Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille verte
Pastille verte
Cette étude de cohorte est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
La charge externe d’entrainement désigne tout stimulus externe qui s’applique à un athlète (par exemple une distance parcourue, la durée/fréquence de l’entrainement ou de la compétition) alors que la charge interne d’entrainement désigne la réponse psychophysiologique à la charge externe (par exemple la fréquence cardiaque, le RPE ou encore les lactates sanguins).
L’ACWR utilisant à la fois la charge externe et interne d’entrainement a montré une bonne association avec le risque de blessure, et peut donc indiquer si l’athlète est suffisamment préparé à la charge d’entrainement qui va lui être imposé.
L’objectif de l’étude est d’investiguer si les pics de charge externe d’entrainement et les ratios Charge d’entrainement/Age, élevés ou faibles, sont associés avec les taux de blessures et de plaintes à l’épaule chez des joueurs de tennis adolescents. Également, il sera examiné l’incidence des blessures, en fonction du sexe et du niveau de jeu.
Méthodes
L’étude de cohorte SMASH
Cette étude est basée sur les données venant de l’étude de cohorte longitudinale appelée SMASH (Shoulder Management and Assessment Serving High Performance) réalisée en 2018 en Suède.
301 participants, âgés de 13 à 19 ans, recrutés dans un programme de haute performance avaient été inclus.
Ces joueurs avaient été suivis via des questionnaires à remplir chaque semaine pendant 52 semaines consécutives.
Mesures de base
Le questionnaire de référence incluait des questions sur le sexe, l’âge, certains facteurs tennistiques, les antécédents de problèmes à l’épaule (via le questionnaire OSTRC-O), l’identité athlétique, la santé générale au sens large, le sommeil et les douleurs de dos/cou. Le niveau de jeu était noté comme régional et/ou national.
Population étudiée dans cette étude
Seuls les joueurs sans blessure à l’épaule (score cut-off de 40/100 à l’OSTRC-O) dans les 3 mois précédent l’évaluation de base, et qui avaient répondu à tous les questionnaires de follow-up ont été inclus, soit un total de 252 joueurs.
Mesures de follow-up
1
Exposition
Pics de charge externe accumulée : Le calcul du ACWR s’est fait en divisant la somme des heures d’entrainement/match sur la semaine spécifique par la moyenne du nombre d’heures d’entrainements/match des 4 dernières semaines. Les joueurs avec un ACWR > 1,3 était classés comme ayant un pic de charge externe de travail.
2
Exposition
Ratio Charge de travail/Age : 3 catégories ont été créées : le ratio de « référence » : entre 0,90-1,10, le ratio « haut » > 1,10 (charge de travail plus grande que l’âge en années) et le ratio « bas » < 0,90. La charge de travail était la moyenne totale des heures de tennis à l’entrainement/match et des heures en salle de sport lors des 4 semaines précédentes.
Résultat
Les résultats étaient une plainte ou une blessure à l’épaule en lien avec le tennis, mesurées par l’OSTRC-O. Une plainte était définie par un score total minimal de 20/100 et une blessure par un score d’au moins 40/100. Pour l'estimation de l'incidence des plaintes/blessures de l'épaule sur 52 semaines, les événements récurrents ont été pris en compte. Un joueur a été classé comme ayant une plainte/blessure récurrente s'il a passé au moins une semaine sans rapporter d'événement, après avoir été classé comme ayant une plainte ou ayant été blessé
Analyse statistique
Pour les analyses de risque, la fréquence des pics de charge de travail externe (ACWR >1,3) a été calculée, séparément pour le tennis à l’entrainement/match, l'entraînement physique en salle, et comme variable combinée. Par la suite, les pics ont été cumulés dans le temps (à partir de la semaine de suivi 5)
Résultats
Analyses descriptives
La moyenne d’âge était de 14,4 ans chez des joueurs sans blessure à l’épaule les 3 mois précédents l’évaluation de base. 57% de ces joueurs étaient des garçons.
En ce qui concerne le niveau de compétition, l’incidence de la plainte à l’épaule/semaine était de 0,85 chez les joueurs de niveau national et 3,17 chez les joueurs de niveau régional.
Les incidences correspondantes pour la blessure à l’épaule étaient de 0,32 et 1,33 respectivement.
Concernant le sexe, l’incidence d’une plainte à l’épaule était de 3,06 chez les garçons et 2,10 chez les filles. Les incidences correspondantes pour la blessure à l’épaule étaient de 1,20 et 0,99 respectivement.
Analyse de risque
Un pic de charge de travail externe additionnel était associé à une augmentation du taux de plaintes et de blessures à l'épaule dans tous les modèles. Pour chaque pic de charge de travail supplémentaire à l'entraînement/match de tennis, le HRR (le risque relatif, calculé par comparaison entre les joueurs exposés et non exposés au facteur de risque) était de 1,26 pour une plainte de l'épaule et de 1,26 pour une blessure de l'épaule. Pour chaque pic de charge de travail supplémentaire dans le travail physique en salle, le HRR était de 1,11 pour une plainte à l'épaule et de 1,18 pour une blessure à l'épaule. Le ratio Charge de travail/Age à l'entraînement n'était pas corrélé aux plaintes ou aux blessures à l'épaule.
Incidence des plaintes/blessures d’épaule à l’entrainement/match de tennis
L’incidence des plaintes/blessures d’épaule pour 1000h de tennis dans la cohorte des 252 joueurs, classée par sexe et niveau de jeu a été recherchée. Au total, 90 joueurs avaient une plainte à l’épaule et 44 joueurs avaient une blessure à l’épaule pendant la période de follow up entre les semaines 5 et 52. Cela correspond à une incidence pour une première plainte à l’épaule de 0,77 et pour une première blessure à l’épaule de 0,38, pour tous les joueurs.
De plus, au total, 312 plaintes d’épaule et 130 blessures à l’épaule, incluant les blessures récurrentes étaient rapportées pendant la période de follow up (semaine 5 à 52). Cela correspond à une incidence de 2,68/1000h de tennis (entrainement/compétition) pour la plainte d’épaule et de 1,12/1000h de tennis pour la blessure à l’épaule, pour tous les joueurs.
Discussion
Les principaux résultats indiquent que les pics de charge externe à l’entrainement au tennis, lors d’un match ou lors de l’entrainement physique en salle sont associés avec une incidence plus haute des plaintes/blessures d’épaule chez les jeunes joueurs de tennis de compétition.
Il n’a pas été trouvé d’association entre le ratio Charge de travail/Age et l’incidence d’une plainte/blessure d’épaule, ce qui indique qu’en termes de risque de blessure, l'adaptation de la charge de travail à l'âge ne doit pas être primordiale dans cette tranche d'âge.
De plus, les résultats ont révélé une incidence plus élevée de plaintes/blessures de l'épaule chez les garçons que chez les filles et plus élevée chez les joueurs de niveau régional que national.
Il existe certaines différences dans les caractéristiques de base entre les joueurs blessés et non blessés, comme la taille, le poids, les habitudes de sommeil et l'entraînement, qui peuvent constituer des facteurs de risque potentiels et qui doivent être investigués dans de futures études.
Des études antérieures, effectuées dans des sports collectifs, ont montré que l'ACWR était associé au risque de blessure, ce qui semble être retrouvé ici, bien que la charge de travail, la taille de l’échantillon, le temps de follow-up et la méthode de classification des blessures diffère complètement.
Dans cette étude, les garçons ont montré une incidence générale supérieure par rapport aux filles en ce qui concerne les plaintes//blessures à l’épaule. Également ils ont montré une charge d’entrainement supérieure avec 13,1h/semaine contre 11,5h/semaine pour les filles, ce qui peut contribuer à cette incidence supérieure.
Les joueurs de niveau national ont montré une incidence plus faible des plaintes générales et de la blessure à l’épaule, tout comme une incidence plus faible concernant une première blessure. En comparaison, les joueurs de niveau régional ont montré une incidence 4 fois plus élevée que les joueurs de niveau national.
Lorsque l’on s’intéresse aux pics de charge d’entrainement, un plus petit nombre de joueurs de niveau national (12%) que de joueurs de niveau régional (28%) ont rapportés des pics cumulés > 10, ce qui signifie que lorsqu’on établit la charge chronique, les joueurs de niveau national ont une charge d’entrainement plus cohérente d’une semaine sur l’autre.
D’un point de vue clinique, les joueurs de niveau national ont plus souvent accès à un coaching individuel de tennis, à des coachs de Strength and Conditionning spécialisés, à un staff médical, et généralement à un environnement plus professionnel, ce qui peut expliquer l’incidence plus faible pour ces joueurs-là malgré un volume d’entrainement supérieur (+3,3h/semaine et +4,3h/semaine pour les garçons et les filles respectivement).
Conclusion
Les pics de charge externe accumulés au tennis, à l’entrainement ou en match, et/ou lors de l’entrainement physique en salle, sont associés avec un taux supérieur de plaintes à l’épaule et de blessures à l’épaule chez des tennismen adolescents de compétition. Le ratio Charge de travail/Age n’était pas associé avec l’incidence des plaintes ou blessures à l’épaule dans cette étude.
IMPLICATIONS PRATIQUES
Pour atteindre le niveau professionnel en tennis (ATP/WTA), les jeunes joueurs ont besoin de réaliser de hauts volumes d’entrainements hebdomadaires, que ce soit purement tennistique ou bien sur du travail en salle, et ce pendant une longue période de temps. Le maintien d’une continuité dans l’entrainement quotidien permet à ces joueurs de développer leurs compétences techniques et physiques, améliorant leur robustesse et leur capacité de résilience. Néanmoins, de tels entrainements spécifiques peuvent amener à la menace de la pathologie d’overuse. Bien que la littérature soit peu fournie en ce qui concerne le mangement de la charge chez des sportifs adolescents, les résultats de cette étude montrent qu’un entrainement correctement planifié et périodisé qui construit de façon sécure la charge chronique peut constituer une intervention proactive efficace. Il serait également judicieux que les praticiens qui travaillent avec de jeunes tennismen de compétition puissent établir un cut-off plus bas à l’OSTRC-O qui soit > 20 (et plus seulement un cut-off > 40) pour arriver à capter les plaintes mineures avant qu’elles se développent en des blessures plus sévères à l’épaule.
Johansson F, Cools A, Gabbett T, Fernandez-Fernandez J, Skillgate E. Association Between Spikes in External Training Load and Shoulder Injuries in Competitive Adolescent Tennis Players: The SMASH Cohort Study. Sports Health. 2022 Jan-Feb;14(1):103-110. doi: 10.1177/19417381211051643. Epub 2021 Oct 25. PMID: 34693828; PMCID: PMC8655479.