Moins de la moitié des patients respectent les guidelines cliniques pour le syndrome de conflit sous-acromial et présentent des symptômes acceptables après le traitement : Une étude de cohorte nationale danoise portant sur 3306 patients

Arnaud BRUCHARD
Même si ce sujet ne concerne pas uniquement les sportifs, cette publication très récente a retenu toute notre attention. Nous souhaitions vous la rendre accessible en vous proposant cette synthèse.

Au Danemark, la cause la plus fréquente de la douleur à l'épaule est le syndrome de conflit sous-acromial, également appelé impingement sous-acromial, qui est responsable de 45 à 80 % des consultations. Les guidelines fondées sur des données probantes recommandent des soins non chirurgicaux, y compris la thérapie par l'exercice (Exercise therapy - MeSH, 2019), comme traitement de première ligne de ce syndrome. La chirurgie ne doit être envisagée que lorsque les soins non chirurgicaux échouent (Danish Health Authority, 2016 ; The Royal College of Surgeons of England, 2014 ; Hopman et al. 2013). La durée recommandée des soins non chirurgicaux basés sur l'exercice, avant que la chirurgie ne soit envisagée, n'est pas clairement indiquée dans toutes les guidelines, mais un total d'environ 12 semaines est mentionné dans certaines d'entre elles. Cela correspond bien à la durée des interventions basées sur l'exercice physique examinées dans les essais contrôlés randomisés. Selon les guidelines cliniques, la thérapie par l'exercice comprend différents types d'exercices, tels que la mobilité, l'étirement, le renforcement, la correction de la posture et les exercices de l'omoplate (Danish Health Authority, 2016 ; The Royal College of Surgeons of En- gland, 2014 ; Hopman et al., 2013 ; Sundhedsstyrelsen, 2013). 
En outre, les soins non chirurgicaux peuvent également inclure divers types de soins complémentaires, tels que les injections de corticostéroïdes, la thérapie au laser, l'acupuncture, les massages, les techniques de mobilisation, le bandage, etc., bien que la plupart d'entre eux soient rarement mentionnés dans les Guidelines. Collectivement, le large éventail d'options de traitement laisse aux praticiens et aux patients de nombreuses possibilités lorsqu'ils planifient des soins non chirurgicaux, certaines mieux étayées par les données actuelles que d'autres. Cependant, il semble y avoir de grandes variations dans l'adoption et l'adhésion à ces lignes directrices ce qui pourrait entraîner un recours plus fréquent à des traitements inappropriés et un manque d'application de soins efficaces pour ces patients. Actuellement, les connaissances sur le contenu des soins non chirurgicaux pour le syndrome de conflit sous-acromial se limitent aux réponses à des enquêtes menées auprès des physiothérapeutes (Bury et Littlewood, 2018 ; Pieters et al., 2019). Bien que ces réponses indiquent que la plupart des physiothérapeutes recommanderaient différentes variations de la thérapie par l'exercice pour un patient dont les symptômes correspondent au syndrome, ces données ne reflètent pas nécessairement les actions cliniques quotidiennes et ne fournissent pas de connaissances sur l'adhésion aux guidelines cliniques dans la pratique clinique quotidienne. En outre, les enquêtes susmentionnées illustrent une grande variation dans la prise de décision clinique lorsque les physiothérapeutes choisissent parmi les différents types d'exercices ; peut-être parce que les guidelines cliniques ne recommandent pas de types d'exercices spécifiques plutôt que d'autres, car il n'existe pas de preuves à l'appui de telles recommandations.
Face à ce constat, une équipe danoise, Bek Clausen et al. viennent de publier un étude de cohorte sur 3306 patients. Ils ont souhaité cartographier le contenu des soins actuels pour le syndrome de conflit sous-acromial par rapport aux guidelines cliniques basées sur des preuves, en utilisant un questionnaire validé par le patient. Le second objectif était d’étudier la relation entre le contenu et le résultat des soins, en mettant l'accent sur l'importance du respect des guidelines cliniques et des types d'exercices, afin d'éclairer la prise de décision clinique et la recherche future dans ce domaine.

Comment ont-ils fait ? 

Il s'agit d'une étude de cohorte rétrospective basée sur la population avec des données rapportées par les patients sur le contenu et les résultats des soins non chirurgicaux. Les auteurs ont invité tous les citoyens danois ayant reçu un diagnostic de syndrôme de conflit sous-acromial dans une clinique hospitalière privée ou publique en ambulatoire entre le 1er novembre 2018 et le 11 février 2019, et qui n'avaient pas eu de contacts enregistrés pour un diagnostic similaire au cours de l'année précédente. Les patients ont été invités via un système de courrier électronique sécurisé. Le questionnaire concernant le contenu des soins non chirurgicaux a été élaboré spécifiquement pour cette étude et a été contrôlé par tous les membres du groupe de travail participant à l'élaboration des guidelines cliniques nationales danoises, puis testé auprès de patients. Toutes les questions ont été formulées de manière à ce que les patients comprennent le sens des questions (par exemple, la déclaration "J'ai effectué des exercices pour renforcer les muscles des épaules, par exemple en utilisant des élastiques ou des poids"

Les incapacités de l'épaule signalées par les patients ont été quantifiées à l'aide du score SPADI (Shoulder Pain and Disability Index), qui va de 0 (le meilleur) à 100 (le pire) et qui est calculé séparément pour la sous-échelle de douleur à cinq items et la sous-échelle de fonction à huit items. L'état symptomatique acceptable du patient (Patient Acceptable Symptom State -PASS) a été mesuré comme la réponse dichotomique (oui/non) à une question standardisée concernant l'acceptabilité de l'état actuel des symptômes de l'épaule. L'impression globale de changement (Global Impression of Change -GIC) a été mesurée sur une échelle de Likert de 7 points allant de "Beaucoup mieux, une amélioration très importante" à "Beaucoup moins bien, une aggravation importante". Le handicap lié au travail a été quantifié à l'aide du questionnaire QDASH-work (Quick Disability of the Arm, Shoulder, and Hand). Le Q-DASH est spécifique aux membres supérieurs et le module de travail comprend quatre éléments concernant l'impact du problème sur la capacité à travailler. Toutes les questions sont notées de 1 à 5, les réponses sont additionnées et normalisées pour obtenir un score total allant de 0 (le meilleur) à 100 (le pire).

Qu'ont ils constaté ? 

  • Au total, 4 521 patients éligibles ont été identifiés par le registre national des patients danois et ont donc été invités à participer à cette étude. Parmi ceux-ci, 3373 (75%) ont répondu à l'invitation, mais 67 patients ont déclaré ne pas avoir subi d'examen de l'épaule au cours des 3-4 derniers mois et ont donc été exclus, ce qui laisse 3306 patients à inclure dans cette étude. Le temps médian entre le diagnostic à la clinique de l'hôpital et la réponse au questionnaire était de 16,7 semaines. La durée médiane des symptômes était de 12 mois, 51 % des patients étaient des femmes, dont l'âge moyen était de 57 ans. Une apparition progressive des symptômes a été signalée par 63 % des patients. La majorité des patients (76 %) ont déclaré travailler avec les mains au-dessus de la hauteur des épaules environ un quart du temps ou moins, et 47 % ont considéré le travail comme la principale cause du problème. Au total, 21 % des patients étaient absents du travail à temps plein ou partiel, au chômage ou en retraite anticipée en raison de leur trouble de l'épaule. 


  • Sur l'ensemble des patients inclus, 45 % ont déclaré avoir suivi 12 semaines de thérapie par l'exercice. Plus de la moitié des autres patients suivaient encore une thérapie d'exercice (29 %), mais un quart d'entre eux avaient soit arrêté avant d'atteindre 12 semaines (13 %), soit n'avaient pas suivi de thérapie d'exercice du tout (13 %). Sur l'ensemble de la cohorte, 21 % (n = 683) avaient subi une intervention chirurgicale pour leur épaule au bout de quatre mois de suivi, et 40 % (n = 265) d'entre eux ont déclaré avoir fait de l'exercice physique pendant 12 semaines ou plus dans le cadre du traitement de leur affection actuelle de l'épaule. Le nombre médian de consultations médicales s'élevait à 2 chez le médecin généraliste, 2 chez le médecin spécialiste et 6 chez le physiothérapeute, avec des chiffres légèrement plus élevés pour les patients qui avaient subi une intervention chirurgicale au moment du suivi. La plupart des patients ont déclaré que les exercices avaient constitué la partie la plus importante de l'ensemble des soins (59 %), tandis que les catégories "modalités passives" (10 %) et "autres" (31 %) étaient moins fréquemment utilisées.

  • Pour les patients qui avaient suivi une thérapie par l'exercice, les types d'exercices les plus utilisés étaient la mobilité (93 %) et le renforcement (87 %), suivis par les étirements (77 %) et la correction de la posture, y compris la correction de l'omoplate (57 %). La plupart des patients ont déclaré que les exercices de renforcement (41 %) ou de mobilité (41 %) constituaient la partie la plus importante de la thérapie par l'exercice. Une grande partie des patients avaient fait des exercices à domicile (94 %) et/ou lors de séances de traitement individuelles (73 %), tandis que les séances de groupe étaient moins fréquentes (16 %).

  • Le massage est le type de soins complémentaires le plus souvent mentionné (46 %), suivi d’ultra-sons (31 %), de la mobilisation (30 %), des conseils ergonomiques (29 %) et du Taping (27 %). L'acupuncture et la thérapie au laser ont été signalées par 18 % et 12 % respectivement. Deux patients sur trois (68 %) ont reçu une ou plusieurs injections de stéroïdes pour leur affection actuelle de l'épaule.

  • Parmi les patients qui avaient reçu des soins non chirurgicaux uniquement, 43 % (n = 1026 sur 2404) avaient atteint un état symptomatique acceptable au bout de quatre mois de suivi, tandis que 61 % ont déclaré être au moins légèrement mieux par rapport au moment du diagnostic à l'hôpital. Leur score médian de douleur et d'incapacité SPADI était de 56, respectivement. Le score médian de travail QDASH était de 31.

  • Les patients déclarant avoir suivi une thérapie par l'exercice dans le cadre de soins non chirurgicaux avaient des chances d'amélioration significativement plus élevées (déclarant au moins "légèrement meilleures") par rapport au moment du diagnostic à l'hôpital. Inversement, le fait d'avoir fait 12 semaines d'exercice n'était pas lié aux chances d'amélioration (RC 1,05 95%CI 0,88 à 1,24). Dans les analyses non ajustées (L’ajustement permet de prendre en compte dans les calculs statistiques un facteur qui augmente la variabilité du critère de jugement.), les exercices de mobilité et de renforcement étaient liés à des chances d'amélioration plus élevées tandis que les exercices posturaux étaient liés à des chances d'amélioration significativement plus faibles. Dans l’analyse avec ajustement, seuls les exercices de renforcement avaient encore un impact positif sur les chances d'amélioration (RC 1,65 95% IC 1,25 à 2,19), tandis que les exercices posturaux étaient liés à des chances d'amélioration significativement plus faibles (RC 0,77 95% IC 0,63 à 0,94). Il n'est pas surprenant que l'impact global de la thérapie par l'exercice ait diminué lorsque les types d'exercices spécifiques ont été inclus dans le modèle complet.
le fait d'avoir suivi une thérapie d'exercice pendant 12 semaines n'a pas augmenté les chances d'amélioration
le fait d'avoir effectué des exercices de renforcement A AUGMENTÉ LES CHANCES D'AMÉLIORATION
Le respect des recommandations concernant la thérapie par l'exercice physique est SUivi À L'INVERSE DE LA DURÉE RECOMMANDÉE 
les exercices de correction de la posture et/ou de l'omoplate ont une chance nettement plus faible d'améliorIATION

Discussion 

Dans cette étude de cohorte rétrospective à l'échelle nationale portant sur 3306 patients atteints du syndrome de conflit sous-acromial, plus de la moitié des patients n'avaient pas suivi le minimum recommandé de 12 semaines de thérapie par l'exercice physique 4 mois après le diagnostic posé à l'hôpital, alors que moins de la moitié avaient atteint un état symptomatique acceptable à ce moment-là. Cependant, le fait d'avoir suivi une thérapie d'exercice pendant 12 semaines n'a pas augmenté les chances d'amélioration, mais le fait d'avoir effectué des exercices de renforcement l'a fait.

Cette étude est la première à dresser la carte des soins actuels du syndrome de conflit sous-acromial par rapport aux guidelines cliniques fondées sur des preuves et montre que la majorité des patients diagnostiqués de ce syndrome s'engage dans une thérapie par l'exercice (87 %). Cela correspond bien aux recommandations car la thérapie par l'exercice est considérée comme essentielle dans les soins actuels du syndrome de conflit sous-acromial et s'aligne bien avec les études antérieures montrant que la plupart des physiothérapeutes considèrent la thérapie par l'exercice comme faisant partie du plan de traitement. Le respect des recommandations concernant la durée de la thérapie par l'exercice physique est moins positif, car un quart des patients ont soit arrêté avant d'atteindre 12 semaines (13 %), soit n'ont pas du tout entrepris de thérapie par l'exercice physique (13 %), tandis que 40 % des patients qui ont subi une opération n'ont pas terminé 12 semaines de thérapie par l'exercice physique. Cette dernière est en contraste frappant avec les guidelines cliniques nationales au Danemark qui recommandent 3 mois de rééducation par l'exercice physique avant d'envisager une intervention chirurgicale. Les recommandations concernant la durée de la thérapie par l'exercice varient selon les directives et les pays (Autorité sanitaire danoise, 2016 ; Collège royal des chirurgiens d'Angleterre, 2014 ; Diercks et al. 2014 ; Pedowitz et al. 2011 ; Hopman et al. 2013), mais même avec des seuils inférieurs, tels que 6 semaines (Collège royal des chirurgiens d'Angleterre, 2014), un tiers des patients en soins non chirurgicaux (785 sur 2424 patients) seraient toujours considérés comme non conformes dans cette étude. Collectivement, les conclusions de cette étude soulignent que de nombreux patients présentant des symptômes de longue durée ne respectent pas les directives actuelles concernant la durée de la thérapie par l'exercice. Cette constatation soulève la question de savoir si cela est la conséquence d'une connaissance insuffisante de ces recommandations chez les professionnels de santé et les patients.

Pertinence du type d'exercices

Avec seulement 43 % des patients en soins non chirurgicaux atteignant un état symptomatique acceptable au bout de quatre mois de suivi, cette étude montre que le traitement des patients atteints du syndrome de conflit sous-acromial reste un défi de taille. La constatation des auteurs selon laquelle les patients qui ont suivi une thérapie par l'exercice (tout exercice) avaient une chance nettement plus grande d'améliorer leurs symptômes correspond bien aux évidences actuelles, favorisant les interventions basées sur l'exercice comme traitement du syndrome de conflit sous-acromial. Cependant, dans l'étude actuelle, la durée de la thérapie par l'exercice ne semble pas influencer les chances d'amélioration. Cela remet en question les guidelines cliniques actuelles et indique qu'un seuil basé sur la durée peut ne pas être pertinent. Les résultats apportent de nouvelles connaissances sur la pertinence de certains types d'exercices, en montrant que les patients qui avaient fait des exercices de renforcement avaient une chance d'amélioration nettement meilleure que ceux qui n'en avaient pas fait. À l'inverse, les auteurs ont constaté que les patients qui effectuaient des exercices de correction de la posture et/ou de l'omoplate avaient une chance nettement plus faible d'amélioration. La notion de "moins c'est plus" s'aligne sur la conclusion plus générale selon laquelle la thérapie par l'exercice seule est plus efficace que les interventions de physiothérapie multimodale.

Il est intéressant de noter que les soins actuels semblent correspondre à ces constatations selon lesquelles les exercices de correction de la posture et/ou de l'omoplate sont peut-être moins pertinents, car il s'agit également du type d'exercices le moins utilisé (57 %), alors que près de neuf sur dix ont effectué des exercices de renforcement. Ce résultat reflète à nouveau un schéma similaire aux préférences des physiothérapeutes au Royaume-Uni (Bury et Littlewood, 2018), mais diffère des conclusions de Pieters et al. (2019) aux Pays-Bas et en Belgique, où les physiothérapeutes semblent préférer les exercices de l'omoplate plus souvent (71 %) et les exercices isotoniques moins souvent (60 %).

Points forts et limites

L'échantillonnage basé sur la population avec des réponses de 75% de la population totale augmente la validité externe des résultats, car le risque de biais d'échantillonnage est très limité. En outre, la validité interne des résultats est étayée par une validation approfondie du questionnaire utilisé pour cartographier le contenu des soins par rapport aux guidelines existantes. Il convient toutefois de noter que la conception rétrospective laisse un risque de biais de rappel. Ce problème se pose principalement dans les analyses de régression, et seulement si l'on pense que les patients répondent différemment en ce qui concerne la quantité et le type d'exercices en fonction de leur perception des changements de symptômes.
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Conclusion

  • La majorité des patients diagnostiqués avec le syndrome de conflit sous-acromial dans les établissements de soins spécialisés s'engagent dans une thérapie d'exercice, mais plus de la moitié ne respectent pas les recommandations concernant la durée de la thérapie d'exercice. 
  • Moins de la moitié des patients atteignent un état symptomatique acceptable quatre mois après le diagnostic. 
  • Les patients qui font des exercices de renforcement dans le cadre du traitement ont une chance nettement plus élevée d'améliorer leurs symptômes, tandis que les exercices de correction de la posture et/ou de l'omoplate ont une chance nettement plus faible d'améliorer leur état.  

L'article

Mikkel Bek Clausen, Mikas Bjørn Merrild, Kika Holm, Mads Welling Pedersen, Lars Louis Andersen, Mette Kreutzfeldt Zebis, Thomas Linding Jakobsen, Kristian Thorborg. Less than half of patients in secondary care adheres to clinical guidelines for subacromial pain syndrome and have acceptable symptoms after treatment: A Danish nationwide cohort study of 3306 patients. Musculoskeletal Science and Practice 52 (2021) 102322