrainement BFR. Les praticiens BFR doivent garder en tête le rôle que jouent les efforts importants dans l'amélioration de l’entrainement en renforcement musculaire et être capable de programmer efficacement les sessions d'entraînement BFR afin de réduire les réponses perceptuelles excessives afin de favoriser la conformité à long terme de l'entraînement BFR. De bonnes connaissances en entrainement et préparation physique sont donc nécessaires pour obtenir des résultats optimaux.

CONCLUSION

Les auteurs dans ce papier ont essayé de discuter et d’analyser les solutions EBP et PBE pour répondre aux questions pratiques que peuvent se poser les utilisateurs de BFR.
La proposition d’un “tunnel”, basé sur les preuves, pour le screening initial, ainsi que d’un arbre décisionnel concernant le risque de VTE, sont des nouveautés pour essayer de d’apporter une proposition d’uniformisation des pratiques en terme de sécurité pour la pratique du BFR dans le monde.

L'ARTICLE

Rolnick N., Kimbrell K., Cerqueira M., Weatherford B., Brandner C. Perceived Barriers to Blood Flow Restriction Training. Frontiers in Rehabilitation Sciences (2021). https://doi.org/10.3389/fresc.2021.697082