Les difficultés de l’EBP en France et de son enseignement !

KINESPORT
Comme vous le constatez tous, les démarches EBP en France après avoir été introduites et stimulées, sont aujourd’hui à juste titre débattues. En effet, la façon dont est incitée l’EBP provoque des distances et des questionnements voire même pour certains des défiances des professionnels de santé, notamment en kinésithérapie. L’EBP est utilisé plutôt comme un mot clé, tout comme celui de guideline ou encore celui de bio-psycho-social, sans avoir intégré réellement la démarche mais en le faisant croire. Kinesport s’est imposé dans le cadre de son activité d’architecturer une méthodologie et une pédagogie liées à l’EBP que nous allons vous expliquer à travers plusieurs articles dont celui-ci est le premier.   
Bénédicte Flye Sainte Marie nous explique dans son livre "Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux", que les réseaux sociaux ont contribué à brouiller les bonnes informations et que l’infobésité a permis, plus que la liberté de s’exprimer, la liberté de critiquer et d’insulter pour exister. C’est justement à travers ces médias que l’EBP en France est déformé mais aussi dans d’autres pays. On s’y permet du coup un nombre considérable de légèretés. 

  • Préconiser l’EBP ce n’est pas traduire des conclusions d’abstract et les partager.  
  • Cela n’est pas rassembler non plus des bouts d’études comme des puzzles mal emboités et conclure par une désinformation.
  • Encore moins citer 3 consensus récents sur des sujets différents en dictant la voie à suivre.  
  • On confond encore trop souvent l’approche scientifique, le scientisme, les publications, la vulgarisation, la désinformation et la réelle définition de l’EBP. Les réseaux permettent d’accéder pour certains à ce qui pourrait s’apparenter à une aura qu’ils n’auraient jamais eu. On s’y invente des expériences, un CV, et des savoirs et on y dicte, pourtant sans aucune démarche factuelle, ce qu’il faut faire tout en critiquant ce que les autres font.  
Kinesport depuis plus de dix ans essaye d’adopter une démarche la plus factuelle possible que je vais tenter d’expliquer. Si on veut être totalement honnête, cela n’a pas été simple. On a fait face et on fera face à certaines maladresses et difficultés. Dans notre secteur professionnel, où l’empreinte des techniques qui fonctionnent sans preuve est très ancrée, la tâche se veut encore plus difficile. Si l’on souhaite avancer sereinement, la kinésithérapie n’a nul besoin de commerciaux de l’EBP, qui n’aura que pour conséquences une dichotomie de la profession entre ceux qui soi-disant pratiquent l’EBP de ceux qui ne le pratiquent pas. C’est pour cette raison que l’on commence à lire des termes très (trop) forts sur les réseaux « vous les gens de l’EBP », les « ayatollah de l’EBP »… D’une part c’est dommage, et d’autre part ce n’est ni la réalité, ni le besoin. Beaucoup de professionnels qui pourtant souhaitent améliorer leur pratique avec un raisonnement clinique basé sur les preuves et une pratique factuelle, vont se braquer et faire chemin inverse. Ils n’attendent pas qu’on leur dise que ce que qu’ils font est nul, mais plutôt comment améliorer ce qu’ils font déjà.  

Mais pourquoi est-ce si difficile ? 

Pour analyser dans la plus grande transparence, il faut :
  • Savoir remettre en cause ses convictions. Rappelons qu’une conviction n’a pas lieu d’être dans le domaine de la science, excepté lorsqu’elle prend la forme d’hypothèse (Nietzsche). 
  • Reconnaitre et admettre ses erreurs.
  • Comprendre la réelle portée de nos actes et de nos écrits.
  • Comprendre pourquoi l’EBP et l’applications de Guidelines ont autant de mal à être intégrés dans de nombreux pays dont la France. 
Albarqouni, et al (2018) ont publié un article « Core Competencies in Evidence-Based Practice for Health Professionals. Consensus Statement Based on a Systematic Review and Delphi Survey » où ils expliquent que 68 compétences sont utiles pour pratiquer l'Evidence-Based-Practice. En lisant des 68 compétences, on constate qu'il s'agit avant tout de connaître par exemple : 
  1. Les méthodologies de recherche.
  2. De ne pas confondre série de cas et essai randomisé.
  3. Pour chaque type de question, comprendre quelles modalités d'expérimentations pourront répondre à la question.
  4. Reconnaître que l'association ne signifie pas causalité, et savoir l'expliquer.
  5. Comprendre l'intérêt d'identifier les conflits d'intérêts et les sources de financement.
  6. Savoir différencier revues systématique, méta-analyse, revue non systématique.
  7. Faire la différence entre des recommandations fondées sur des preuves ou sur des opinions d'experts.
Les informations produites par les travaux de recherche clinique ont un rôle de plus en plus important pour décider du choix d’un traitement, avec toutes les limites et biais du système que l’on vient de constater à l’échelle planétaire. Il est impossible pour un professionnel de santé d’avoir une pratique de haute qualité́ sans s’informer régulièrement des nouvelles connaissances, sans rechercher les traitements les mieux adaptés aux besoins du patient. La prise en compte de ces informations devient d’autant plus difficile que le volume, la qualité́ et la diversité́ des publications n’ont cessé́ de croître depuis 20 ans. En 2001, Smith publiait déjà que la quantité́ d’information médicale doublait approximativement tous les dix ans et sera multipliée par 4 au cours de la carrière d’un professionnel. Pour rester informé, Shaneyfelt et al. la même année estimait qu’un clinicien devrait lire 19 articles tous les jours de l’année, ce qui, en pratique, est impossible. Que dire aujourd’hui face à la surmultiplication des publications et des biais.  
Face à ce constat, en 2012, Regnaux et al. ont questionné des étudiants d’IFMK en France. Les résultats ont montré que les étudiants avaient des notions limitées de l’EBP en fin de cursus. Les outils indispensables à l’utilisation de l’EBP ne semblaient pas être maîtrisés : 92 % des étudiants indiquaient ne pas être familiers avec l’usage du modèle PICO qui permet de transcrire une question clinique en termes utiles pour une recherche bibliographique. La majorité des étudiants (86 %) ont rapporté ne pas savoir ou ne pas recevoir d’enseignement spécifique d’EBP dans leur cursus.  
  Le déroulement qui conduit l'analyse longitudinale du premier contact avec le sportif jusqu'à l'identification finale de la pathologie et en fin de la décision des modalités de prise en charge en kinésithérapie est complexe. Il fait appel encore trop souvent à l'intuitif, propre à chaque praticien. La capacité de prendre des décisions cliniques sûres et précises est pourtant le fondement d’un professionnel de santé compétent. Par la pratique basée sur les preuves (Evidence-Based Practice EBP) qui se développe, l'utilisation d'outils tels que des scores cliniques et/ou de guidelines évolue. Cependant ces outils sont parfois peu soutenus par les consensus, parfois arbitraires, souvent biaisés, et il est nécessaire  
  • de comprendre comment sont conçus ces outils 
  • d'évaluer si les recommandations sont en adéquation avec la pratique clinique.

Enfin les approches Practice-Based Evidence sont d'une valeur sous-estimée. KINESPORT dans sa démarche de raisonnement clinique base le triage des évidences à l'équilibre de ces deux notions fondamentales que sont l'EBP et le PBE—Practice-Based-Evidence. 
Dernièrement, un jeune confrère s’est permis d’interférer dans nos échanges en prétextant qu’utiliser ces deux termes étaient un pléonasme. Le plus étonnant, voire même le plus grave, c’est que ce professionnel est un représentant auto-proclamé de l’EBP qui finalement démontrait toute sa naïveté. À cet instant, je me suis posé deux questions. La première, est ce que finalement la démarche EBP est-elle bien communiquée et représentée dans la corporation de la kinésithérapie en France. De toute évidence, la réponse est non. Il faut d'ors et déjà réfléchir à d'autres modes de transmissions que ceux qui sont utilisés actuellement. La seconde consistait à me demander si on ne faisait pas fausse route à vouloir avancer dans la structuration de l’enseignement d’une pratique factuelle honnête avec toutes ses limites puisque visiblement, les professionnels en France ne seraient pas encore prêts et que peut-être les moyens non plus. Cependant, avec mes collaborateurs nous n’avons pas réfléchi longtemps. Nous avons décidé de continuer notre approche sur la base de l’équilibre de l’Evidence-based-Practice et du Practice-Based-Evidence, car tout simplement, nos confrères ont le droit de pouvoir être informés, de choisir, et d’entendre le discours le plus honnête possible que nous sommes en mesure de leur transmettre, et qui selon nous le plus proche de la réalité. Cette approche a été validée par notre conseil scientifique, constitué de professeurs en médecine, de chercheurs universitaires et de cliniciens de renommées internationales. 

​EBP, Raisonnement clinique, guidelines et définitions


Le raisonnement clinique est "l'ensemble des processus de pensée et de prise de décision qui permet au clinicien de proposer une prise en charge dans un contexte spécifique de résolution de problème de santé ".(Higgs.)

Le raisonnement clinique en physiothérapie est "le processus systématique, rigoureux et cohérent d’analyse, de synthèse et de classification de l’information recueillie lors de l’évaluation d’un patient et qui conduit à émettre une conclusion, la plus juste possible, concernant le problème de santé pour lequel le patient consulte". (Comité d’étude sur le diagnostic en physiothérapie (Hébert et coll.))

Déroulement

Dans un premier temps, le praticien de santé va récolter les informations du patient (l'anamnèse), puis l'examiner (bilan clinique). De façon intuitive, il va récolter et rassembler ces informations, les lier à l'analyse du pathomécanisme qu'il soit aigu ou chronique, et les intégrer grâce à ses connaissances, son expérience, afin de construire une hypothèse clinique et de proposer une prise en charge adéquate. En fonction, il organisera des échanges pluri-professionnels, voire des bilans complémentaires dont il a la compétence (EMG, échoscopie, auscultation...).  
Ces étapes sont cependant souvent empreintes d’une certaine subjectivité et les attitudes peuvent différer selon les praticiens. Dans tous les cas cependant, un raisonnement clinique bien mené devrait permettre d’arriver à une identification de probabilité la plus correcte possible. 
Selon Alencastro et al., le principe de raisonnement clinique se base sur un modèle comprenant deux types de processus : l’un « non analytique » et l’autre « analytique ». Ils sont complémentaires et peuvent être utilisés dans la même situation clinique, même si l’un ou l’autre s’avère parfois plus utile selon les situations. 
Le premier est un raisonnement intuitif, décrit par Payton dès 1985, rapide et presque automatique. Font partie de ce processus les pattern recognition qui permettent au clinicien de poser une identification suite à la reconnaissance d’une configuration caractéristique de signes et symptômes. Par exemple, en présence d'un gonflement et d'une douleur sur la partie haute de la malléole fibulaire, associée à un élargissement de la mortaise visible à l'oeil nu, il pensera directement à une atteinte de la syndesmose tibio-fibulaire. Le clinicien va se rappeler d’un cas similaire précédemment rencontré qu’il garde en mémoire. Cela va lui permettre de penser rapidement à cette même identification et d'enclencher sa prise en charge comme une habitude bien rôdée.
De l’autre côté, on trouve les processus analytiques, dont le plus couramment enseigné est le raisonnement hypothético-déductif qui repose sur une génération d’hypothèses, le raisonnement clinique devenant un fascinant travail de détective. Jones dès 1992 avait décrit la reconnaissance de scripts.

Processus mixte

 KINESPORT vous propose une approche mixte liée à la fois à l'approche analytique et à celle intuitive. Conscient que l'approche de déduction nécessite plus d'études du fait des biais considérables, la compléter par l'expérience clinique du praticien et l'enseignement reçu de celle de ses paires, avec également tous ses biais, permet de limiter les défauts d'hypothèses.  
Prenons en exemple les lésions musculaires. La Société danoise de physiothérapie du sport, par l’intermédiaire de l’équipe de K.Thorborg, a publié dans le BJSM en janvier 2020, une étude qui avait pour objectif de fournir un aperçu de la littérature existante. Ils ont identifié et évalué la qualité des preuves concernant l'efficacité diagnostique des tests cliniques et l'effet des stratégies de prévention et de traitement pour les lésions musculaires des membres inférieurs les plus courantes, notamment les ischio-jambiers, les adducteurs, le rectus femoris et les lésions musculaires des mollets. Les auteurs concluent entre autre que la plupart des résultats pour toutes les blessures musculaires et tous les domaines ont été classés comme de qualité de preuve très faible à modérée, ce qui indique que de nouvelles recherches de haute qualité auront probablement un impact important à l’avenir. Mais aussi, on y lit que :  
  • La plupart des tests cliniques ont montré une efficacité diagnostique très faible à faible. Pour autant, nous ne pouvons rester sans testing clinique. L'expérience clinique, elle, nous apporte une diminution des erreurs d'hypothèses par l'utilisation du test excentrique pour identifier une LMA.  
  • Le traitement des blessures aux ischio-jambiers, les exercices d'allongement des ischio-jambiers excentriques ont montré un retour au jeu plus rapide avec un taux de blessures inférieur par rapport aux exercices conventionnels des ischio-jambiers. De facto, nous utilisons dans nos protocoles les exercices excentriques en rééducation et le RTP (Return To Play). 
L'association des deux approches nous permet un abord complémentaire et rend "responsables" nos moyens face à la situation que l'on se doit de résoudre. Si l'on suivait stricto sensu les preuves issues de la recherche, dans le cadre des lésions des muscles ischio-jambiers, le constat est simple, il n'y aurait pas de tests cliniques.  

Facteurs modifiant le raisonnement clinique 

Certains facteurs peuvent intervenir dans le raisonnement clinique et la démarche diagnostique que ce soit dans le contexte du praticien ou celui du patient. Le tableau ci-dessous résume les principaux facteurs pouvant influencer le raisonnement clinique et les décisions. Il faudra donc tenir compte de ces données dites Bio-Psycho-Sociales (BPS). 
En physiothérapie, tout comme en médecine, le nombre de paramètre peut vite devenir considérable.

PHYSIOTHÉRAPIE BASÉE SUR LES PREUVES ET SCORES CLINIQUES 

Du bilan clinique au retour au jeu, le kinésithérapeute du sport prend des décisions thérapeutiques. Dans le cadre de ce processus décisionnel, l’Evidence-Based Practice (EBP) a été promue et utilisée depuis de nombreuses années.  
Le but est d’optimiser le raisonnement clinique par une approche probabiliste. Depuis 1972, différentes définitions ont été proposées et utilisées pour promouvoir l’utilisation de l’EBP dans l’algorithme décisionnel des cliniciens.
Le Kinésithérapeute se retrouve donc dans une position où il doit conjuguer : 
  • les données de l'evidence-based Medecine pour corréler les bilans cliniques du médecin, quand ils existent, à son bilan en kinésithérapie
  • les données de l'evidence-based Practice en physiothérapie ou Evidence-Based-Physiotherapy , dans le cadre de son raisonnement clinique, pour décider des modalités pluri-modales de sa prise en charge.
Pour rappel , la définition la plus répandue de l'EBP (et promue également par la World Confederation for Physical Therapy (WCPT) est « l'intégration des meilleures données issues de la recherche à l'expertise clinique et aux valeurs du patient » 
Le terme « evidence-based practice » peut être traduit en français par :  
  • la pratique basée sur les données probantes ;
  • la pratique basée sur les preuves ;
  • la pratique basée sur les faits (ou pratique factuelle).
En juin 2016, Veras et collaborateurs ont défini l’Evidence Based Physiotherapy comme « un champ d’étude, de recherche et de pratique dans le cadre duquel les décisions cliniques sont fondées sur les meilleures données probantes existantes, et intègrent la pratique et l’expertise professionnelles aux principes éthiques ». Pour cela, l’EBP se base historiquement sur un triptyque comprenant les meilleures données de la recherche ; les caractéristiques, valeurs et préférences du patient ainsi que l’expertise du praticien.  
 Suivant cette évolution, de plus en plus de scores cliniques (SC) ont été développés. Parallèlement des Guidelines issues de consensus sont partagées sans pour autant que leur niveau de preuve soit élevé. 
Concernant les scores, des points lui sont attribués selon l' importance de ses items et leur addition, donnant une valeur qui est proportionnelle à la probabilité d’avoir la pathologie en question. Afin de guider la prise en charge, les probabilités sont souvent regroupées en trois catégories de risque : basse, moyenne ou haute probabilité. Les seuils entre ces différentes catégories sont appelés seuils de décision clinique et sont fixés de manière quelque peu arbitraire. En effet, ils résultent d’une combinaison entre les analyses des performances des tests et les avis d’experts au sujet du risque acceptable d’avoir la pathologie en question. Ils sont donc théoriques et basés sur une approche probabiliste mais ne reflètent pas forcément le côté subjectif du sens clinique du praticien de santé.
Concernant les preuves et l'EBP, la démarche EBP cherche à utiliser des preuves issues de la recherche pour la pratique clinique induisant alors inévitablement la notion de niveaux de preuve : c’est la validité interne d’une étude. D’après l’Oxford Center for Evidence-Based Practice, les revues systématiques forment les évidences de niveau 1, des études à très haut niveau de preuve.
Par ailleurs, en évoquant l’expertise clinique individuelle comme un des piliers de l’EBP, nous entendons la compétence et le jugement que les cliniciens individuels acquièrent grâce à l'expérience clinique et la pratique clinique. L'expertise accrue se reflète de nombreuses manières, mais principalement par un diagnostic plus efficace, une identification plus réfléchie et une attention plus importante aux situations, droits et préférences des patients dans le cadre de la prise de décisions cliniques. Néanmoins, dans Evidence Based Medicine – New Approaches and Challenges, article déjà cité 200 fois, Masic et ses collaborateurs évoquent que le fondement de toute décision médicale concernant la procédure optimale de diagnostic ou de thérapie dans le cadre de l’EBP est constitué de preuves scientifiques issues de la recherche clinique, et que l'expérience et l'intuition cliniques sont d'une grande aide, mais ne constituent pas la base principale de la prise de décision. Dans l’EBP, la pratique est donc présente comme un élément important du processus décisionnel mais pas à la base de ce dernier, place accordée aux preuves scientifiques.  

EBP, les limites

Les résultats de l’étude ne sont utiles que dans la mesure où ils reflètent ce qui se passe dans l'ensemble de la population étudiée, c’est la généralisabilité ou validité externe de l’étude. Cette dernière est nécessaire pour permettre d’appliquer les résultats observés aux patients qui se présentent aux cliniciens. Il est généralement impossible d'inclure une population entière dans une étude : les chercheurs utilisent donc un échantillon qui doit être le plus représentatif possible. Le concept de représentativité dépend des critères d'inclusion et d'exclusion ainsi que des méthodes utilisées pour recruter les participants (Kamper, 2020)
Dans un objectif de représentativité, le format très contrôlé des essais contrôlés randomisés (RCTs) impose un recrutement strict de l’échantillon excluant fréquemment les patients avec des comorbidités, des antécédents complexes, un manque de compliance au protocole, etc. Néanmoins, les patients qui se présentent aux cliniciens ont fréquemment des antécédents complexes et des comorbidités ce qui rend alors parfois difficile l’application des résultats observés dans les RCTs à la patientèle clinique (Bradbury, Avila, & Grace, 2020). Girard et ses coauteurs proposent ainsi qu’une des limites de l’EBP dans le champ d’application clinique est que le patient est un individu et à ce titre, il ne réagit pas toujours comme anticipé, désiré ou prédit (Girard, 2008).  
Par ailleurs, les RCTs s’intéressent fréquemment à un nombre de paramètres restreint dans ce même objectif de contrôle. Ce format s’adapte très bien aux études pharmacologiques par exemple, mais beaucoup moins aux thérapies manuelles ou à la réadaptation qui proposent un point de vue holistique de la prise en charge et où les interventions en aveugles sont beaucoup plus difficilement réalisables (Horn et al., 2012). Rappelons en effet le modèle récursif d’étiologie dynamique : la pratique demande une prise en charge multifactorielle de l’athlète, là où les RCTs nécessitent un nombre limité de facteurs pour promouvoir leur validité interne.  

Pratique de l'EBP : un constat

Nous vous avions récemment proposé une infographie de la revue systématique réalisée par Zadro et ses collaborateurs, parue en novembre dernier dans le Journal of British Medicine (Zadro, O’Keeffe, & Maher, 2019). Cette dernière investiguait le suivi des Evidence-Based Guidelines par les physiothérapeutes en pathologies musculo-squelettiques. Cette revue systématique suggérait alors que les choix de traitement de physiothérapie pour les troubles musculo-squelettiques n’étaient pas souvent basés sur le suivi des Evidence-Based Guidelines. 

Les Guidelines

Les guides de pratique clinique (Clinical practice guidelines -CPGs) sont définis comme "un moyen pratique de présenter les preuves et les recommandations aux décideurs en matière de santé". En théorie, les CPGs devraient donc fournir aux physiothérapeutes des outils faciles à utiliser qui leur permettent d'accéder efficacement aux meilleures données probantes actuelles de manière à éclairer leurs décisions quotidiennes en matière de pratique clinique. Cependant, leur adoption se fait rarement à la vitesse de production des preuves.  
Les stratégies d'application des connaissances, en particulier les programmes de formation sur la pratique fondée sur des données probantes et les Guidelines, visent à soutenir les comportements des physiothérapeutes en matière d'assimilation des données probantes et leur utilisation des guidelines pour tirer parti de pratiques efficaces et efficientes. Cela correspond aux six domaines de la qualité des soins de santé : sûrs, efficaces, centrés sur le patient, opportuns, efficaces et équitables. Ces six domaines garantissent une prise en charge optimale des patients.  
Le manque de temps a toujours été considéré comme un obstacle majeur à l'adoption efficace des résultats de la recherche dans la pratique clinique. Malgré cet ensemble de preuves, le concept de "manque de temps" n'est pas bien compris, car il peut faire référence à différentes raisons sous-jacentes dans différents contextes. En outre, il existe peu de stratégies efficaces pour aider les cliniciens à réduire les obstacles liés à l'emploi du temps et à améliorer les compétences en matière de gestion du temps pour l'assimilation des résultats de la recherche. Parmi les autres obstacles à l'EBP dans le cadre de la physiothérapie, on peut citer le manque de ressources, le manque de compétences pour accéder aux résultats de la recherche et les comprendre, les perceptions erronées de l'EBP, le manque de généralisabilité de la recherche et de ce qui constitue une preuve de qualité... 
Pour comprendre la complexité du changement de comportement lié à l'utilisation des Guidelines, il faut tenir compte de la disposition des professionnels de santé au changement, car on ne peut pas supposer que tous les professionnels de santé sont pareillement motivés pour adopter l'EBP. 
Stander et al.(2020) ont réalisé une étude qualitative sur l'analyse de la contrainte temps dans la pratique et l'assimilation des Guidelines de 31 phytothérapeutes.
Ils ont constaté que : 
  • Certains participants n'avaient pas une compréhension claire des Guidelines, et parmi ceux qui en avaient une, tous n'étaient pas prêts à les mettre en œuvre dans la pratique.
  • À l'inverse, parmi les personnes qui ne comprenaient pas bien les Guidelines, certaines voulaient appliquer les meilleures preuves à leur pratique et n'étaient pas sûres de le faire.
  • Le nombre d'années de pratique n'est pas lié à la mise en œuvre des Guidelines dans sa pratique. 
  • Que le niveau d'acceptation et des contraintes est dépendant de son niveau d'acceptation du changement (transtheoretical model of stages of change (SoC))
  • Le "manque de temps" est un obstacle fréquemment signalé (seuls 5 physios ont déclaré ne pas reconnaitre cette contrainte temps comme un obstacle) tout autant que la compréhension de l'assimilation du besoin des applications et la contrainte budgétaire.

Cela signifie que la contrainte temps n'est pas aussi forte pour tout le monde, et que l'enseignement à la pratique des Guidelines doit être adapté au profil de chaque professionnel de santé et son niveau d'acceptation du changement.  

Selon Stander et al. : 
  • Pour les personnes qui ne sont pas prêtes à modifier leurs comportements en matière de pratique clinique, les déclarations relatives au "manque de temps" peuvent être liées à la faible priorité accordée à la prise en compte des données probantes, ou au manque de sensibilisation à la nécessité de changer, ou encore à l'absence d'incitations à apporter des changements.
  • Pour les personnes qui envisagent de modifier leurs comportements de mise en œuvre des données, les déclarations relatives au "manque de temps" peuvent être liées à un manque perçu de compétences et/ou de connaissances, à des préoccupations quant à la manière d'entamer un processus de changement dans leur contexte local, ou à un manque perçu de soutien de la part des collègues ou de la direction.
  • Pour les personnes qui adoptent un changement de comportement, le "manque de temps" peut être lié à des priorités concurrentes d'apprentissage et d'action ou au fait de faire suffisamment d'incursions dans la charge de travail actuelle pour établir et maintenir les pratiques modifiées.
Le modèle de gestion du temps pour une meilleure utilisation des Guidelines propose une nouvelle approche pour aider les spécialistes de la mise en œuvre des données probantes et les cliniciens à déterminer comment progresser dans le cadre du SoC et des barèmes pour améliorer l'utilisation des Guidelines. Lorsque les cliniciens peuvent déterminer leur niveau de préparation à l'utilisation des Guidelines, ils sont alors en mesure de choisir la stratégie qui leur permettra d'aller de l'avant et d'améliorer ou de maintenir leur utilisation. La force du modèle proposé est qu'il fournit des conseils sur la manière de faire passer un individu par les différents SoC en déterminant où se situe son SoC par rapport aux obstacles perçus à l'utilisation des Guidelines, mais aussi en considérant les critères de qualité des soins de santé. Cela garantit une capacité croissante de prise de décision clinique à la lumière des meilleures données de recherche disponibles. L'une des faiblesses de ce modèle est qu'il ne tient peut-être pas compte de la fluidité de l'aptitude au changement des personnes qui vont et viennent entre les différents SoC, tout en rencontrant différents obstacles à l'utilisation optimale des GPC. 
Il est essentiel d'adopter et de mettre en œuvre des pratiques fondées sur des données probantes pour améliorer la pratique professionnelle et maintenir les normes. En comprenant ce que l'on entend par "manque de temps", cela peut indiquer le soutien spécifique requis par les professionnels à différents stades de la modification de leurs comportements. 

La pratique comme niveau de preuves.

Practice-Based Evidence (PBE) 
La PBE prend sa place et son intérêt à cette « frontière », entre généralisabilité et validité externe / validité interne. Horn et ses coauteurs ont publié "Practice-based evidence research in rehabilitation : An alternative to randomized controlled trials and traditional observational studies" en 2012 dans le journal Archives of Physical Medicine and Rehabilitation. Cette équipe basée à Salt Lake City rappelle premièrement que dans les études PBE, les preuves sont tirées de la pratique courante par rapport à l'EBP où les preuves sont le plus souvent tirées d'études expérimentales (RCTs). Les études PBE sont des études de cohortes observationnelles qui tentent d'atténuer les faiblesses traditionnellement associées à ce type d’études. De manière synthétique, la conception des études PBE tente de minimiser les menaces à la validité interne en essayant de collecter des informations sur toutes les variables du patient - démographiques, médicales, fonctionnelles et socio-économiques - qui pourraient expliquer les différences de résultats. Par ailleurs, un facteur qui distingue l'étude PBE de la plupart des autres études observationnelles est la participation importante des cliniciens : ce sont des études participatives qui rapprochent cliniciens et chercheurs.  

Une critique courante des études observationnelles est qu'elles démontrent une association mais pas une causalité. Cette critique repose sur une hypothèse incontestée, à savoir que la preuve de la causalité est dichotomique : quelque chose est ou n'est pas la cause. Horn et ses collaborateurs expliquent néanmoins que les preuves de la causalité devraient plutôt être considérées comme un continuum qui s'étend de la simple association à la causalité indéniable plutôt qu’une vision dichotomique de la valeur causale. 
Pour conclure, les auteurs américains expliquent que la conception la plus appropriée pour une étude spécifique dépend de la nature de la question de recherche et du type de connaissances nécessaires. Les alternatives méthodologiques, telles que les études PBE, ne remplacent pas les RCTs ou d'autres méthodes, mais fournissent plutôt des sources supplémentaires d'informations. Les études PBE peuvent ainsi être complémentaires aux autres méthodologies. Elles permettent de produire des preuves facilement transposables dans la pratique ou de générer des hypothèses qui pourront être vérifiées ultérieurement par des RCTs, par exemple.  
Vaidya et collaborateurs ont publié un article en 2017 dans l’American Journal of Public Heath investiguant la contribution et l’inclusion d’études PBE/RBE (practice-based / research-based) dans le Community Guide (guide de service de prévention américain, basé sur les preuves et issu du département de la Santé américain). Les auteurs ont analysé 202 revues systématiques sur 20 sujets de santé différents incluant 3656 études. Ces derniers montrent une proportion importante d’études PBE (52%, n = 1629) et expliquent que ces études peuvent en effet être efficacement incorporées aux revues systématiques du guide de prévention américain. Ils concluent néanmoins que davantage d’études PBE étaient de qualité moyenne comparativement aux RBE soulignant que de nouvelles études pour affiner les modèles et méthodes des design PBE étaient nécessaires. Enfin, les auteurs rappellent que les études PBE permettent une généralisation supérieure et donc une meilleure validité externe. 
Selon l'Oxford Centre for Evidence-Based Practice que nous avons cité en début d’article, la preuve de niveau 1 est un examen systématique des essais randomisés ou des essais à effectif unique. En effet, les études N-of-1 (ou n = 1) représentent le « Gold Standard » des études PBE. Les études N-of-1 sont une variante des essais contrôlés randomisés dans lesquelles une séquence de traitements alternatifs est attribuée au hasard à un patient. Les résultats sont ensuite comparés dans le but d’identifier le régime de traitement optimal pour chaque patient. Ce haut niveau d’évidence des essais à effectif unique est une évolution remarquable dans le passage à l'importance clinique des soins personnalisés aux patients par rapport à la signification statistique et la taille de l'effet sur une population.  
Bradbury et ses collaborateurs (2020) ont récemment publié un article dans le journal Healthcare sur ces études N-of-1. Les études à effectif unique font partie de la famille des études de cas expérimentales et peuvent convenir aux praticiens qui souhaitent trouver les interventions thérapeutiques optimales pour un patient, dans sa globalité, y compris les patients qui ne sont normalement pas inclus dans les essais cliniques : elles s’inscrivent dans le cadre des études PBE. Tous les protocoles de RCTs peuvent être utilisés dans ces études (randomisations, double-aveugle, etc). Un follow-up de quelques mois post-protocole est par ailleurs recommandé. Un exemple de design vous est proposé ci-dessous.  
Les RCTs et N-of-1 sont des études fondamentalement différentes mais peuvent être toutes deux sources de haut niveau de preuve. Bradbury et ses collaborateurs présentent un tableau comparatif des avantages et limites de ces types d’études, nous vous en proposons une traduction.  L’objectif n’est pas ici d’opposer ces types d’études mais plutôt de comprendre leurs objectifs, leurs places et l’attention que nous devrions leur accorder. Les essais à effectif unique permettent de se centrer sur le patient avec une vision globale de ce dernier, vision plus adéquate avec la réhabilitation ou certaines thérapies de médecine complémentaires par exemple. Les études PBE permettent également de rapprocher les cliniciens de la recherche et inversement. C’est dans cet objectif qu’Amie Steel et ses collaborateurs ont proposé de créer un réseau national de recherche basée sur la pratique pour les ostéopathes australiens et néo-zélandais. Ce réseau rassemblant 253 ostéopathes néo-zélandais et 992 australiens permet l’établissement d’une base de données qui offrent aux chercheurs la possibilité de collecter des séries de cas dans l’objectif de créer plus facilement des études N-of-1 permettant in fine d’apporter des informations fiables sur les pratiques actuelles.  

EBP PBE : une association complémentaire

L’EBP et la PBE sont deux paradigmes différents qui intègrent la notion de Pratique. Cette dernière est néanmoins intégrée différemment : c’est ce qui justifie leur association complémentaire. En effet, dans le cadre de l’EBP, la pratique est présente dans la décision thérapeutique et l’application des preuves factuelles à une situation donnée tandis que la PBE correspond à une méthodologie de genèse de preuve basée sur la pratique. Cette dernière s’inscrit par ailleurs dans la volonté de rapprocher chercheurs et praticiens permettant au clinicien d’agir en tant qu’utilisateur et générateur de preuves.  

DEVENIR EXPERT KINESPORT UNE DÉMARCHE OPTIMALE ? 

À travers ces explications, force est de constater que la gestion du raisonnement clinique est un moyen professionnel qui nécessite de l'application, des connaissances et de la logique. KINESPORT vous propose le juste équilibre selon nous, pour vous simplifier dans la mesure du possible les étapes de celui-ci, et vous livre les outils adéquats pour devenir un expert en kinésithérapie du sport. 
Pour cela, il faut aussi se demander ce qu’est un expert. Un expert peut se définir comme une personne détenant une grande connaissance théorique et d’excellentes habiletés pratiques (Heniff, 2016). La connaissance théorique n’est en effet pas suffisante. Bruce Weinstein est un éthicien américain auteur de plusieurs ouvrages et articles scientifiques. Dans What is an expert ? publié dans Theorical Medicine, il précise qu’il y a au moins deux sens à considérer dans l’expertise, le sens « épistémologique » et la « performance » (Weinstein, 1993). L’auteur met en lumière la distinction entre savoir « quelque chose » et savoir « comment » le réaliser : ces deux formes de savoir sont conceptuellement et logiquement distinctes l'une de l'autre et essentielles à l’expert. Par ailleurs, il précise que la qualité d’expert peut être jugée à sa capacité à justifier ses choix, par son niveau de justification.  
En physiothérapie, nous devons prendre des décisions thérapeutiques, lesquelles font appel à une prise d’informations, une analyse ainsi que des actions et/ou gestes thérapeutiques. Nous justifions ces prises de décision par des preuves, une démarche apportée principalement par l’Evidence-Based Practice. Lesquelles preuves peuvent être issues de la recherche (Researched-Based Evidence) et/ou de la pratique (Practiced-Based Evidence). Par ailleurs, nous appliquons nos choix thérapeutiques à une situation donnée plaçant le patient, son contexte bio-psycho-social et la relation de soin au cœur du processus de prise de décision. Chaque phase de ce processus fait appel à l’apprentissage et/ou l’expérience permettant le développement du praticien vers les qualités pratiques et théoriques de l’expert.  
La quête de l’expertise pourrait ainsi être une démarche optimale pour le kinésithérapeute du sport.