Avulsion des tendons proximaux des ischio-jambiers : résultats cliniques comparables du traitement chirurgical et conservateur à un an de suivi en utilisant un modèle de décision partagée.

Arnaud BRUCHARD
Les blessures par avulsion des tendons proximaux des ischio-jambiers représentent un burden substantiel, compromettant la participation aux sports et les aspects plus physiques de la vie quotidienne. En l'absence de preuves solides, la prise de décision concernant le traitement de ces blessures graves reste difficile. Comme on sait peu de choses sur les résultats du traitement conservateur pour cette blessure, et que le traitement opératoire comporte des risques de complications, il est primordial d'inclure les préférences des patients dans la prise de décision.

La prise de décision partagée est un processus de collaboration dans lequel les patients et les cliniciens établissent conjointement des plans de traitement qui intègrent les preuves cliniques et les préférences des patients.
Ce processus améliore la satisfaction et l'adhésion des patients grâce à une meilleure connaissance, une diminution des conflits décisionnels et une plus grande probabilité de recevoir des soins conformes aux valeurs du patient.

Dans cette étude prospective, les auteurs ont utilisé un modèle de prise de décision partagée. Leur objectif était d'évaluer prospectivement les résultats cliniques et radiologiques à un an après le traitement chirurgical ou conservateur des avulsions d’un ou des tendons proximaux des ischio-jambiers.

MÉTHODE

Les patients avec une suspicion de blessure à un des tendons proximaux des ischio-jambiers, entre Octobre 2016 et Août 2019 ont été triés selon les critères d’éligibilité ci-dessous :

Critères d’inclusion :
  • Âge > 18 ans
  • Lésion d'épaisseur totale de ≥1 du tendon libre proximal de l'ischio-jambier, confirmée à l’IRM.

Critères d’exclusion :
  • Contre-indication à la réalisation d’un IRM.
  • Antécédent de blessure similaire du même côté.
  • Avulsion osseuse.
  • Incapacité ou non volontariat au consentement écrit.
  • Présence d’une autre blessure/maladie qui rend le patient incapable de suivre le programme de réhabilitation prescrit.

Processus de décision partagée

Le processus de décision partagée a été effectué avec un chirurgien, un médecin du sport, et un kinésithérapeute, afin de décider si le traitement choisi serait chirurgical ou conservateur, en prenant en compte l’avis du patient dans la discussion. Au cours de la période de l’étude, la prise de décision s'est d'abord faite dans un esprit généralement chirurgical et le traitement non opératoire était réservé aux patients d'âge moyen ayant une demande fonctionnelle moindre. En raison des résultats satisfaisants obtenus dans ce groupe, les informations fournies ont été mises à jour et progressivement, davantage de patients ont opté pour un traitement non opératoire, mais le traitement chirurgical était généralement conseillé dans les avulsions des 2 tendons proximaux avec rétraction substantielle et limitations fonctionnelles/symptômes sciatiques persistants. En fin de compte, les patients sans préférence marquée pour l'un ou l'autre des traitements ont commencé le traitement en kinésithérapie et ont choisi le traitement chirurgical ou non après avoir évalué la progression de la résolution des symptômes et la récupération fonctionnelle au bout d’environ 2 semaines. Les athlètes d'élite ont quant à eux toujours opté pour un traitement chirurgical.

Traitement Chirurgical

Le rattachement chirurgical des tendons ischio-jambiers proximaux a été effectué selon la norme actuelle. En faisant varier le degré de flexion du genou pendant l'intervention chirurgicale, la tension sur la réparation a été évaluée. Sur la base de cette évaluation, un plâtre a été posé dans la salle d'opération. L'immobilisation plâtrée a été maintenue pendant 2 semaines, suivie d'une attelle de genou articulée qui limitait l'extension complète du genou mais autorisait la flexion du genou pendant 4 semaines. L'attelle a été réglée à 30° de flexion du genou et a progressé peu à peu (10° par semaine) vers l'extension complète du genou.

Traitement Conservateur

Le programme de rééducation a été supervisé par un kinésithérapeute expérimenté, et a consisté dans les mêmes phases de progression que le protocole chirurgical (hormis la phase 1 d’immobilisation). La phase 2 s'est concentrée sur la normalisation de la démarche et la reprise du contrôle avec des mouvements fonctionnels sans douleur. Des exercices proprioceptifs et d'équilibre sans impact, un entraînement à la marche sur un tapis roulant anti gravité et des exercices de renforcement des ischio-jambiers avec ajout d'une stimulation électrique ainsi qu'un renforcement des rotateurs de la hanche, ainsi que du tronc, ont été initiés. La phase III a débuté lorsque la démarche était normale et que les mouvements fonctionnels étaient effectués sans douleur et sans avoir à décharger la jambe blessée. Cette phase s'est concentrée sur la restauration du contrôle sans douleur des mouvements spécifiques au travail et au sport. Le renforcement des ischio-jambiers a progressé vers des positions d'allongement. Des exercices de contrôle de l'impact et de course ont été commencés. La phase IV visait à préparer les patients à la reprise des activités professionnelles et sportives. Elle a commencé lorsque les patients ont démontré un contrôle neuromusculaire dynamique avec des activités multi axiales à une vitesse faible à moyenne sans douleur ni gonflement. Au cours de cette phase, les exercices de course, de renforcement et de contrôle de l'impact ont encore progressé. Des exercices ont été faits pour reproduire les exigences spécifiques au travail ou au sport. L'objectif de cette phase finale était d'obtenir un contrôle neuromusculaire dynamique avec des activités multi axiales à grande vitesse et une participation asymptomatique sans restriction à des activités spécifiques au sport ou au travail.
Recueil des données/Évaluation
La collecte des données a été effectuée lors de la visite initiale et à 2 mois (questionnaires : PHAT, PHIQ, EQ-5D-3L, TAS), 6 mois (questionnaires et tests cliniques) et 1 an (questionnaires, tests cliniques et IRM) après le début du traitement (date de la chirurgie ou de l'orientation vers le traitement conservateur). L’évaluation à l’IRM (initial, 1 an) comprenait la continuité proximale, la rétraction directe du tendon, l'infiltration graisseuse et l'évaluation du nerf sciatique. Les tests cliniques utilisés (6 mois, 1 an) étaient les suivants : Flexibilité des ischio-jambiers : SLR passif (PSLR) et AKET. Force isométrique des ischio-jambiers : en procubitus à 90 degrés de flexion de genou, en procubitus à 15 degrés de flexion de genou, en décubitus à 90-90 de flexion de hanche et genou.

RÉSULTATS

  • Les auteurs ont inclus 59 patients ; 26 femmes et 33 hommes avec un âge médian de 51 ans. 26 patients ont reçu un traitement chirurgical et 33 patients ont reçu un traitement conservateur.
  • Les patients opérés se sont présentés significativement plus tôt après la blessure (médiane 12 vs 21 jours, p=0,004) avec des déficits de flexibilité des ischio-jambiers significativement plus importants (-34° et -28° comparés à -12° et -11° pour PSLR et AKET respectivement, p<0. 01), une force isométrique plus faible (39 %, 0 % et 32 % de la force controlatérale par rapport à 64 %, 32 % et 50 % dans les positions couchée 0/90, couchée 0/15 et couchée 90/90, p<0,01), et des scores PHAT plus faibles (32±16 vs 45±17, p=0,003). L'IRM a démontré l'avulsion des deux tendons proximaux chez 53 (90%) patients, l'avulsion isolée du tendon conjoint chez 2 (3%) et l'avulsion isolée du tendon semi membraneux chez 4 (7%). Dans le groupe chirurgical, toutes les lésions concernaient les deux tendons. Dans le groupe conservateur, les deux tendons ont été touchés chez 27 (82%) patients, le tendon conjoint chez 2 patients (6%) et le tendon semi membraneux de manière isolé chez 4 patients (12%).
  • Le délai médian entre la blessure et le début du traitement était de 30 (IQR : 21-45) jours dans le groupe chirurgical et de 21 jours (IQR : 12-48) dans le groupe conservateur.

Score PHAT à 1 an de follow-up

  • Les scores PHAT dans le groupe chirurgical et conservateur à un an de suivi étaient de 80±19 vs 80±17. Il n'y avait pas de différence entre les groupes en ce qui concerne le score PHAT moyen lors du suivi à 1 an (p=0,97). Il n'y a pas eu de différence entre les groupes en ce qui concerne le score PHAT moyen ajusté au bout d'un an (p=0,23). Les analyses post hoc avec différentes Co-variables temporelles n'ont pas modifié les résultats.

Autres résultats 

  • Dans le groupe des patients opérés, 6 (23%) patients n'ont pas repris le sport à 1 an et 7 (27%) ont repris le sport au niveau d'avant la blessure. Dans le groupe conservateur, 4 (12 %) n'ont pas repris le sport et 11 (33 %) ont repris le sport au niveau d'avant la blessure. Le délai de retour au sport pour les groupes opérés et non opérés était de 25 (IQR : 20-33,5) et 24 (IQR : 16-36) semaines en moyenne. Il n'y a pas eu de différences statistiquement significatives entre les groupes en ce qui concerne le taux et le temps de retour à la normale. Il y a eu 1 (4 %) récidive dans le groupe chirurgical, due à un accident de ski nautique après 10 mois. Après exclusion de cette nouvelle blessure, la continuité proximale au suivi à l’IRM à 1 an était présente chez 100 % des patients opérés. Dans le groupe non opéré le rétablissement de la continuité était significativement associée à la rétraction du tendon en mm (OR 0,96, IC 95 % : 0,92 à 0,99, p=0,02).
  • La flexibilité des ischio-jambiers était presque symétrique, sans différences significatives entre les groupes. Des déficits de force isométrique étaient présents dans les deux groupes. Les patients opérés avaient une force isométrique des ischio-jambiers (% de la jambe controlatérale) de 73% (IQR 64 81,5), 66,5% (IQR 54-80) et 78% (IQR 64-93,5) en position procubitus 0/90, procubitus 0/15 et décubitus 90/90. Les patients non opérés avaient 91% (IQR 80-96), 60% (IQR 46-74,5) et 76,5% (IQR 68-89). La force isométrique en position couchée 0/90 était significativement plus élevée chez les patients du traitement conservateur (p<0,001).
  • Il n'y a eu ni infection, ni thrombose veineuse profonde, ni lésion iatrogène du nerf sciatique. Lors du suivi final, 96 % des patients opérés et 91 % des patients non opérés ont déclaré qu'ils referaient le même choix de traitement (p=0,45).

Ont déclaré qu'ils referaient le même choix de traitement 

Opérés

non opérés

DISCUSSION

Il y a dans la littérature un manque général de datas concernant les patients ayant fait le choix d’un traitement conservateur en cas d’atteinte proximale des ischio-jambiers. Dans cette étude, plus de la moitié des patients ont choisi un traitement conservateur après une prise de décision partagée. Cette étude apporte le plus grand groupe de patients non opérés pour avoir un aperçu de leurs résultats, guider la prise de décision et aider à définir les attentes des patients. Si les traitements opératoire et non opératoire ont donné des résultats cliniques similaires à un an de suivi, il convient de noter que les patients opérés avaient des scores PHAT de base plus faibles. Il est concevable que les scores PHAT de base dans le groupe opéré étaient plus faibles parce que ce groupe s'est présenté significativement plus tôt après la blessure, mais cela pourrait aussi indiquer une blessure plus grave et/ou des dommages "collatéraux" aux tissus adjacents. Il n'est pas clair si les différences entre les groupes dans l'augmentation du PHAT peuvent être attribuées à un effet du traitement. Sur la base de l'analyse ajustée, les différences de résultats entre le traitement chirurgical et le traitement non chirurgical peuvent être plus subtiles qu'on ne l'a supposé jusqu'à présent.
Bien qu'il soit impossible de l'affirmer avec certitude car le traitement n'a pas été attribué de manière aléatoire, nos résultats indiquent que d'autres études comparatives sont nécessaires et justifiées.

La comparaison du RTS de la cohorte de cette étude avec la littérature existante révèle des résultats similaires, malgré le suivi plus court ici. Le RTS est difficile à comparer car sa définition varie selon les études. Dans une revue systématique récente avec un suivi d'environ 3 à 4 ans, le RTS et le retour au niveau pré-lésionnel ont été combinés. Les taux rapportés de RTS pour les patients opérés et non opérés étaient de 80% et 71%, ce qui est en accord avec les résultats de cette étude. Cependant, ici, une proportion substantielle des patients a pratiqué d'autres sports (8 % chez les patients opérés et 12 % chez les patients non opérés) ou alors est revenue à un niveau inférieur (39 % et 36 %). Ces résultats indiquent que le retour au sport au niveau pré-lésionnel est irréaliste dans un délai d'un an pour un sous-ensemble de patients. Des déficits persistants de la force des ischio-jambiers, notés dans les deux groupes, ont également été mis en évidence dans des études rétrospectives antérieures plus petites avec un suivi plus long. Dans ces études, cependant, le traitement chirurgical a donné lieu à des taux de force des ischio-jambiers et de RTS supérieurs à ceux du traitement conservateur. Il est possible que l'intervention chirurgicale soit un "investissement" pour des résultats supérieurs à long terme, mais cela devrait être corroboré par des analyses prospectives à long terme plus importantes.

Forces et limites de cette étude

Les points forts de cette étude sont la conception prospective et un protocole de réadaptation uniforme pour les deux groupes. Les limites évidentes comprennent l'absence de randomisation aléatoire des traitements, l'absence d'aveuglement de l'évaluateur pour les résultats cliniques, et la taille relativement petite de l'échantillon. 

CONCLUSION

Cette étude prospective de patients souffrant d'avulsions proximales des ischio-jambiers a montré au bout d'un an de suivi que :

  • Les résultats cliniques étaient comparables à 1 an de follow-up pour les patients opérés et non opérés. Les patients non opérés, traités ici à l'aide d'un programme de rééducation par étapes non temporelles, ont de meilleurs résultats cliniques ici par rapport à ce qui était généralement supposé dans le passé.
  • Les patients opérés ont commencé avec des scores PHAT plus faibles avant le traitement, mais se sont améliorés de manière substantielle pour atteindre des scores PHAT aussi élevés que les patients non opérés.

La continuité proximale du complexe ischio-jambier a été restaurée chez environ la moitié des patients non opérés et chez presque tous les patients opérés.

Les auteurs recommandent d'utiliser ce modèle de soins à décision partagée jusqu'à ce que des indications fondées sur des preuves en faveur de l'une ou l'autre option de traitement, basées sur des essais cliniques de haut niveau, soient disponibles.

L’article

Van der Made AD, Peters RW, Verheul C, Smithuis FF, Reurink G, Moen MH, Tol JL, Kerkhoffs GMMJ. Proximal hamstring tendon avulsions: comparable clinical outcomes of operative and non-operative treatment at 1-year follow-up using a shared decision-making model. Br J Sports Med. 2022 Jan 7:bjsports-2021-104588. doi: 10.1136/bjsports-2021-104588. Epub ahead of print. PMID: 34996751.