Association entre les items du Landing Error Scoring System (LESS) et le taux d’incidence d’une fracture de fatigue du membre inférieur

Kinesport
La blessure du membre inférieur résulte la plupart du temps d’un excès de charge sur une structure (ligaments, ménisques/cartilage, os), en raison de patterns de mouvement non adaptés, et ce, principalement chez des populations particulièrement actives comme les athlètes ou le personnel militaire par exemple. Globalement, les patterns de mouvement peuvent influencer l’amplitude de la charge et la déformation appliquée au tissu, ce qui contribue au risque de blessure et jouent un rôle critique lors du mécanisme lésionnel.

Les fractures de fatigue du membre inférieur représentent une cause majeure de morbidité chez ces populations actives, résultant en un time-loss significatif à l’entrainement et en compétition. Chez les militaires, le risque de fracture de stress est particulièrement important chez les nouvelles recrues qui subissent un entrainement physique de haute intensité, occasionnant un stress nouveau sur le membre inférieur, et pouvant aboutir à une blessure.
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Cette étude de cohorte est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
De façon spécifique, l’augmentation des forces de réaction du sol ont été associées aux fractures de fatigue du membre inférieur, et les entrainements neuromusculaires qui réduisent cette force de réaction du sol sont ciblés, dans le cadre des programmes de prévention. Certains patterns créant davantage de contraintes tibiales sont ainsi discriminants dans des populations de coureurs quant au risque de fracture de stress.

Le Landing Error Scoring System (LESS) est un outil d’évaluation clinique standardisé utilisé pour identifier des patterns de mouvements impropres pendant une tâche de saut/réception de saut, et a l’avantage de ne nécessiter aucun équipement coûteux concernant l’analyse du mouvement. Ses items peuvent de façon fiable et valide évaluer la biomécanique de saut et de réception avec une bonne fiabilité inter et intra-examinateur. Il ne nécessite que des caméras vidéo standards et des tripodes, environ 60 à 90 secondes de testing par participant et environ 5 minutes pour scorer la vidéo du participant.
La faculté à identifier, de façon efficace et prospective, les facteurs de risque biomécaniques du membre inférieur associés à une blessure future dans des populations importantes est un premier pas essentiel dans le développement et l’implémentation de programmes efficaces de screening et de prévention, chez les populations les plus à risque.
L’objectif de l’étude est donc de déterminer si des patterns de base, évalués par le LESS, sont associés à un taux d’incidence futur de fracture de stress du membre inférieur dans une population de cadets de l’armée.

Méthodes

Il a été réalisé une étude de cohorte prospective en utilisant un screening de mouvements collecté chez des cadets qui entraient à la United States Military Academy (USMA) à Westpoint entre 2005 et 2008.
Les cas de fractures de stress étaient identifiés via un système électronique de surveillance active pendant une période de follow-up de 4 ans et vérifiés par une équipe médicale spécialisée en médecine du sport et habituée au LESS, grâce à un examen clinique et à l’imagerie.

 Participants à l’étude

L’étude mère avait enrôlé des cadets militaires, hommes et femmes, entre 2005 et 2008, qui étaient tous en parfaite santé physique au moment de l’étude, tous ayant réussi les épreuves physiques d’entrée de l’USMA. 

 Collection des données

Au moment de l’enrôlement dans l’étude, tous les participants avaient dû remplir un questionnaire de référence qui contenait des informations démographiques, des informations concernant les antécédents de blessure aux membres inférieurs et un historique des activités physiques effectuées auparavant. Il était demandé spécifiquement si des antécédents de fracture de stress aux membres inférieurs existaient avant d’entrer à l’USMA. Tous les participants ont effectué l’évaluation en utilisant les mêmes vêtements, à savoir un short, un t-shirt et des runnings identiques. Tout le testing a été réalisé dans les 4 semaines après admission à l’académie. 

 Tâche de saut/réception de saut

Les participants ont réalisé un mouvement de saut/réception standardisé impliquant un saut vers l’avant depuis une plateforme de 30 cm jusqu’à une distance égale à 50% de la taille du participant. Il leur était demandé de sauter droit devant eux en minimisant la verticalité du mouvement. Après réception, les participants devaient immédiatement rebondir pour chercher à effectuer un saut vertical avec un maximum de hauteur, l’intégralité de la tâche devant se faire dans le même temps.
Deux caméras vidéo standards étaient positionnées pour couvrir le plan frontal et le plan sagittal pendant le mouvement.
Avant le testing, les participants avaient le droit à deux essais pour se familiariser avec la tâche. Pour le testing, les participants ont réalisé 3 essais distincts avec 30 secondes de repos entre chaque essai.
Les vidéos étaient analysées ensuite pour repérer la présence ou l’absence de 17 « erreurs » standards potentielles. Chaque item du LESS était considéré comme présent s’il apparaissait sur au moins 2 essais sur 3.

Résultats

Au total, 1772 cadets ont été inclus dans cette étude, cette cohorte étant composée de 34% de femmes (n = 594) et de 66% d’hommes (n = 1178). La moyenne d’âge des participants était de 18,7 +/- 0,9 ans (fourchette 17-23 ans) et l’indice de masse corporelle moyenne était de 23,9 +/- 2,8 kg/m2.
La moyenne du score LESS pour les hommes était de 4,83 +/- 1,59 et de 5,52 +/- 1,51 pour les femmes.
Pendant la période de follow-up, 94 fractures de fatigue du membre inférieur ont été diagnostiquées dans la cohorte d’étude.
L’incidence cumulée de la fracture de stress sur les 4 ans de follow-up était de 5,3%.
Sur les 94 incidents pendant la période de suivi, 49 (52,1%) se trouvaient au niveau du tibia, 24 (25,5%) se trouvaient au niveau des métatarsiens, 11 (11,7%) étaient au niveau de la fibula, et 10 (10,6%) étaient localisés ailleurs. La majorité des fractures de stress (n = 55) étaient subies par les participantes féminines.
Sur les analyses uni-variées, le score LESS total était associé au taux d’incidence de fracture de stress du membre inférieur pendant le follow-up. Ainsi on observe une augmentation de 15% du taux d’incidence pour chaque erreur de mouvement additionnelle enregistrée à la base.
Plusieurs items individuels du LESS étaient également associés au taux d’incidence de fracture de stress. Un manque de flexion plantaire au moment du contact initial (item 5 du LESS), un écartement trop faible entre les pieds au moment du contact initial (item 8), un écartement trop large entre les pieds au contact initial (item 9), un schéma de réception asymétrique au niveau des pieds lors du contact initial (item 10), un manque de flexion du tronc lors de la flexion maximale du genou (item 13) et un mois bon ressenti général (item 15) étaient significativement associés au taux d’incidence d’une fracture de stress.

Dans les analyses multivariées contrôlant le sexe et la cohorte, deux des items du LESS étaient fortement associés avec la blessure : la réception en pied plat/par le talon en premier et une asymétrie de réception.
Les participants qui se réceptionnent régulièrement en pied plat ou par le talon d’abord (manque de flexion plantaire à l’impact, item 5) étaient 2,33 fois plus à même de subir une fracture de fatigue du membre inférieur pendant le follow-up.
De plus, le taux d’incidence de la fracture de stress du membre inferieur augmentait avec le nombre d’essais chez les participants qui montraient cette erreur, ce qui démontre une relation dose-dépendante.
Plus précisément, les participants qui avaient une réception talon/pied plat lors de 2 essais ou plus étaient plus de 2 fois susceptibles de subir une fracture de stress pendant la période de follow-up.
De façon similaire, les participants qui montraient régulièrement une asymétrie dans le schéma de réception au niveau des pieds lors du contact initial (par exemple les pieds qui n’entrent pas en contact simultanément avec le sol, item 10 du LESS) étaient 2,53 fois plus susceptibles de subir une fracture de fatigue pendant le follow-up.
Ni les autres items du LESS ni le score total du LESS n’était associé avec le taux d’incidence de fracture de stress du membre inférieur.

Discussion

Cette étude de cohorte prospective avait pour objectif d’examiner l’association entre des patterns biomécaniques de mouvement, évalués par le LESS, et le taux d’incidence subséquent d’une fracture de stress du membre inférieur.
Dans les analyses univariées, il a été montré que le score LESS total et plusieurs de ses items pris individuellement (flexion de cheville, contact initial du pied, écartement, réception asymétrique et flexion du tronc lors du contact initial ainsi que l’impression globale laissée lors du LESS) étaient associés au taux d’incidence d’une fracture de stress au membre inférieur pendant le follow-up.
Les analyses multivariées, qui contrôlent le sexe du participant et son année d’entrée dans la cohorte, montrent, elles, que seuls les participants qui se réceptionnent régulièrement en pied plat/qui posent le talon en premier et ceux qui ont une asymétrie dans le pattern de réception au niveau des pieds lors du contact initial ont vu leurs taux d’incidence augmenter pendant le follow-up.
Pour ceux qui atterrissent en pied plat ou par le talon, il a été démontré une relation dose dépendante entre le nombre d’essais ou cette erreur était observée et l’incidence d’une fracture de stress pendant le follow-up.
Ces résultats fournissent un aperçu des facteurs cinématiques identifiables et potentiellement modifiables associés à la fracture de fatigue du membre inférieur.

De façon spécifique, les résultats de l’étude montrent que les sujets qui se réceptionnent avec un mouvement limité dans le plan sagittal au niveau de la cheville sont à plus haut risque de fracture de stress. Il est probable que cette limitation dans le plan sagittal contribue également à une augmentation du pic des forces de réaction du sol pendant l’activité. Ces altérations biomécaniques étant dorénavant des facteurs prospectifs bien établis concernant l’augmentation de la charge et du risque de blessure.
Ces résultats sont en accord avec les analyses de mouvement en 3D qui suggèrent que l’augmentation verticale et médiale des forces de réaction du sol sont associées au taux d’incidence des fractures de stress du membre inférieur.
Ces patterns de mouvement à haut risque doivent servir de cibles pour les programmes de prévention, grâce notamment au travail neuromusculaire et au travail sur la qualité d’exécution du mouvement qui ont montré leur efficacité sur la prévention des blessures musculo squelettiques. Les interventions d’exercices qui diminuent les forces de réaction au sol, minimisent les rotations du membre inférieur, augmentent le mouvement dans le plan sagittal et augmentent la force de la hanche et du genou ont le potentiel de diminuer le risque de fracture de stress du membre inférieur.
Le LESS fournit aux cliniciens un outil facilement utilisable et disponible afin d’évaluer ces biomécaniques à haut risque. Néanmoins, son efficacité reste à clarifier pour le screening d’autres blessures potentielles au membre inférieur, et c’est pourquoi il peut être nécessaire de le coupler à d’autres outils de screening ou de l’optimiser afin de garantir son utilité clinique.

Conclusion

Après avoir contrôle l’influence du sexe et de l’année d’entrée dans la cohorte d’étude, les participants qui se sont réceptionnés en pied plat/avec réception talon ou ceux qui avaient une asymétrie dans le pattern de réception au niveau des pieds étaient plus de deux fois plus susceptible de subir une fracture de stress du membre inférieur pendant la période de follow-up.
Ces réceptions pied plat ou réception talon démontrent également une relation dose dépendante avec le taux d’incidence des fractures de stress.
Ces données suggèrent que les composants du LESS peuvent être associés au risque de fracture de fatigue et peuvent être utiles pour une évaluation efficace de la biomécanique du membre inférieur dans de larges groupes d’athlètes, de recrues militaires et autres populations actives. Le but étant de cibler une intervention et un réentrainement au mouvement afin de diminuer le risque de blessure.
Des recherches sont encore nécessaires pour optimiser le screening et les modèles prédictifs de fractures de stress du membre inférieur qui incluent des évaluations de la qualité de mouvement autant que d’autres facteurs de risque qui peuvent informer sur le statut à risque de blessure ou non.

Référence article

Cameron KL, Peck KY, Davi SM, Owens CRBD, Svoboda CRSJ, DiStefano LJ, Marshall SW, de la Motte SJ, Beutler CRAI, Padua DA. Association Between Landing Error Scoring System (LESS) Items and the Incidence Rate of Lower Extremity Stress Fracture. Orthop J Sports Med. 2022 Jun 9;10(6):23259671221100790.